Je l'ai rencontré avant d'adapter Brouillard au pont de Tolbiac. Dans les premiers temps, je le voyais régulièrement pour lui montrer les planches avant parution dans (A suivre). Léo Malet n'intervenait pas du tout sur l'adaptation proprement dite, comme la réécriture des dialogues. Comme Nestor Burma n'est jamais décrit physiquement, je lui avait juste demandé à quoi il ressemblait. Il n'y avait pas encore le feuilleton et il se référait aux films. Le meilleur Nestor Burma, pour lui, était l'acteur René Dary, dans le film 120, rue de la Gare, que je n'ai jamais vu, qui a disparu de toutes les cinémathèques. Si on devait le refaire, disait-il, ce serait Yves Montand, Gabin, ou Léotard. Dans la conversation, j'avais cru comprendre que Nestor Burma avait fait de la boxe, peut-être était-ce mentionné dans un roman que je n'avais pas lu. C'est pour ça que je lui ai fait le nez cassé et les oreilles décollées. Il aimait bien ce que je faisais, il retrouvait ses décors.
Mais que ce soit bien clair, nous ne partagions pas les mêmes idées. Les relents racistes qui émaillent presque chaque bouquin, je les ai tous gommés. Dans Brouillard au pont de Tolbiac, j'avais mis un graffiti sur un mur : FLN vaincra. Il m'avait dit : "Tardi, nous n'avons pas les mêmes idées, mais je vous aime bien". Nous avions des rapports courtois, on ne cherchait pas à parler politique. Les dernières fois que je l'ai vu, ces derniers mois, à l'hôpital, il était abattu en pyjama sur sa chaise, on parlait cinéma, romans policiers, de mon adaptation de Casse-pipe à la Nation qui paraît maintenant dans (A suivre), et il se souvenait très bien de son roman qui date d'il y a une trentaine d'années.