Namor : naissance en eaux troubles

18 septembre 2016,  par  William Blanc

 

    Apparaissant pour la première fois dans Marvel Comics #1 (octobre 1939), Namor le Sub-Mariner est largement inspiré de l'Antiquité gréco-romaine. Les ailes à ses chevilles lui permettant de voler (et rappelant celle du dieu Hermès) mais aussi son nom, Namor, qui lu à l'envers donne "Roman" (Romain"), le montrent assez clairement.

Néanmoins, à la différence de Wonder Woman (rappelez-vous, nous en parlions ici sur le site de 2dgalleries.com), l'Atlante ne représente pas l'Antiquité lumineuse de la démocratie athénienne et des philosophes. Au contraire, dès sa première aventure, il attaque et tue deux hommes. Plus tard, il passe une grande partie de ses aventures à semer le chaos dans New York. Ce n'est qu'avec le début de la guerre que le Sub-Mariner rejoint d'autres super-héros (dont la Torche Humaine, qu'il a auparavant combattu) pour affronter les nazis.

 

Everett Bill (scénario et dessins), Marvel Comics, #1, octobre 1939. La mère de Namor lui raconte comment son peuple a été exterminé par "l'homme blanc" et lui demande d'aller à la surface venger les siens. Il s'agit très certainement d'une allusion aux ravages de la colonisation.

 

Cet étonnant destin doit beaucoup au caractère du créateur de Namor, Bill Everett, qui détonne parmi les premiers artistes de comics. Bien que de la même génération que Jack Kirby et Joe Simon (les créateurs de Captain America, dont nous avons parlions ici), il n'est pas issu d'une famille d'immigrés modestes, mais vient au contraire d'un milieu aisé de protestants blancs, descendants du poète anglais William Blake.

 

Everett vit donc une enfance paisible jusqu'à ce qu'il soit frappé par la tuberculose à l'âge de 12 ans. Obligé de déménager, vivant une forme de déclassement alors que l'Amérique, au même moment, est frappée de plein fouet par la crise de 1929, le futur dessinateur devient suite à cette expérience un "jeune homme en colère", comme il l'expliquera lui-même de nombreuses années plus tard. Son super-héros, créé dans la vague d'imitations qui a suivi l'apparition de Superman dans Action Comics #1 (juin 1938), ne pouvait donc pas être autre chose.

 

Namor est en effet en quête de vengeance et de revanche. Si son père est humain, sa mère est issue d'un peuple sous-marin massacré par une expédition des habitants de la surface. Depuis, seul de son peuple à pouvoir se mouvoir autant sous les mers que sur la terre ferme, le Sub-Mariner a décidé de semer la destruction à New York.

 

Impossible de ne pas penser, au vu de cette courte biographie, aux luttes anticoloniales qui secouent au même moment les empires européens, notamment celui de Grande-Bretagne, d'autant que la mère de Namor lui explique bien que ses adversaires ne sont pas les "humains", mais les "hommes blancs". Namor ressemble par ailleurs à un autre anti-héros de la littérature populaire vivant au fond des mers, le capitaine Nemo (notons la similitude entre les deux prénoms Nemo / Namor) créé par Jules Verne qui venait d'une famille Indienne et a construit le célèbre sous-marin Nautilus pour se venger de l'impérialisme anglais.

 

Everett Bill (scénario et dessins), Marvel Mystery Comics, #14, décembre 1940. Après avoir longtemps hésité, Namor finit par aider les alliés, et notamment un général français libre. 

   

Mais, alors que l'engagement américain dans la guerre se fait de plus en plus clair, Namor, qui a refusé tout d'abord de prendre parti, finit, dans Marvel Mystery Comics #14 (décembre 1940), par s'engager du côté des Alliés, notamment du côté des Forces Françaises Libres du général de Gaulle (que l'on croit reconnaître de dos dans le strip ci-dessus).

Ce parcours, là encore, n'est pas sans rappeler les débats qui ont agité les mouvements anti-impérialistes (notamment indiens) afin de savoir s'ils devaient rester neutres, se battre du côté des puissances coloniales ou rejoindre l'Axe.

 

Thomas Roy (scénario), Buscema John (dessins), Sub-Mariner, #20, décembre 1969. Si Namor s'allie avec des super-vilains, c'est avant tout, explique-t-il, pour préserver l'indépendance de son peuple et non pour conquérir la surface. Cela le distingue d'êtres maléfiques comme le Docteur Fatalis, auquel il finit par s'opposer. Cette divergence de vue semble recouper celle qui sépare, dans l'esprit des auteurs de ce comic-book, les indépendantistes du Tiers-Monde (qu'incarne Namor), luttant pour leur seule autonomie et le bloc soviétique totalitaire que représente Fatalis.


     À partir de la Seconde Guerre mondiale, Namor rentre donc dans le rang. Néanmoins, il gardera toujours un caractère rebelle et s'opposera dans les années 1960 aux Quatre Fantastiques et plus largement à l'ensemble du monde de la surface qu'il accuse de nier le droit à l'existence du peuple d'Atlantis. Aussi, avant les X-Men et Wolverine, apparus dans les années 1970, Namor représente le premier anti-héros venant déranger la conscience des lecteurs de comics.

 

    Milligan Peter (scénario), Ribic Esad (dessins), Sub-Mariner. The Depths, #4, mars 2009. Dans cette version récente, Namor redevient un personnage inquétant, plus même qu'il ne l'était auparavant. Il représente l'antithèse même de la civilisation, notre part sauvage et irrationnelle perdue au fonds des mers de notre inconscient. 

 

Vous pouvez retrouver les oeuvres originales consacrées à Namor sur le site 2dgalleries.com à cette adresse.

 

William Blanc

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7 commentaires
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William Merci BenD ;-)
11 janv. 2017 à 22:36
BenD article absolument génial, bravo !!
10 janv. 2017 à 17:59
William Merci Noiretblanc :)
22 sept. 2016 à 19:36
William Merci Boris. Hâte d'écrire le prochain :)
21 sept. 2016 à 18:56
Boris Bel article. Merci!
21 sept. 2016 à 18:43
William Merci Fazo ;-)
18 sept. 2016 à 23:52
fazo Article topissime, belle analyse de la complexité de ce personnage.
18 sept. 2016 à 22:29