Aquablue. La liberté ou la mort !

26 mars 2017,  par  William Blanc

 

    Arrivé suite à une catastrophe stellaire sur la planète maritime d'Aquablue, le jeune Terrien Nao est sauvé par la population indigène à la peau bleue de l'île d'Ouvéa. Devenu adulte et membre à part entière de la tribu, il doit faire face avec eux aux appétits de la Texec, une multinationale venue de la Terre pour exploiter le sous-sol riche de ce monde océan. Le jeune héros reçoit vite l'aide de Dupré, un anthropologue, de Béatrice, une reporter humaniste, de Carlo, un contrebandier italien et de Rabah, un pilote spatial kabyle. S'ensuit un long conflit où la mégacorporation n'hésite pas à faire appel à des mercenaires sans scrupules (dirigée par Ulla Morgenstern, la propre tante de Nao), puis à la légion à la solde du gouvernement terrien.

 

Cailleteau Thierry (scénario), Vatine Olivier (dessins), Corail noir (Aquablue – 4), 1993.


    Aquablue, c'est de la bonne, de l'excellente BD de science-fiction française dont le premier tome, paru en 1989, a été suivi de quinze autres (le dernier, Rakahanga, vient tout juste de sortir). On y sent nettement l'influence de Star Wars. Les habitants d'Ouvéa évoquent les Ewoks en lutte contre l'Empire galactique, tandis que le vaisseau de Carlo (le Stromboli) n'est pas sans rappeler le Faucon Millenium de Han Solo. Enfin, difficile de ne pas faire le rapprochement entre Cybot, le robot qui sert de compagnon de Nao, et R2D2. Rien d'étonnant à cela. Non seulement les films de Georges Lucas ont durablement été influencés par la BD Valérian (nous en parlions ici sur le site de 2dgalleries.com), mais ils ont eux-mêmes marqué des générations de dessinateurs, comme Juan Giménez qui a illustré la série des Métabarons. D'ailleurs, l'illustrateur des quatre premiers tomes d'Aquablue, Olivier Vatine (la suite sera reprise notamment par Ciro Tota), a dessiné l'adaptation de la séquel de la première trilogie de Star Wars en BD entre 1995 et 1996.
    Néanmoins, ce sont certainement des événements politiques contemporains à la série qui ont inspirés les créateurs d'Aquablue. En effet, le choix du nom Ouvéa pour décrire la planète bleue qui sert de cadre principale à la BD renvoie à celui d'une île proche de l'archipel de Nouvelle-Calédonie sur laquelle se sont déroulés en 1988 de tragiques événements.

 

Cailleteau Thierry (scénario), Vatine Olivier (dessins), Corail noir (Aquablue – 4), 1993. Les guerriers d'Ouvéa se préparent à résister à l'assaut de la légion.

  

L'ensemble de ce territoire d'outre-mer, possession française depuis 1853, est en effet le théâtre, à partir des années 1970, dans la foulée des mouvements de décolonisation, d'un conflit opposant d'un côté les descendants de colons venus de la Métropole (les Caldoches) soutenue par le gouvernement français, et de l'autre les indépendantistes kanaks du FLNKS (fondé en 1984), appuyés en très grande majorité par les populations mélanésiennes indigènes à l'archipel.  

 

Cailleteau Thierry (scénario), Vatine Olivier (dessins), Corail noir (Aquablue – 4), 1993. L'assaut sanglant de la légion sur l'île d'Ouvéa.

 

Le conflit atteint son paroxysme lors des événements dits de la grotte d'Ouvéa durant lequel un groupe d'indépendantistes tue quatre gendarmes et prend en otage plus d'une vingtaine d'autres avant d'être massacré lors de l'assaut des forces spéciales françaises le 5 mai 1988 (en pleine élection présidentielle opposant François Mitterrand et Jacques Chirac).

Cet épisode sanglant a inspiré à Mathieu Kassovitz un film récent (L'Ordre et la morale – 2011), mais on en retrouve des traces dans Aquablue. Dans le quatrième tome (Corail noir – 1993), la Texec, à force d'intrigue, finit par attaquer sauvagement les habitants d'Ouvéa avec l'aide de la "légion" (dirigée par le général "de Balinville" au nom éminemment français) dont les uniformes rappellent ceux de la Légion étrangère hexagonale (notamment le fameux képi blanc).

 

Cailleteau Thierry (scénario), Vatine Olivier (dessins), Corail noir (Aquablue – 4), 1993.

   

Le parallèle ne s'arrête pas là. La géographie d'Aquablue (des archipels perdus au milieu d'une planète océan) renvoie à celle de la Nouvelle-Calédonie. Nombre de noms propres indigènes semblent de leur côté inspirés des langues mélanésiennes. Enfin, la catastrophe écologique provoquée par l'exploitation des richesses d'Aquablue n'est pas sans rappeler de son côté la situation calédonienne où la surexploitation du nickel (qui représente 90% des exportations du territoire) entraîne de nombreux problèmes environnementaux.
    Aquablue est donc une bande dessinée traversée par une forte réflexion sur le colonialisme (il en est aussi question dans les tomes 8 et 9 où le nom d'une des antagonistes, Diane de Boers, renvoie lui aux colons sud-africains). Elle est loin d'être la seule. Le 9e art en France, dès les années 1960, s'interroge sur le sujet, comme nous l'avions vu avec Alix de Jacques Martin (avec des albums comme Le Dieu Sauvage – 1970, ou Iorix le Grand – 1972). Il en est aussi longuement question dans des épisodes de Valérian (Bienvenue sur Alflolol  – 1972). C'est assez remarquable, surtout si l'on compare avec d'autres médias en France, comme le cinéma, où ce thème est rarement abordé. Preuve sans doute que la bande dessinée est un art libre, où toutes les audaces sont permises. Cela tombe bien, c’est aussi pour cela que nous l’aimons.

 

Vous pouvez retrouver les oeuvres originales consacrées à Aquablue sur le site 2dgalleries.com à cette adresse.

William Blanc

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4 commentaires
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William Eh oui... vraiment un cycle très agréable, de la BD comme on aime ;-)
4 avr. 2017 à 01:38
TristanBD Je suis entrain de relire la série et c'est vrai que c'est très bon
3 avr. 2017 à 11:43
William Bien dit Edoumig. Je pense aussi que cette série a exercé une grande influence (y compris sur des films comme Avatar). Merci pour votre commentaire ;-)
29 mars 2017 à 21:24
edoumig Aquablue est effectivement une excellente série de plus son succès à lancé le label Serie B chez Delcourt. Selon moi sans Aquablue pas de Carmen, de Golden City de Nash...
29 mars 2017 à 18:16