Dans la collection de Zizanion
Jijé, Jerry Spring – Le maître de la Sierra – Planche 26 - Planche originale
2093 

Jerry Spring – Le maître de la Sierra – Planche 26

Planche originale
1962
Encre de Chine
Encre de Chine sur papier
30.7 x 42.2 cm (12.09 x 16.61 in.)
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Cisco Kid
Benoît Gillain - Tijuana, 1948
Guernica de Pablo Picasso

Commentaire

Lorsqu’il donne naissance à Jerry Spring, sans doute sa série la plus personnelle, Jijé signe des bandes dessinées depuis déjà plus de vingt ans dans la presse belge. En 1954, date de l’apparition du cow-boy, sa cadence de travail est énorme. Alors pourquoi s’investit-il dans ce nouveau chantier ? La réponse tient dans le mélange de défi et aussi d’envie, car l’auteur a séjourné aux États-Unis entre 1948 et 1950 et souhaite restituer les «formidables paysages » qu’il y a vus.

Dans ses chevauchées, le gringo ténébreux Jerry est accompagné par Pancho, un amigo mexicain et, à l’instar d’autres westerns dessinés (1) ils luttent contres de vilains personnages et défendent les causes de peuples opprimés, Indiens bien entendu mais aussi Noirs américains. La chose est assez rare dans les publications francophones de l’époque. (2) Mais c’est également grâce à ses qualités graphiques que la série fascine ses lecteurs. D’abord, Jijé aime donner vie aux chevaux. Adepte du dessin fait sur le vif, il garde autant que possible lors de l’encrage la vivacité des crayonnés. Cette recherche de la spontanéité lui fait préférer le travail du noir et blanc.

Si les USA sont une terre de fantasme pleinement associée au western, ils laissent d’abord l’image d’une nation superlative caractérisée par son industrialisation galopante, ses mégapoles tentaculaires, ses autoroutes à n’en plus finir… Dans le voisin du Sud, la communion intime entre l’homme et l’œuvre de la nature, ce rapport animiste inscrit au cœur des récits de cow-boys et d’Indiens, est davantage perceptible. Le Mexique est un réservoir d’émotions et d’images d’une puissance d’évocation rare qui va alimenter les futures créations de Jijé, leur conférer un surcroît d’authenticité. Son second fils, Philippe, remarque : « Il aimait bien le côté américain et mexicain. Mais à mon avis, il n’aurait pas supporté de faire un western purement anglo-saxon ; cela aurait été un peu court pour lui. » Benoît Gillain remarque : « Jerry Spring, c’est vraiment ce que nous avons vu jusque dans les détails : les selles mexicaines, le chapeau de Pancho (3), nous l’avions acheté là-bas et puis ramené en Europe … »

C’est au Mexique que l’on retrouve Jerry et Pancho dans Le maître de la Sierra. La séquence dans cette planche extraite de cet album est remarquable. Dans la première vignette nous sommes placés au cœur de l’action puisque nous chevauchons aux cotés de Jerry, Pancho et El Tigre et nous prenons leur point de vue. Nous pouvons percevoir le danger devant nous lorsque les long-horns tournent le coin et nous prenons conscience que nous sommes pris au piège. La première vignette capture un moment de calme où l’on peut prendre un dernier souffle avant la cavalcade imminente et inévitablement violente. Dans la deuxième vignette, les héros prennent charge et attaquent. Nous les percevons d’un point de vue subalterne en tant que la cible de leur attaque, ce qui amplifie l’apparence de leur force et de leur détermination. Le choc vient dans la troisième vignette où le chaos rappelle en quelque sorte la Guernica de Picasso. Dans les vignettes cinq et six, Jerry, suivi d'El Tigre, s'en sort indemne de la ruée…mais où est Pancho ? Nous suivons la direction du regard de Jerry à droite et à gauche pour trouver son compagnon. Mais ce n’est ni de droite ni de gauche que la monture de Pancho jaillit de la poussière et sans son cavalier, mais de face, avec un regard sauvage, indompté et avec les rênes traînant. La mise en scène est habile. Jijé change de plan à chaque vignette afin d’augmenter la dramaturgie de la débandade. Les équidés sont représentés de face, de dos, de trois quarts, galopant, freinant, tournicotant…jusqu’à la chute comique de la dernière vignette qui mêle corrida et rodéo. C’est tout l’art de Jijé d’alterner rigueur et liberté créatrice pour nous mener, au cours d’une page unique, du dramatique au comique.

Au Mexique, la famille Gillain consacre souvent les dimanches aux spectacles de corridas. Benoît Gillain : « Mon père aimait bien ! C’était dans une petite arène de bois, où venaient les jeunes toreros dans l’espoir de se faire remarquer pour pouvoir aller ensuite à Mexico [City] dans la grande arène. Ils prenaient de fameux risques, les mômes ! Les chevaux n’étaient pas caparaçonnés comme maintenant. J’ai vu des chevaux éventrés qui marchaient dans leurs tripes ! Et la semaine suivante on les revoyait recousus avec la paille dans le ventre ! En dehors de la saison des corridas, il y avait des rodéos. Les charros – les cow-boys mexicains – étaient toujours en grande tenue comme les mariachis lorsqu’ils jouent la musique. Les ouvriers agricoles, eux, portaient l’habit typique du peòn, tout en blanc avec la sarape et de grosses sandales faites de pneus de voiture.»


(1) L’on pense notamment au Cisco Kid - qui lui aussi a un sidekick nommé Pancho - de Jose Luis Salinas et de Rod Reed syndiqué de 1951 à 1967 par King Features

(2) Voir le descriptif de la couverture de Jerry Contre KKK sur 2DG: https://www.2dgalleries.com/art/jerry-spring-couverture-de-jerry-contre-kkk-129840

(3) Un chapeau offert par Franquin à Philippe Gillain et qui ne l'a plus quitté depuis

Publications

  • Le maître de la Sierra
  • Dupuis
  • 01/1962
  • Page intérieure
  • Quand Gillain raconte Jijé
  • Dupuis
  • 02/2014
  • Page 242

Voir aussi :   Jerry Spring

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A propos de Jijé

Joseph Gillain, dit Jijé est un scénariste et dessinateur de bande dessinée belge.Jijé est considéré comme l'un des pères de la bande dessinée franco-belge. Son influence a été décisive sur plusieurs générations d'auteurs, qui ont travaillé à ses côtés, ont parfois été ses assistants ou plus simplement sont venus lui soumettre leurs travaux et ont bénéficié de ses conseils. Jijé reçoit le Grand Prix Saint-Michel 1975 et il est sacré Grand Prix de la ville d'Angoulême en 1977.