Dans la collection de MV9957
Carlos Giménez, Les Professionnels 1 - Los Profesionales - Planche originale
785 

Les Professionnels 1 - Los Profesionales

Planche originale
1983
Encre de Chine
51 x 36 cm (20.08 x 14.17 in.)
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Los Profesionales 1
Les Professionnels 1
Les Professionnels Intégrale
Cuadernos de divulgación de la historieta - Carlos Giménez
Masters of Spanish Book Art - David Roach
Selecciones Ilustradas

Commentaire

Voilà ! Une dernière planche de Carlos Giménez avant de passer à autre chose. Un caprice, j'en voulais une avec des belles poupées, Carlos Giménez les dessinait si bien ! Et pourtant il dit que pour la représentation des femmes, tous les dessinateurs espagnols de sa génération se sont inspirés de Pepe Gonzalez ... ce qui n'est pas le moindre des paradoxes.

Cette planche clôt le premier chapitre du Tome 1 de la série Les Professionnels, le chapitre inaugural sobrement intitulé "Los Profesionales". Par la suite chacun des chapitres constitué comme une mini-nouvelle aura un titre particulier.

Carlos Giménez et le Réalisme Autobiographique

Carlos Giménez croule sous la reconnaissance internationale et les récompenses. Il a en particulier été récompensé deux fois à Angoulême pour Paracuellos, meilleur album en 1981 et patrimoine en 2010, une des œuvres majeures de l’histoire de la BD. Cette œuvre est hélas trop souvent l’arbre qui cache la forêt de l’œuvre de Carlos Giménez, qui tout entière fait partie du patrimoine de la BD.

On sait depuis Paracuellos que la vie et l’œuvre de Carlos Giménez sont indissociables. Comme dit l’écrivain Francisco Candel (*1) : « ….son art, sa façon de comprendre et interpréter la vie au travers de la BD, ou inversement, comprendre et interpréter la BD au travers de la vie… ». Son enfance fut tellement traumatique que la BD, en lui permettant de verbaliser cette horreur, lui servit de psychanalyse et d’exorcisme.

Dans cette ligne qualifiée de « réalisme autobiographique » qu’il a créée et développée, et toujours à sa façon si particulière de mêler satyre, pathos et tendresse, faire rire et pleurer tout à la fois, Carlos Giménez donna un prolongement à Paracuellos avec:
- La série Barrio, évocation critique de l’Espagne des années 1950 ; la série raconte son retour à la famille à 14 ans, puis son adolescence dans son quartier du Madrid de cette époque.
- La série Les Professionnels (complétée par Rambla Arriba, Rambla Abajo), évocation sardonique et bouffonne, tendre et sentimentale, de la vie au travail dans une agence artistique - studio de dessinateurs dans les années 1960 à Barcelone.

Les agences artistiques de dessinateurs espagnols (*2)

Il faut rappeler (brièvement) ce que furent ces agences espagnoles, dont l’émergence au mitan des années 1950 eut un grand impact sur la vie des auteurs espagnols étouffés par leur marché propre, étroit et censuré, et sur l’histoire de la BD en général. La première agence internationale véritable fut Selecciones Ilustradas (S.I.) créée par un auteur visionnaire de l’époque : Josep Toutain. Comme d’autres, il vint à Paris au début de cette décade, chercher un travail mieux rémunéré. Il découvrit qu’il y avait alors une forte demande de talents. Il fonda donc son agence en 1953, à Barcelone, qui travailla d’abord pour les marchés français et espagnol, puis reçut de très importantes commandes de la Grande-Bretagne en 1957, puis s’étendit progressivement, en incluant les illustrations, aux pays scandinaves et à l’Allemagne dans les années 1960 -et à d’autres marchés à travers le monde- avant de finalement toucher le marché US dans les années 1970. Le plus important concurrent de S.I. à cette époque, était Creaciones Editoriales (C.E.), l’agence créée par le grand éditeur Bruguera, également à Barcelone. Bruguera qui comptait également dans ses rangs de nombreux artistes de talent, s’était associé avec l’agence belge A.L.I. pour représenter ses auteurs à l’étranger. Même si les jeunes auteurs préféraient S.I., plus libertaire et payant mieux, le turn-over entre les diverses agences était de façon générale important. La dernière grande agence à apparaître, en 1956, fut BARDON co-entreprise hispano-britannique (Bar pour Barcelone et Don pour London), installée en Espagne. A son sommet, dans les années 1970-1980, cette agence représentait plus de 70 artistes. NORMA apparut en 1977, mais elle s’inclinait plus vers une activité éditoriale que véritablement d’agence artistique.

L’âge d’or de ces agences correspondit à la période 1955-1975. Au cours de la décade 1970, les agences espagnoles travaillaient pour le monde entier, couvrant tout type de besoin (en France ça allait de travaux pour Pilote jusqu’aux nombreux petits-formats). Dans un cadre de stakhanovisme, bâclage et système D, ces agences produisirent des centaines de milliers de pages anonymes, réalisées par des vétérans aussi bien que par une importante génération de jeunes auteurs attirés par l’appel d’air. De fait, l’esprit insufflé par Josep Toutain, ainsi que les contacts avec l’étranger, étaient dans les années 1960 comme une fenêtre de liberté dans l’Espagne franquiste. Les dessinateurs espagnols n’accédèrent cependant à une reconnaissance artistique internationale qu’avec les publications aux USA des magazines de l’éditeur Warren (Vampirella-Eery-Creepy).

Les Professionnels

Carlos Giménez travailla, entre autres, pour Selecciones Ilustradas, et c’est bien cette agence qui sert de cadre à Les Professionnels, même s’il en a changé le nom en Creaciones Ilustradas. Il représente souvent, et en particulier sur la première planche de mon diptyque du tome 3, l’immeuble où S.I. s’était installée en 1959, un magnifique édifice Art Déco (qu’il représente de façon gothique pour accentuer la dramaturgie) situé à l’angle de l’Avenida Diagonal et du Paseo San Juan à Barcelone. Une quarantaine de dessinateurs y travaillaient en 1961.
Carlos Gimenez avoue volontiers qu’avec ses compères de l’agence, ils partageaient tout, dans leurs vies professionnelles et privées, et qu’ils menaient une vie anarchique, ouverte à tous les vents, prêts à attraper tout ce que la vie mettait à leur portée.

Dans ces années 1960 la BD était dans une phase de changement radical en Europe et Carlos Giménez prit conscience de la nature du media BD, moyen d’expression artistique et moyen de communication, ainsi que des conditions de travail précaires des auteurs, qui étaient exploités et dont le travail était manipulé et commercialisé sans aucun respect pour eux. Il en fit au fil des années un combat permanent et syndical s’inscrivant dans son engagement politique.

Les Professionnels couvre la période 1964-1968, et les personnages croqués dans cette série, quoiqu’affublés de noms d’emprunt, correspondent à Adolfo Usero, Luis García, Eugenio Giner, Victor Ramos, Alfonso Font, Miguel Fuster, Fernando Fernández, Josep María Beá, José Rubio, Esteban Maroto, Florencí Clavé, Manfred Sommer, Miguel Yáñez, ainsi que Josep Toutain et Carlos Giménez lui-même.

Le style de Carlos Giménez

D’abord trois remarques factuelles sur l’art de Carlos Giménez :
- Son trait est semi-réaliste, et il joue sur les proportions de réalisme et de caricature en virtuose selon le type de personnage qu’il veut dépeindre.
- Il y a plusieurs plans de narration dans ce réalisme autobiographique, dont deux qui reflètent le point de vue de Carlos Giménez : celui du protagoniste (son avatar, enfant ou adulte), et celui du narrateur.
- Dans le premier volume de Paracuellos, les histoires étaient composées en sketchs de deux pages avec chute finale. Dès le second tome Carlos Giménez fait évoluer sa composition vers des mini-histoires, avec de l’ampleur et de l’épaisseur, sortes de nouvelles graphiques.

Carlos Giménez qui grandissait à chaque étape de sa carrière, faisait évoluer sa technique et gagnait en autonomie, jusqu’à devenir l’auteur - scénariste de ses propres histoires. Dessinateur virtuose, il dit pourtant que le dessinateur est au service du scénariste, car l’important ce n’est pas de faire briller ses talents de dessinateur, mais de transmettre une histoire ou une vision.


J’aime tout particulièrement la partie « réalisme autobiographique » de son œuvre, mélange original d’humour sardonique et cruel, de pathos, de tendresse, voire même parfois de mièvrerie, d’une vision sociologique d’une incroyable acuité doublée d’une critique politique féroce, tous éléments dont la proportion varie d’une série à l’autre selon la tonalité générale recherchée: tableau de mœurs, satyre, reconstitution historique, etc.

J’y vois une parenté avec le Will Eisner d’Un Pacte avec Dieu, ainsi qu’un cousinage avec le trait d’une autre de mes idoles: Gotlib (dont l’humour était surtout intellectuel, absurde et parodique, non incarné dans des personnages réels, et donc sans pitié ni tendresse). Je comprends pourquoi Gotlib admirait Carlos Giménez et l’avait publié en France.


(*1) Dans le 1er numéro de Cuadernos de Divulgación de la Historieta en 1982, qui était consacré à Carlos Giménez
(*2) Voir Masters of Spanish Comic Book Art par David Roach, et :
https://www.tebeosfera.com/documentos/los_profesionales._spain_is_different.html
https://www.lambiek.net/artists/t/toutain_josep.htm

Publication

  • Les Professionnels
  • Audie
  • 03/1983
  • Page intérieure

Voir aussi :   Les Professionels

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A propos de Carlos Giménez

Carlos Giménez est un auteur espagnol de bande dessinée. Il est surtout reconnu pour ses bandes dessinées autobiographiques publiées à partir des années 1970 retraçant son enfance en internat (Paracuellos), son adolescence et la vie des auteurs de bande dessinée barcelonais (Los Profesionales). Paracuellos lui a valu l'Alfred du meilleur album au Festival d'Angoulême 1981 et le Prix du patrimoine au Festival d'Angoulême 2010.