Dans la collection de MV9957
Baru, Bip Bip ! - Les Années Spoutnik 3 - Planche originale
1491 

Bip Bip ! - Les Années Spoutnik 3

Planche originale
2002
Aquarelle
36 x 48 cm (14.17 x 18.9 in.)
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Bip Bip ! - Les Années Spoutnik 3

Commentaire

La planche appartient à « Bip Bip ! », le tome 3 des « Années Spoutnik ». Elle appartient à la première veine d’inspiration de Baru, l’évocation de l’enfance.

Tout le monde sait que Baru est l’auteur le plus récompensé à Angoulême. Baru est, de fait, un monument. C’est donc difficile de dire quelque chose d’original à propos de Baru, et je risque de n’énoncer que des banalités. Mais je veux malgré tout rendre hommage à cet auteur qui me touche très particulièrement.

Les autres je les admire, mais Baru, lui, je l’aime. Baru est un « macaroni » fils d’immigré italien, moi je suis un « espingouin » fils d’immigré espagnol. Il a grandi dans l’Est de la France, dans les zones d’industries traditionnelles, à son époque zones de croissance, de lutte et de mixité, devenues par la suite friches industrielles pleines de désespoir. J’ai grandi dans ma banlieue rouge, entouré d’usines, de communistes et d’autres mômes issus de l’immigration, dans un des quartiers du neuf-cube qui penchent aujourd’hui dangereusement vers un quasi-ghetto social, religieux et ethnique. Nous sommes tous deux les enfants d’un monde disparu, celui du prolétariat ouvrier d’usine (les ouvriers d’aujourd’hui travaillent dans les services et ne se nourrissent pas des mêmes mythes). La perte de sens qui a résulté de cette disparition s’est cristallisée chez Baru en une forme de nostalgie vacharde de cette époque, qui ne permettait certes pas de nourrir de grands rêves ou d’aspirations autres que l’usine, mais qui offrait tradition et fraternité, un véritable cocon, dur mais rassurant.

La première veine dans l’œuvre de Baru, l’évocation de l’enfance (« Les Années Spoutnik ») et de l’adolescence et post-adolescence (« Quéquette blues », « La Piscine de Micheville », « La Classe », « L’Enragé ») me touche donc plus particulièrement. Ce ne sont pas des bluettes nostalgiques, il y a de la tendresse mêlée à de la férocité. Il y a surtout une acuité du regard sociologique qu’on ne retrouve que chez Lauzier ou Brétécher. Mais Lauzier et Brétécher parlent d’autres populations: cadres, intellectuels et bobos, avec acidité ou dérision, alors que Baru parle des enfants d’ouvriers et de la zone, à même hauteur, sans distance moralisante ni méchanceté. Baru retrace le parcours de formation humaine des mômes avant l’embrigadement à l’usine, parcours structuré comme celui du combattant : la bande de potes, la baston et les soûleries en font partie bien sûr, ainsi qu’une compétition sexuelle qui s’apparente souvent à une certaine misère sexuelle. Ce n’est pas celle de Houellebecq, neurasthénique et nihiliste dans « Extension du domaine de la lutte », mais l’accès au sexe est un élément essentiel de l’apprentissage. L’accès au sexe et la boxe, thème également récurrent dans l’œuvre de Baru, fonctionnent comme une métaphore de la vie : compétition et lutte opiniâtre, ou renoncement et soumission. La boxe est d’ailleurs pour nombre de ces gosses le seul ascenseur social envisageable (« L’Enragé », « Le Chemin de l’Amérique »). Mais il y a aussi la cuisine du sud avec une « mama » omniprésente, qui tient chaud…. et le Rock’n’Roll ! Baru, je t’aime.

Baru est trop souvent réduit à cette première source d’inspiration. Mais il n’est pas que cela. Il y a une autre veine importante dans l’œuvre de Baru : le polar, mais un polar bien particulier. Chacun a ses auteurs de prédilection (Manchette pour Cabanes et Tardi, ou Jonquet et Villard pour Chauzy, par exemple). Baru pour sa part s’est retrouvé en Pierre Pelot (« Pauvres Zhéros ») et Vautrin (« Canicule »). Il a également développé ses propres histoires dans un registre similaire (« Cours Camarade », qu’il a cannibalisé ensuite pour faire « L’Autoroute du soleil », puis « Fais péter les basses, Bruno ! »). Il y a une constante dans toutes ces œuvres : ce sont des histoires de baltringues, de loosers ridicules, de prétendus experts, de durs en peau de lapin, tous poissards, et ça finit forcément très mal. Peu échappent à ce jeu de massacre, le beau copain d’enfance arabe peut-être («Cours Camarade - L’Autoroute du soleil»), un des vainqueurs de la compétition sexuelle, qui déclenche les catastrophes justement à cause de cette victoire. En préambule à « Fais péter les basses, Bruno ! » Baru rend hommage à une de ses sources d’inspiration, le cinéma de G. Lautner et M. Audiard, avec toute leur bande de fantastiques acteurs qui étaient surtout des « gueules » …. Tout est dit.

Ces deux veines sont complémentaires et se répondent. Le monde adulte dérisoire de la seconde veine est le miroir déformant de l’univers de l’enfance-adolescence de la première veine, qui relève pour sa part du paradis perdu. D’ailleurs, des enfants sont mêlés aux deux polars mentionnés (« Pauvres Zhéros » et « Canicule »), et y apparaissent comme victimes des adultes ou pervertis par les adultes.

Publication

  • Bip bip !
  • Casterman
  • 01/2002
  • Page intérieure

Voir aussi :   Les années Spoutnik

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A propos de Baru

Hervé Barulea, dit Baru est un auteur français de bande dessinée. Le 31 janvier 2010, il reçoit le Grand prix de la ville d'Angoulême pour l'ensemble de son œuvre.