Le Si... si... si... : Frédéric Lorge / Comic Art Factory
Né à Charleroi, berceau de la fameuse école de Marcinelle, Frédéric Lorge est le créateur et gérant de la Galerie Comic Art Factory.
Frédéric Lorge en compagnie de Clarke à la Galerie Comic Art Factory
Après quelques expositions virtuelles, il s’est installé en galerie physique à Bruxelles en avril 2018. Appréciant tout autant le comics que le franco-belge, il reste avant tout un lecteur avide de découvertes.
Si vous nous parliez de la naissance de votre vocation ?
L’un de mes premiers souvenirs c’est la lecture du Strange n° 119 (novembre 1979). J’avais quatre ans et demi, mon père m’avait appris à lire, et un voisin m’avait offert cette revue. J’y découvre alors Iron Man, Spider-Man et Daredevil.
Un souvenir très précis, c’est le baiser passionné que la Veuve noire et Daredevil partagent sur le toit d’un immeuble. Cela a fait sensation à l’école quand j’y ai amené le livre le lendemain :
Visuel copyright(c) Marvel Comics
Puis il y a les heures passées à lire à la bibliothèque ou dans le rayon BD des supermarchés pendant que ma mère faisait les courses. La lecture de bandes dessinées a toujours été pour moi un moment privilégié, très intime et enthousiasmant. Je n’ai jamais été un lecteur d’hebdomadaire, mais je guettais avec impatience l’arrivée de Strange, Spidey, Titans et Nova chaque mois chez mon libraire.
A 19 ans, je ne pouvais pas me permettre d’acheter toutes les bandes dessinées qui m’intéressaient, et les bibliothèques ne pouvaient déjà plus suivre toutes les nouveautés. Par passion des mots et de la bande dessinée, je me suis donc improvisé journaliste pour un fanzine de rock, et un hebdomadaire gratuit de ma région natale. Ce qui me permettait d’avoir accès à un service de presse gratuit, le Graal en quelque sorte.
Puis vinrent les premières interviews, comme avec Midam à la sortie du premier « Kid Paddle », dont je reste un très grand fan.
Kid Paddle
Au fil des ans, j’ai écrit quelques communiqués de presse pour l’une ou l’autre maison d’édition, effectué quelques relectures, scénarisé un album BD en temps réel pendant le Mondial de football 1998, et scénarisé quelques strips des Schtroumpfs, ce qui reste un de mes meilleurs souvenirs professionnels. Acheter un album et y découvrir quelques gags basés sur vos idées, alors que ces personnages ont bercé mon enfance, reste un moment exceptionnel.
Strip écrit pour Les Schtroumpfs ©Peyo/IMPS
Les originaux sont venus assez tard, il y a une douzaine d’années seulement. Après être ressorti quelque temps plus tôt d’une galerie bruxelloise effaré par les prix, c’est via Ebay que j’ai pu débuter ma collection avec quelques planches de comics, qui étaient financièrement à ma portée.
Et quelques temps plus tard, les rencontres m’ont conduit à vouloir mettre en avant le travail d’artistes dont je suivais le travail depuis des années. Je remercie toujours des artistes comme Clarke et Isabelle Dethan de m’avoir fait confiance alors que je n’avais aucune expérience et ne disposais même pas encore d’un site web.
Si vous évoquiez la découverte artistique qui vous a le plus surpris ?
Une planche du « Mort Cinder » d’Alberto Breccia, que j’ai admirée une demi-heure chaque jour pendant un précédent festival d’Angoulême.
Les originaux de Jack Kirby sur son adaptation du « 2001 » de Kubrick, où je décèle dans certaines pages un créateur merveilleusement libre :
"2001 Space Odyssey" ©Jack Kirby
Et la délicatesse du travail de Kokor dans « Au-delà des mers » :
© Kokor / Futuropolis
Outre la beauté de son travail, et l’évidence de ses ellipses, c’était aussi le fait de réaliser que même en étant curieux et attentif, je n’avais jamais eu entre les mains le travail d’un auteur qui me touche énormément et qui publie pourtant depuis plus de 15 ans. Cela m’a à nouveau prouvé que nous avons tous des œuvres qui nous attendent.
Si vous deviez citer une qualité qui vous distingue de vos confrères dans votre approche de ce métier ?
Je vois trois différences majeures entre certains de mes confrères et moi.
Premièrement, je lis beaucoup de nouveautés. J’ai un besoin vital de lire chaque semaine. Cela me nourrit toujours autant. Et j’aime être surpris, désarçonné.
C’est un plaisir d’être embarqué dans une histoire et de contacter ensuite son auteur pour lui proposer de mettre son travail en valeur. Sans pari, sans prise de risques, où est l’intérêt de ce métier ? Et il m’arrive régulièrement de conseiller à mes clients d’aller voir des expos chez mes confrères.
Deuxièmement, la réalisation d’interviews vidéo, pour tenter de présenter la personnalité des artistes, tant au niveau de leur trait que de leur tempérament ou de leur vécu.
Les vidéos de la Galerie Comic Art Factory sur YouTube
Troisièmement, alors que de nombreux concurrents vendent les planches originales de bande dessinée comme un investissement sûr, où tout se multiplie allégrement au fil des ans, je m’éloigne radicalement de ce discours. Je ne dispose pour ma part d’aucune boule de cristal. Je me contente donc de proposer une sélection d’œuvres à un prix qui me semble pertinent et cohérent. Et via mes expositions, je prouve continuellement que l’on peut encore aujourd’hui se constituer une collection de planches originales avec des prix raisonnables, pour autant que l’on ait l’esprit curieux.
Si vous deviez citer une oeuvre dont dont vous auriez du mal à vous séparer ?
Cette planche de « Batman » par Joe Kubert :
Elle constitue selon moi une incroyable leçon de narration. Tout y est d’une évidence incroyable : cadrage, composition, atmosphère. Et cela en gardant le personnage principal de dos. La grande classe !
Si vous pouviez réaliser une exposition d’un auteur (vivant ou disparu) en ayant accès à l’intégralité de sa production ?
Etant gourmand, je me limite rarement à une seule envie. Alors soyons fous !
J’adorerais exposer les planches du « Zorro » d’Alex Toth, si elles réapparaissaient un jour. Le graphisme de cet auteur méconnu est d’une infinie délicatesse, et beaucoup réaliseraient alors l’énorme influence qu’il a eue sur Hugo Pratt :
© Alex Toth
Toujours dans l’international, j’avoue qu’une exposition consacrée à Bernie Wrightson ou Alberto Breccia m’enthousiasmerait tout autant. Et du côté franco-belge, j’opterais entre autres pour Caza et Lambil.
Si vous aviez dû exercer un autre métier ?
On serait dans le partage des coups de cœur, artistiques et humains, ou dans l’écriture. Soit en tant qu’animateur radio, avec de la programmation musicale et des invités (mon ancien job préféré), soit en tant que scénariste.
Nous remercions Frédéric Lorge pour sa participation et souhaitons beaucoup de belles expositions à venir à la Galerie Comic Art Factory.
Rendez-vous le mois prochain !