Le Si... si... si... : Boris
Ce mois-ci c'est Boris qui répond aux questions du Si... si... si... !
1. Si je devais citer un élément déclencheur qui m'a poussé à acquérir mon premier original et donné envie de collectionner ?
A l’automne 1999, simple lecteur de bandes dessinées, j’ai dû venir en aide à ma compagne de l’époque, qui dirigeait une fondation d’art contemporain : elle cherchait un thème porteur, pour attirer les amateurs d’art en fin d’année. Benoîtement, je lui glissais que certains auteurs de bande dessinée étaient pour moi des artistes figuratifs de grand talent. Ouverte d’esprit, elle a suivi mes recommandations.
Je me suis trouvé en situation de choisir moi-même les auteurs qui me paraissaient ne pas déparer un lieu voué à l’art contemporain. J’imaginais ce titre : « Les états d’art de la bande dessinée ». C’était à l’époque assez audacieux. Enki Bilal s’imposait à moi comme une évidence, de même que la partie Moebius de Jean Giraud et Philippe Druillet. J’y ajoutais Jacques Tardi, Jacques de Loustal et Claire Brétecher, pour son œuvre « personnelle » de peintre.
Ce fut le plus grand succès d’audience de cette fondation et cela me permit de rencontrer tous ces auteurs, étonnés et ravis de voir leurs dessins accéder à ce statut et exposés dans un lieu superbe, à côté du Trocadéro. A l’époque, je n’avais pas l’argent nécessaire pour acheter ces œuvres -qui en l’espèce n’étaient pas à vendre- mais en me renseignant auprès des artistes, j’appris que c’était possible, si j’économisais un peu. A la fin des années 90, un dessin d’Enki Bilal valait déjà l’équivalent d’un SMIC, ce n’était pas rien. Ou plutôt si, vu d’aujourd’hui…
L’exposition connut une suite, l’année suivante, avec un succès identique (et André Juillard comme nouveau venu). Ces deux catalogues « historiques » peuvent encore être trouvés sur Ebay !
2. Si je pouvais ajouter à ma collection une œuvre présentée actuellement dans les galeries de 2DG ?
C’est mon grand drame de collectionneur, partagé je crois avec nombre d’autres abonnés à votre site et affligés de la même manie : j’éprouve les plus grandes difficultés à me restreindre.
Le choix sur 2DG est vaste et, souvent, de qualité. Je renonce donc à en choisir une et je me fais déjà très mal en en choisissant trois ! Bien sûr, si je pouvais les acheter, je serais ruiné pour trois générations 😊 :
Partie de Chasse, planche de fin par Enki Bilal
La dernière page de « Partie de Chasse » ! Juste un moment d’anthologie. Pour moi, elle se passe de commentaire. J’ai longtemps cherché à acquérir ce monument. On m’avait dit que la planche avait été abimée. J’ai donc été à la fois stupéfait, ravi et légèrement meurtri de la voir apparaître en grande forme dans la galerie de son actuel propriétaire !
Arzak par Moebius
L’Arzak, évidemment. Quand Moebius révolutionne en quelques planches muettes un monde de la bande dessinée déjà bien secouée par Philippe Druillet et quelques autres !
Planche de La Macumba du Gringo par Hugo Pratt
Hugo Pratt, cela va de soi. Et pas seulement le mythique Corto Maltese. Cette planche de Macumba atteint pour moi des sommets de poésie, sa puissance évocatrice est exceptionnelle. Partie en vente aux enchères trop cher pour moi, mais j’en félicite son actuel propriétaire, même si j’avoue avoir eu une brève pulsion de meurtre lorsqu’il l’a acquise [private joke]. J’espère la voir exposée dans sa future fondation avant ma mort [private joke encore].
3. Si je ne devais conserver qu'une seule œuvre dans ma collection ?
Là encore, l’exercice est impossible pour moi ! Donc tant pis, je vendrais mon lit et ma dernière chaise pour en garder deux :
Jill par Enki Bilal
Enki Bilal encore, avec ce calque tout en délicatesse et fragilité, qui immortalise la femme piège, Nikopol et son dieu Horus, dans un moment d’intimité inattendu…
The Silver Surfer par Moebius
Et Moebius qui parvient, dans cette première « pleine page », pour ne pas dire « splash page », de son Silver Surfer à s’approprier ce super héros tragique, devenu par la grâce d’un coup de crayon « européen », un personnage non bodybuildé, seul, presque faible, avec son surf emballé dans quelques morceaux de carton tenus par des bouts de ficelle. Un clochard, presque. Un clochard magnifique.
4. Si je pouvais acheter une œuvre que j'ai laissé filer par le passé ?
Il y en a tellement… Bon, puisqu’il faut encore une fois réaliser l’impossible, en voici deux !
Cette illustration est dans la collection de Lezardsbd
Cette superbe illustration, « Fou et cavalier » : une partie d’échecs du plus haut niveau possible, entre Blueberry et Arzach, les deux grands maîtres imaginés par le Kasparov du dessin !
Planche de Lone Sloane par Philippe Druillet
Cette planche somptueuse de Philippe Druillet, elle aussi emportée par l’enchérisseur mentionné plus haut, qui décidément devrait ouvrir bien vite sa Fondation pour revoir ce chef d’œuvre !
5. Si je pouvais avec un budget de 5 000 € acquérir une ou plusieurs œuvres parmi celles proposées en vente sur 2DG ?
Illustration de Frederic Peeters récemment proposée à la vente sur 2DG
Il y avait cette illustration de belle taille, rare chez cet auteur dont je me pique d’être l’un des principaux collectionneurs. Mais elle vient d’être vendue ! Je connais
l’acheteur, je n’ai peut-être pas dit mon dernier mot. La cote de Frederik Peeters est trop basse en regard de son immense talent, tant mieux pour les collectionneurs 😊
6. Si j’étais un personnage de Bande Dessinée ?
Plus jeune, j’aurais peut-être répondu « Le Bandard Fou ». Je plaisante. Plus sérieusement, je choisirais Nikopol, et/ou son fils, ce serait chouette, ne serait-ce que pour le bonheur de mieux connaître Jill et de papoter avec Horus, dieu cruel mais à l’humour noir décapant…
Nikopol par Enki Bilal
7. Si j'avais la possibilité de passer une journée avec un artiste disparu ?
Moebius, ou au pire, Jean Giraud.
Moebius
8. Si je pouvais poser une question à cet auteur ?
« Au fond du fond, lequel de vos personnages prenez-vous le plus de plaisir à dessiner : Blueberry, le Major, Arzach, … ? » Il me répondrait sans doute qu’il a déjà répondu à cette question et qu’il en a marre qu’on la lui pose sans arrêt.
Il aurait raison bien sûr. Mais je l’ai toujours soupçonné de ne jamais répondre avec une totale sincérité : il ne pouvait pas se permettre de dire que dessiner Blueberry était parfois « a pain in the a.. » !
9. Si je ne devais posséder qu'un seul album dédicacé dans ma collection ?
Je n’en ai presque aucun car cela m’intéresse peu. L’une de mes rares dédicace est celle de Frederik Peeters dans « L'odeur des garçons affamés », qu’il a eu la gentillesse spontanée de personnaliser :
Dédicace de Frederik Peeters
10. Si je pouvais lire la suite d’une bd ?
Arzak, l’arpenteur. Comme le disait l’éditeur, en 2010, « Mœbius répond aujourd’hui à l’appel muet de ce mystérieux héros. Il lui redonne la parole, l’humanise. Le plonge dans des aventures qui révèlent au lecteur l’origine des secrets du monde dans lequel il évolue.
L’Arpenteur est le premier tome d’une aventure qui en comportera trois. » Elle n’en comportera finalement qu’un, Jean Giraud étant arrivé au bout de son encrier en 2012. Mais après tout, c’est peut-être mieux ainsi : un Arzak sans mystère ne serait plus un Arzak…
Voici enfin la réponse de Boris à une question imaginée par Takoum lors du précédent Si... si... si... :
La collection d'originaux représente pour la plupart d'entre nous un certain patrimoine.
Comment souhaites - tu transmettre ce patrimoine ?
Penses-tu transmettre ta collection en l'état ? La revendre de ton vivant pour profiter ou faire profiter qui de droit de la valeur qu elle représente? Ou alors la recentrer sur quelques très belles pièces que les ayants droit pourront plus facilement revendre ? Ou toute autre solution !
C’est une vraie question à laquelle on aimerait ne jamais avoir à répondre.
Mais bon, les progrès de la science ne sont pas infinis et c’est vrai, un jour, la mort viendra. Ma femme et mes petites filles ne s’intéressent nullement aux originaux de bande dessinée. Je n’ai pas les moyens d’envisager la création d’une Fondation. Ma générosité n’ira pas jusqu’à donner ma collection à des structures existantes, ne voulant pas spolier mes héritiers.
Donc oui, les deux suggestions de Takoum me semblent être de bon sens : simplifier ma collection en la centrant sur des « monuments » faciles à vendre. Voire les vendre moi-même si le destin m’accorde de sentir le vent (mauvais) venir ! Mais il n’y pas d’urgence (doigts croisés).
Nous remercions Boris pour sa participation.
Rendez-vous le mois prochain !