Le Si... si... si... : Ludovic
Ce mois-ci c'est Ludovic qui répond aux questions du Si... si... si... !
1. Si je devais citer un élément déclencheur qui m'a poussé à acquérir mon premier original et donné envie de collectionner ?
En fait, il y en a deux :
Tout d’abord les expositions proposées par le festival d’Angoulême, festival que je fréquente depuis la fin des années 80, notamment l’année 2000 où Crumb côtoyait Uderzo et Gir/Moebius… Chaque exposition est pour moi un moment de bonheur intense qui me rappelle pourquoi j’aime la bande dessinée. Il y a les histoires, bien sûr, mais il y surtout cet art de la narration, ce dessin à l’encre qui m’emporte sans coup férir lorsque mon regard se pose sur ces œuvres originales. Je peux rester de longues minutes devant une page, page que je connaissais mise en couleur, imprimée, réduite souvent, qui se trouve là dans toute la splendeur de sa nudité originelle. Je me souviens de l’abandon répété de deux amis bédéphiles, las d’attendre que je passe à la planche suivante… Record absolu lors de l’exposition Jacobs de 2003 pour une planche de SOS météores sur laquelle je suis resté presque 20 minutes, auscultant chaque pierre, chaque mousse, chaque passage de plume.
Le deuxième élément est Olivier, Lsu38 ici, à qui j’ai acheté mon premier original en 1999, une page non finalisée d’Yslaire. A cette époque j’avais un petit site internet amateur comme il en existait beaucoup, sur lequel je proposais quelques ventes et échanges en lien avec la BD. Olivier m’a contacté pour me demander si je pouvais créer une page avec des orignaux qu’il souhaitait vendre, sorte de vitrine, où il enverrait d’éventuels acquéreurs. Je me souviens avoir mis en ligne une couverture de Valérian à laquelle je pense encore aujourd’hui…
Couverture de J-C Mézières pour Valérian
Très vite je me suis dit que c’était l’occasion d’acquérir un petit morceau de rêve. Ce fut la page de Sambre, mais cette page non publiée ne me satisfaisait pas, et puis j’ai croisé Tardi et son Burma, ma première « vraie » page, 2100 euros en 2000, c’était plus que je ne gagnais en un mois, mais impossible de dire non à Jean-Baptiste qui lançait BDArtist(e).
Un autre vendeur me proposa en même temps une page du Monde d’Edena pour à peine plus cher. J’ai dû faire un choix… Le premier d’une longue série…
2. Si je pouvais ajouter à ma collection une œuvre présentée actuellement dans les galeries de 2DG ?
Ce serait une page de Jacobs… Je me souviens encore de ce dimanche matin, lorsque café en main, je cliquais sur les nouveautés 2DG, une page de l’Espadon, et pas n’importe laquelle, me saute au visage. Mais qui était donc ce ThierryStark ??? Et il y en avait d’autres… Il reste la planche de la pyramide, alors je vais dire celle-ci puisque les autres n’y sont plus.
E-P Jacobs, planche originale de Blake et Mortimer pour Le Mystère de la Grande Pyramide
Loin des polémiques et des jalousies, des forums et des donneurs de leçons, ce musée virtuel me ravit.
3. Si je ne devais conserver qu'une seule œuvre dans ma collection ?
Je n’en conserverais aucune…
Ce que j’aime par-dessus tout c’est la diversité, comme en musique, au cinéma ou dans toute forme d’art. Je ne peux concevoir la BD par le prisme d’une seule origine, d’un seul genre, d’un seul auteur, encore moins d’une seule page. J’ai découvert la BD dans les années 70 de manière globale, le franco-belge avec mes premiers Astérix et Pif, les Comics avec Strange et le manga au travers des animes de Récré A2, il faudra attendre presque 20 ans pour que Jacques Glénat se lance dans l’aventure et sorte avec un succès plus que discutable ses premiers mangas. Il n’y bien que la BD italienne qui soit passée entre les mailles du filet. Je crois que la mainmise Bonelli n’y est pas pour rien. Ceci étant, la dernière page acquise est une Corrado Roi… Alors ne garder qu’une page ? A quoi bon…
4. Si je pouvais acheter une œuvre que j'ai laissé filer par le passé ?
Ce serait évidemment la page de Moebius évoquée plus haut. Les Jardins d’Edena est un album qui m’a bouleversé graphiquement, il y a une telle pureté dans ses pages, une telle perfection de narration.
J’ai vu des planches passer lors de VAE, certaines sur 2DG, à chaque fois je me suis fait la même réflexion : comment peut-on vendre de telles merveilles ?
5. Si je pouvais avec un budget de 5 000 € acquérir une ou plusieurs œuvres parmi celles proposées en vente sur 2DG ?
Peut-être la page de Gotlib « Alfred Hitchcock présente... », parce qu’il faut en choisir une :
Planche originale de Gotlib proposée à la vente par Huberty & Breyne
6. Si j’étais un personnage de Bande Dessinée ?
Laureline. J’ai pensé Valérian, la BD, mais définitivement je préférerais être Laureline. Il va falloir que je creuse la question...
L’empire des mille planètes est ma toute première BD, un réseau de distribution pétrolier l’offrait pour un plein d’essence, je n’avais pas cinq ans, ne savais pas encore lire, mais déjà à l’arrière de la voiture familiale, la magie opérait, ce fut sans doute le voyage le plus calme que mes parents aient fait.
Je ne sais pas si j’ai appris à lire avec la BD comme le veut la coutume, mais une chose est certaine, j’ai su lire une BD avant de savoir lire un texte.
Valérian et Laureline
7. Si j'avais la possibilité de passer une journée avec un artiste disparu ?
Jean-Claude Mézières me vient à l’esprit immédiatement, mais ce serait Jacobs.
Pour avoir eu la chance de travailler avec Jean-Claude sur sa bibliographie (cf. dBD), je sais qu’en sa compagnie il n’y a pas de barrière, l’échange est riche et naturel. Un dessinateur dont l’œuvre est aussi immense que son abord facile, d’une exigence incroyable avec lui-même et les autres mais d’une gentillesse rare. C’est également ainsi que j’imagine Jacobs, notamment grâce à ses entretiens du Bois des pauvres.
Portrait d'Edgar-Pierre Jacobs
8. Si je pouvais poser une question à cet auteur ?
Quel regard portez-vous sur votre héritage ?
Les multiples reprises, les affaires...
9. Si je ne devais posséder qu'un seul album dédicacé dans ma collection ?
Voilà qui est plus simple, n’étant pas grand amateur de dédicaces, je choisirais un dessin et un univers qui me semblent compatibles avec l’exercice : Calvin et Hobbes.
Je peux relire inlassablement ce chef d’œuvre. Tout est d’une grande justesse et la personnalité de l’auteur est en accord parfait avec son œuvre. Quant au dessin, là encore je suis conquis. L’exposition organisée par Angoulême en 2015 autour de l’œuvre de Bill Watterson fut un pur ravissement.
Calvin & Hobbes par Bill Watterson
10. Si je pouvais lire la suite d’une bd ?
Ce serait Le dernier loup d’Oz, j’ai attendu cette suite de longues années. Ce prologue fut un choc graphique pour beaucoup de lecteurs des années 90. Le dessin de Lidwine est d’une virtuosité incroyable sur cet album.
Les univers fantasy des années 80 et 90, regorgent d’albums qui ont marqué mon parcours bédéphile, il y a bien sûr, La Quête de l’Oiseau du temps de Loisel et Le Tendre, Légendes des contrées oubliées de Ségur, L’épée de Cristal de Crisse et Goupil, Sioban de Rosinski et Dufaux, ou encore Le Soleil des loups de Qwack et Gonnort… Au milieu de tous ces albums, une couverture d’une beauté saisissante se détache, à l’intérieur la promesse est tenue, dépassée même. Un prologue qui amènera Lidwine sur le chemin d’une Quête qui l’éloignera d’Oz.
Couverture du Dernier Loup d'Oz par Lidwine
Voici enfin la réponse de Ludovic à une question imaginée par Ludo75 lors du précédent Si... si... si... :
11. Planches originales de BD... avec ou sans bulles ?
Avec ou sans grande case ? Questions similaires...
Les auteurs doivent-ils envisager leur album comme un ensemble d’œuvres uniques destinées à la vente ? L’album de bande dessinée a-t-il encore sa raison d’être si on l’aborde ainsi ?
Je ne poserais pas ces questions en ces termes. Le clin d’œil alcoolisé de la question s’applique parfaitement ici. L’art séquentiel définit par Will Eisner n’implique pas nécessairement de phylactères.
Planche originale de Big City par Will Eisner
Partant de ce principe, si la page originale en est naturellement dépourvue, pourquoi pas. Mais en dehors de ces cas, peu fréquents, on sait que beaucoup de pages sans bulles, ont été initiées par les galeristes pour leur donner un aspect plus décoratif, plus accrochable.
Pour ma part je reste attaché à l’œuvre dans son intégralité. Il y a plusieurs types de collections, certaines plus liées à l’illustration se retrouveront évidemment mieux dans des pages sans bulles, d’autres privilégient les histoires et regardent les planches comme des éléments faisant partie d’un ensemble.
Je n’y vois pas d’opposition nécessaire ou de hiérarchie, juste des inclinaisons différentes. Mais enfin, une page d’Astérix sans le texte de Gosciny n’est pas tout à fait la même. Quant à Chris Ware, il est aussi génial lorsqu’il réalise une page muette que lorsqu’il emplit ses cases microscopiques de textes...
Nous remercions Ludovic pour sa participation.
Rendez-vous le mois prochain !