La marche des rusés

Planche non aboutie, crayonné préparatoire et encre de chine, probablement prévue pour l'histoire ZIL ZELUB: elle n'apparait pas dans l'album.

Signée et datée

Il est réconfortant de constater comment certains auteurs de bandes dessinées s'engagent dans une contestation virulente contre certains travers de la société dans laquelle ils vivent et créent. Zil Zelub patauge dans un dépotoir Kafkaïen et un héros aux prises avec un pouvoir autoritaire, sévissant dans tous les compartiments de la société. Il fait aussi référence à la terreur subie par la population italienne dans les années de plomb, vécue par Guido Buzzelli: plusieures centaines d'attentats anarchistes, d'extrême gauche, d'extrême droite, depuis la fin des années 1960 puis s'étalant sur toute la première moitié des années 1970; violences orchestrées par des officires gouvernementaux, des services secrets, par des loges maçonniques: et que dire de l'influence de la mafia ... Guido Buzzelli dépeint l'anxiété ambiante et le chaos reignant dans la société italienne de cette époque.

Il n'est alors pas étonnant que le personnage soit démembré à longueur de temps, qu'il ne puisse faire un geste sans perdre un bras ou une jambe, ou bien qu'il perde le contrôle de ses membres qui, en toute autonomie, en profitent pour s'engager dans des actions répréhensibles par la morale. Notre héros est perdu mais honète, pour ton malheur...

Cette planche intitulée "la marche des rusés" est particulièrement intéressante: elle met en relation directe, bien visible, le travail préparatoire au crayon à la mine de plomb et la finition des traits à l'encre de chine. Notez la fluidité des crayonnés, la précisions des trais à l'encre et l'exceptionnelle expressivité des personnages.

Elle est aussi un symbole puissant des conditions de vie de l'auteur, de ses contemporains, au début des années 1970 en Italie: rien ne peut être achevé, tout reste en plan, le présent ne peut avoir de futur définit ou même perceptible. Les personnages qui défilent devant le démembré à terre forment une foule cauchemardesque aux visages oppressants.

Bigre, on n'aurait déjà pas aimé vivre dans l'Italie des années de plomb: encore moins dans celle décrite avec les yeux de Guido Buzzelli.

Il est écrit sur les panneaux des manifestants:
- le gouvernement aux hypocrites
- nous voulons un pouvoir avec plus d'intelligence
- laissons le passé aux prévaricateurs
- les riches au pouvoir
- les arrivistes au sommet
- le pouvoir aux dominateurs
- W la déception
- au large les proffiteurs...

Cela ne vous rappelle rien? Là, ici, pas loin...