“Prendre la route“

1 mai 2025,  par  Erik Arnoux

 

“La route de Coronado”, le quatorzième Jerry Spring, entamé fin 1960, n'est pas un album comme les autres...


Né sous le signe de la jeunesse ?


Il marque les vrais débuts de Giraud en tant qu'assistant, à 22 ans, quelques mois avant que Jijé ne le recommande chaleureusement à son ami Charlier, qui cherche un auteur pour dessiner Blueberry, le western qu’il souhaite lancer dans Pilote. À cette époque, chaque journal de BD doit avoir un pilote, un cowboy, un aventurier, un détective, etc.


Le titre possède une autre particularité : il est scénarisé par le jeune Philippe Gillain, l'un des fils du dessinateur, alors âgé d’à peine dix-huit ans !


Ce qui n’est pas tout à fait nouveau : cela fait déjà deux ans que, depuis ses seize ans, “Philip” (son pseudonyme dans Spirou) écrit pour son père sur Valhardi et Jerry Spring. Son nom apparaît régulièrement sur les bandeaux dans le journal, lors de la prépublication hebdomadaire…


Enfin, écrit ... pas vraiment, il faut nuancer : selon Philippe Gillain lui-même, il ne fournissait pas à Joseph un script avec une description détaillée, case par case, mais se considérait plutôt comme un donneur d’idées, puisque c’est ensuite son père qui définissait seul le découpage et les dialogues, les mettant à sa main…


Et surtout, Joseph ne suit pas toujours les idées de son fils pour Spring, adaptant à sa guise le canevas de départ proposé, alors qu’il modifiait peu les intrigues que ce dernier lui soumettait pour Valhardi…

 

 

 

 

Cette planche originale de Jerry Spring est dans la collection de Zizanion

 

 


Philippe raconte comment ça a commencé :


J’avais seize-dix-sept ans et j’étais au lycée de Montgeron. Un jour, j’ai dit à mon père que j’aimerais bien lui écrire un scénario. J’imaginais naïvement que tout ça était improvisé, mais mon père m’a vite détrompé. Il fallait suivre des règles strictes : ‘Tu dois commencer par faire un synopsis général et connaître la fin de l’histoire. Ensuite, il faut créer un mystère, un crescendo et, enfin, une révélation…’


C’est comme ça que je me suis lancé dans le scénario du Mauvais Œil ! Au départ, je pensais décrire en détail chaque case, mais mon père m’a demandé de lui raconter la trame générale, puis les scènes au fur et à mesure, parfois même au-dessus de son épaule pendant qu’il dessinait !


Il lui arrivait de me dire : ‘Ça, c’est mauvais, je vais changer !’ et pouvait être très interventionniste.
Chaque soir, en rentrant du lycée, je découvrais le travail de la journée ! Du coup, les scénarios que j’ai faits pour Joseph n’étaient pas des scénarios classiques, c’étaient davantage des discussions, des débats d’idées, pour aboutir à un synopsis.

Si ce n’avait pas été pour Joseph, je n’aurais pas fait de scénarios dans la BD !


Le dessin sera réalisé en partie par Jean Giraud, qui encre et fait ses classes à Draveil…

 

Jijé raconte :

 

Giraud est venu me voir un soir en compagnie de Mallet et Mézières. C’étaient des jeunes gens comme il en défilait pas mal chez moi à une époque.
 

Et puis il est revenu me voir, seul. Il faisait des dessins remarquables dans Cœurs Vaillants, je crois.

 

À un certain moment, peut-être parce que j'avais trop de travail, je lui ai proposé de mettre à l’encre Jerry Spring, tout en pensant que c'était la meilleure façon d'apprendre le métier, ce qui est vrai d'ailleurs. Giraud est venu chez moi pendant une année, puis nous nous sommes rendu compte que cette collaboration n’était pas simple.

 

Nous avons adopté un autre système : je faisais le crayonné, il faisait l'encrage, puis je reprenais le dessin en rajoutant certaines choses qu’il ne pouvait pas faire.

À la fin de l’épisode, Giraud se débrouillait très bien et je n’avais pratiquement aucune retouche à faire…


Jean, qui est crédité sur le bandeau comme co-auteur, ne signera que deux pages, discrètement de ses initiales dans un coin de case…

 

Détail auquel alors personne ne prête attention… puisque ce sont les mêmes initiales que celles de son mentor !

 

© Philip - Jijé - Giraud “La route de Coronado” Page 14 - 1961

 


 

Notes de 2DGalleries :

 

A l'heure où sont écrites ces lignes vous pouvez admirer la planche en question dans cet article et lire les commentaires de son propriétaire en suivant ce lien

 

Une autre page de Jerry Spring - "La route de Coronado" est visible dans la collection de EricB  :

 

 

 

 

 

 

Les deux pages sont richement commentées par leurs propriétaires respectifs.

 

 

 

Erik Arnoux

Articles associés

Pour laisser un commentaire sur cet article, veuillez vous connecter