Dans la collection de Zizanion
Jijé, Jerry Spring - Lune d' Argent (t.3 pl.9) - Planche originale
1763 

Jerry Spring - Lune d' Argent (t.3 pl.9)

Planche originale
1955
Encre de Chine
31 x 45 cm (12.2 x 17.72 in.)
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Joseph Gillain une vie de bohème
Joseph Gillain une vie de bohème

Description

Spirou no. 881 - 3 Mars 1955

Commentaire

Chaque collectionneur se lance dans une quête particulière d'un Saint Graal. Pouvoir savourer la beauté de cette page représente l'accomplissement d'une telle quête pour ce collectionneur.

Exécutée au sommet de son talent graphique, cette planche distille l'essence de la série préférée et la plus personnelle de Jijé (lorsqu’il donne naissance à Jerry Spring en 1954, Jijé signe des bandes dessinées depuis presque vingt ans dans la presse belge). Nous trouvons Jerry, Pancho, les chevaux et les plaines de l'Ouest américain, dont la majesté est pleinement exposée dans le format à trois bandes.

« Affirmons-le sans hésitation, après sa période de rodage sur Baden Powell et la seconde version de Don Bosco, ainsi que le tout récent Blanc Casque qui a malheureusement manqué de visibilité, Joseph Gillain parvient à la quintessence de son art en dessinant magistralement les cinq premiers épisodes de Jerry Spring – soit 219 planches – publiées entre mars 1954 et mai 1956. Il en a d’autant plus de mérite qu’elles sont produites lors d’une séquence personnelle fort bousculée » (1)

Jijé excelle ici dans ce que nous pouvons nommer le "réalisme minimaliste" qui consiste en des traits distillés à l'essentiel et qui peuvent cependant rendre un être sensuel, animé et qui respire la vie. Le style est déchargé du surplus de détails, des accumulations incessantes de traits, qui étouffent parfois les pages de ses talentueux successeurs. C'est certainement une question de goût !! Excepté Jijé d'un côté de l'Atlantique, le principal autre exécuteur d'un tel style était Alex Raymond avec sa série Rip Kirby.

Les chevaux, Ruby et Chiquito, sont rendus avec un tel amour que l'on peut sentir leur poids sur la page, leur puissance brute et leur noblesse.

« Jijé attribue son succès au don qu’il se reconnaît « à dessiner honnêtement les chevaux » et qu’il s’était « appliqué à mettre derrière lui la difficulté que cela représente. » Jean Giraud (1938 – 2012) confirme cette impression à son maître : « Ce que tu as apporté dans le western c'est une impeccable documentation sur la sellerie, sur le costume, sur les moeurs, sur les décors, qui était complètement inconnu avant. Tu as été le premier à faire une selle western correcte » (1)

Nous avons également dans la quatrième case l'un des plus beaux et plus puissants portraits de Jerry Spring, les yeux de travers et plongés dans ses pensées. Le héros est un humaniste méditatif, à l'image de son créateur, et non pas le héros d'action brutal représenté dans un certain genre de cinéma américain. Chaque trait de ce portrait est là où il devrait être, comme si Jerry était né tout fait de l'imagination de Jijé, plutôt qu'extrait avec effort du néant de la page blanche.

« Jijé avoue sans complexe qu’il « trouve le dessin réaliste plus difficile [que le dessin humoristique] » en précisant qu’il a « dû travailler beaucoup plus pour être content de son dessin réaliste ». Il admet donc, entre les lignes, être fait pour le dessin humoristique, mais sa carrière nous montre qu’il a choisi une autre voie. Il confessera plus tard : « À l’époque, j’avais une certaine vanité d’être un des bons dessinateurs de bandes réalistes […] Un dessinateur réaliste avait au départ une cote supérieure à un dessinateur humoristique. Un dessinateur réaliste, c’était a priori quelqu’un qui savait dessiner ; un dessinateur humoristique, ce n’était qu’un amuseur. » (1)

Il n'est donc pas surprenant que François Deneyer ait choisi ce portrait de Jerry Spring pour la quatrième de couverture de sa nouvelle et monumentale biographie de Jijé. L'artiste bohème est présenté sur la couverture et son alter ego sur le revers.

Je citerai un autre passage de cette magistrale biographie (1):

« Dans le brouillon d’un projet d’article relatant ce voyage [au Nouveau-Mexique et l'Arizona], Joseph nous décrit les habitants de la région : « Si ce n’est pas tout à fait le cow-boy du film courant, pimpant et plutôt bien nourri, il n’en est pas moins beaucoup plus pittoresque. La mince silhouette mangée par la lumière éclatante est saisissante. L’homme et le cheval se fondent en une maigre silhouette presque austère, sobre, rationnelle. La bête est souvent magnifique, et pas du tout cheval de cirque trop gras des cow-boys de luxe. Le harnais sobre et pittoresque à la fois, souvent assez usagé, et le costume sont, avant tout, rationnels, tous les détails ont une raison d’être : c’est un vêtement de travail et non un costume de fantaisie. Les couleurs sont sobres, plutôt déteintes ; les bottes caractéristiques avec éperons mexicains disparaissent dans de larges jambières de peau ou de cuir, protection contre les cactus et le bétail. Veste et chemise collante, foulard pour préserver la bouche et le nez de la poussière, et le chapeau !, le feutre de l’Ouest, que seul un garçon de l’Ouest sait choisir, déformer et porter avec art. Pas de pistolet. Mais l’homme, làdedans, reste le plus intéressant, il appartient à une race bien typique. L’homme américain, c’est lui, dur, maigre et long, d’une maigreur élégante et dynamique ; le visage est saisissant, calme, ferme et dur, sûr de lui, sans morgue, sans affectation, le regard droit, franc, sérieux et fraternel, brillant de vie et de jeunesse. C’est un spectacle ! » Il n’y a plus aucun doute possible : à la lecture de ce texte écrit en août 1948, l’image de Jerry Spring a germé dans le cerveau bouillonnant de Joseph. »


(1) Joseph Gillain une vie de bohème. François Deneyer. Édition Musé Jijé, Novembre 2020.

Publications

  • Lune d'argent
  • Dupuis
  • 01/1956
  • Page intérieure
  • Joseph Gillain, une vie de bohème
  • Éditions Musée Jijé
  • 11/2020
  • Quatrième de couverture
  • Lune d'argent
  • Musée Jijé Asbl
  • 03/2014
  • Page intérieure

Voir aussi :   Jerry Spring

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A propos de Jijé

Joseph Gillain, dit Jijé est un scénariste et dessinateur de bande dessinée belge.Jijé est considéré comme l'un des pères de la bande dessinée franco-belge. Son influence a été décisive sur plusieurs générations d'auteurs, qui ont travaillé à ses côtés, ont parfois été ses assistants ou plus simplement sont venus lui soumettre leurs travaux et ont bénéficié de ses conseils. Jijé reçoit le Grand Prix Saint-Michel 1975 et il est sacré Grand Prix de la ville d'Angoulême en 1977.