Dans la collection de Zilch
Lettre autographe de 4 pages
Œuvre originale
Crayon
Ajoutée le 09/02/2025
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Inscriptions / Signatures
Signée
Commentaire
« Mardi soir et mercredi matin.
Ma chère amie, je devrais peut-être revenir, cette fois, au crayon, eut égard à la solennité des choses. Mais cela me gênerait pour vous remercier de votre lettre comme je le veux. Je n’ai pas besoin de vous dire que j’ai été ému et fier que vous ayez pensé à associer mon nom à celui de Prosper, pour la postérité. Mais surtout du ton affectueux de votre lettre, et surtout de la façon que vous me l’annoncez. Ni plaisamment, ni solennellement. Avec une amitié confiante, affectueuse, sure d’elle-même et de celle qui la reçois. Je voudrais vous remercier avec le même ton, les mots – sans littérature, d’homme sincère. Ce qui n’est pas commode. En vieillissant, je prends une grande horreur des mots, même arrangés d’une façon ingénieuse et, d’une manière générale, de n’importe quel moyen d’expression autre que le regard. J’ai vu l’autre jour, près de l’asile de nuit de la rue de Tocqueville, deux clochards sourds muets, dont un assez jeune. Depuis, je suis en admiration devant le [souvenir] de leurs regards. Ils ne se quittaient pas des yeux une seconde et y mettaient une intensité, une constance et une volonté d’intelligence, étonnantes. A peine quelques gestes de la main ou du bras pour appuyer les accents toniques. J’ai pensé à vous et à votre « femme sincère ». Je suis sûr que vous arrivez peu à peu en ce moment à votre sincérité c’est-à-dire à un équilibre à peu près stable entre les cinq ou six Lucienne Favre principales. Mais il faudra communiquer ça aux lecteurs ! L’essayer puis voir leur réaction et essayer de les comprendre. Non pas seulement chez des snobs et l’« élite ». Ceux des lecteurs sincères, eux aussi, qui cherchent le contact ! Pourquoi il ne faut pas assez en faire pour Prosper n°5, à travers lequel votre pensée va aux gens sensibles, à peu près [xxx] qu’avec le Prosper 3 ou le Prosper 4. Le succès toujours de mauvais aloi n’est pas une raison d’ailleurs pour le refuser ! Je crois que je suis en train de vous raser avec de bien mauvaise littérature. Cela tient au jour et à l’heure. J’ai commencé cette lettre vers minuit et j’ai écrit « ma chère amie » après quoi j’ai dessiné jusqu’à maintenant (il doit être 8 heures aux montres des gens ordinaires) pour cette raison [sublime] je suis porté avec des excès vers les spéculations fumeuses. Pardonnez-moi et ne gardez de ces pages assommantes que le merci qui était la seule chose à dire et l’amitié affectueuse et profonde qu’il est inutile de mentionner. Portez-vous bien au milieu de votre printemps algérien et de votre calme revenu. Ici il fait noir, sale et triste et il pleut. Je vous souhaite tous les bonheurs possibles. Et aussi quelques [liens d’impossibles].
Votre Gus Bofa »
NB : Il s’agit certainement d’une lettre à son amie l’écrivaine Lucienne Favre qui a longtemps séjourné puis vécu en Algérie et que Colette contribua à faire connaitre. Gus Bofa et Lucienne Favre ont longuement correspondu ensemble
Ma chère amie, je devrais peut-être revenir, cette fois, au crayon, eut égard à la solennité des choses. Mais cela me gênerait pour vous remercier de votre lettre comme je le veux. Je n’ai pas besoin de vous dire que j’ai été ému et fier que vous ayez pensé à associer mon nom à celui de Prosper, pour la postérité. Mais surtout du ton affectueux de votre lettre, et surtout de la façon que vous me l’annoncez. Ni plaisamment, ni solennellement. Avec une amitié confiante, affectueuse, sure d’elle-même et de celle qui la reçois. Je voudrais vous remercier avec le même ton, les mots – sans littérature, d’homme sincère. Ce qui n’est pas commode. En vieillissant, je prends une grande horreur des mots, même arrangés d’une façon ingénieuse et, d’une manière générale, de n’importe quel moyen d’expression autre que le regard. J’ai vu l’autre jour, près de l’asile de nuit de la rue de Tocqueville, deux clochards sourds muets, dont un assez jeune. Depuis, je suis en admiration devant le [souvenir] de leurs regards. Ils ne se quittaient pas des yeux une seconde et y mettaient une intensité, une constance et une volonté d’intelligence, étonnantes. A peine quelques gestes de la main ou du bras pour appuyer les accents toniques. J’ai pensé à vous et à votre « femme sincère ». Je suis sûr que vous arrivez peu à peu en ce moment à votre sincérité c’est-à-dire à un équilibre à peu près stable entre les cinq ou six Lucienne Favre principales. Mais il faudra communiquer ça aux lecteurs ! L’essayer puis voir leur réaction et essayer de les comprendre. Non pas seulement chez des snobs et l’« élite ». Ceux des lecteurs sincères, eux aussi, qui cherchent le contact ! Pourquoi il ne faut pas assez en faire pour Prosper n°5, à travers lequel votre pensée va aux gens sensibles, à peu près [xxx] qu’avec le Prosper 3 ou le Prosper 4. Le succès toujours de mauvais aloi n’est pas une raison d’ailleurs pour le refuser ! Je crois que je suis en train de vous raser avec de bien mauvaise littérature. Cela tient au jour et à l’heure. J’ai commencé cette lettre vers minuit et j’ai écrit « ma chère amie » après quoi j’ai dessiné jusqu’à maintenant (il doit être 8 heures aux montres des gens ordinaires) pour cette raison [sublime] je suis porté avec des excès vers les spéculations fumeuses. Pardonnez-moi et ne gardez de ces pages assommantes que le merci qui était la seule chose à dire et l’amitié affectueuse et profonde qu’il est inutile de mentionner. Portez-vous bien au milieu de votre printemps algérien et de votre calme revenu. Ici il fait noir, sale et triste et il pleut. Je vous souhaite tous les bonheurs possibles. Et aussi quelques [liens d’impossibles].
Votre Gus Bofa »
NB : Il s’agit certainement d’une lettre à son amie l’écrivaine Lucienne Favre qui a longtemps séjourné puis vécu en Algérie et que Colette contribua à faire connaitre. Gus Bofa et Lucienne Favre ont longuement correspondu ensemble
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A propos de Gus Bofa
Très grièvement blessé aux jambes en décembre 1914 lors des combats du Bois-le-Prêtre, il refuse d’être amputé et, de son lit d’hôpital, envoie des dessins à La Baïonnette.
Au lendemain de cette guerre, qui l’a laissé infirme, il commence, poussé par Mac Orlan, une carrière d’illustrateur de livres de luxe. Il met ainsi en image Mac Orlan, Courteline, Swift, Voltaire, De Quincey, Cervantès ou Octave Mirbeau. Parallèlement, il publie des albums personnels comme Le Livre de la guerre de Cent Ans ou Chez les toubibs.
Fondateur et directeur du Salon de l’Araignée, qui veut donner un espace de liberté aux dessinateurs et les pousser à un art plus personnel, Bofa s’occupe aussi de la chronique littéraire du Crapouillot, magazine littéraire et artistique, qu’il tiendra jusqu’en 1939.
Avec les années 1930, son œuvre prend un tour de plus en plus personnel et hanté. Malaises décrit l’angoisse existentielle et La Symphonie de la peur propose la peur comme moteur de l’histoire humaine. Zoo présente l’homme comme un animal dénaturé.
Les années 1950 marquent la fin de l’édition de luxe et, pour Bofa, le début de l’oubli. Indifférent à la gloire, il approfondit, à travers des livres autobiographiques, dont il signe textes et images, comme La Voie libre, Déblais ou La Croisière incertaine, une réflexion désabusée et pessimiste sur la condition humaine.