Dans la collection de MV9957
La Décharge Mentale par Bastien Vivès - Illustration originale
4705 

La Décharge Mentale

Illustration originale
2018
Aquarelle
Encre et aquarelle
20 x 20 cm (7.87 x 7.87 in.)
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La Décharge Mentale

Inscriptions / Signatures

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Commentaire

Le dessin - « La Décharge Mentale » : c’est un dessin à l’encre de chine aquarellisé, où Bastien Vivès a reproduit, très précisément et très exactement, une des cases du livre. Bastien Vivès a réalisé ses dernières œuvres directement à l’ordinateur. A l’occasion de la sortie de ses œuvres il choisit donc quelques cases, selon des critères qui n’appartiennent qu’à lui, et en fait ces reproductions uniques à la main. C’est donc à la fois un original du livre et une illustration originale.

J’aime énormément cette case. Bastien Vivès y déploie toute sa sensibilité et son intelligence. Trois personnages y figurent : Isabelle, la femme parfaite du fantasme masculin, avec ses énormes nibards, fantasme des fantasmes, le Graal des fantasmes si j’ose dire, puisqu’il renvoie à l’allaitement et à la mère, l’amour interdit par excellence ; son mari Roger qui se voile la face ; et une de leurs filles, Lucie la cadette.

Isabelle fait face au lecteur, et le fixe du regard. En donnant vie au lecteur, ce regard le définit donc comme voyeur. En outre, ce n’est pas un regard neutre, c’est un regard à la fois innocent et narquois, une sorte de mise au défi : « vas-y si tu l’oses, puisque tu vois, puisque tu sais, puisque tu condamnes, intervient ! ». Evidemment le lecteur ne va pas intervenir ; il est donc doublement culpabilisé. Isabelle c’est la femelle de l’espèce (les gros nibards) et la reine mère castratrice d’une société matriarcale.

Roger se voile la face : le mari profite de la situation, mais en même temps il n’est pas heureux, et surtout, il a honte. Se voiler la face sert bien évidemment à masquer la vue, Roger ne veut littéralement plus voir (je rappelle qu’Œdipe se crève les yeux après avoir réalisé qu’il avait épousé sa propre mère).

Lucie n’a pas d’yeux dans le dessin de Vivès. L’absence de regard c’est l’innocence de l’enfance, c’est l’absence de jugement, ce en quoi Bastien Vivès montre bien que l'enfant n'a pas de libre arbitre dans cette affaire et est donc une victime des adultes. Et pourtant elle regarde le lecteur, interrogeant elle aussi par conséquent le lecteur.

Tout tourne donc autour du regard dans ce grand livre freudien : le regard conquérant et défiant de la reine mère castratrice, le regard masqué de Roger-Œdipe qui s’est crevé les yeux de honte et de lâcheté, et le regard absent de Lucie, qui ne sait pas et ne peut prendre parti parce qu’innocente et victime. Bastien Vivès pose donc tous les éléments du dilemme moral et prend position, mais il met en outre le lecteur au défi de prendre également position moralement et de ne pas être un simple voyeur !

Bastien Vivès

J’ai été estomaqué par « La Décharge Mentale » que j’ai découvert par hasard. J’ai lu dans la foulée « Les Melons de la Colère », et un peu plus tard « Le Chemisier » et « Petit Paul ». Du coup, mon commentaire ne portera que sur ces œuvres-là, en pleine méconnaissance des autres œuvres (« Polina », « Une Sœur », etc.). Je ne suis pas un spécialiste de Bastien Vivès, et encore moins son biographe ou son hagiographe. C’est donc un point de vue limité ou, plus exactement, circonscrit à ces productions parmi ses plus récentes.

Bastien Vivès, à mon avis, est un petit malin qui cache bien son jeu, car sous les apparences du pornographe se cache un moralisateur. Ces œuvres ont toutes été élaborées dans des styles différents : bouffonnerie pornographique délirante dans « La Décharge Mentale », fable sanglante dans « Les Melons de la Colère », farce pornographique carnavalesque et désopilante dans « Petit Paul », étude psychologique tout en finesse dans « Le Chemisier ». Il y pourtant des points communs :

« Les Melons de la Colère » : la différence sexuelle est honteuse, douloureuse et cachée ; elle est la source de frustrations et de refoulements. Les autres, les gens « normaux », ne se soucient de rien d’autre que d’exploiter la misère sexuelle. Il n’y a pas d’autre solution que lutter pour s’affirmer.

« La Décharge Mentale » : la normalité est une notion relative. L’invité, le mec « normal », qui est en fait l’œil du spectateur-lecteur, fait irruption dans une petite famille-société bien réglée qui vit selon d’autres standards moraux et sexuels. Il apporte avec lui les préjugés de la société « normale » qui vont perturber, à son corps défendant (si j’ose dire) l’harmonie de cette société marginale qui ne demandait rien. De quoi j’me mêle ! Mais l’idéal harmonique de cette société marginale est bâti sur le fantasme séculaire du mâle : la femme est là pour le servir, en tout et jusque dans ses moindres pulsions sexuelles, il n’a plus rien à faire, c’est le nirvana. Oui, mais ! Cet idéal n’est qu’illusoire car l’homme est dépendant de ses plaisirs et prisonnier de sa faiblesse.

« Petit Paul » : construit comme un film à sketchs, chaque sketch étant précédé d’un panneau qui est une parodie de la série des « Martine » de notre enfance. On est ici en plein délire. Petit Paul au sexe démesuré, tout autant d’ailleurs que la poitrine de sa sœur Magalie, tient le rôle d’un Auguste ou d’un Contre-Pitre, bien involontairement d’ailleurs parce que c’est un enfant. C’est par lui que les catastrophes arrivent. C’est une sorte de révélateur des frustrations et refoulements sexuels des adultes au fil des sketchs : institutrice nympho, adolescente musulmane « encadrée », adeptes des arts martiaux à la discipline morale vacillante, routiers gay pervers et lesbiennes obsédées, etc. La provocation est une invite à la réflexion sans doute plus efficace que le sermon, et on comprend que la société normale n’est pas une norme unique mais la somme des déviances et des particularités.

« Le Chemisier » : ou comment un simple détail, un vêtement, peut changer le monde de cette jeune femme effacée, hors de sa vie. Elle va inconsciemment, puis consciemment, devenir une autre, et ce faisant se révéler à elle-même dans sa vraie nature, devenir elle-même. Résumer cette histoire à un simple « c’est bien l’habit qui fait le moine » serait une erreur. Ce qui est décrit, c’est le processus et les étapes du changement. Mais surtout l’histoire se termine par une porte ouverte…. sur le regard d’une enfant. Le regard des autres, voilà encore et toujours l’obsession de Bastien Vivès.

L’obsession du regard …. Voilà bien la meilleure façon de qualifier un véritable artiste, en immersion profonde dans un jeu pervers entre le voyeurisme et ses fantasmes intimes, entre érotisme et moralisme, entre la pulsion et la répression. C’est pervers et brillant.

Trois filles de leur mère

J’ajoute, plus de 3 ans après, qu’il est difficile de ne pas penser au roman érotique de Pierre Louÿs : « Trois filles de leur mère » que je viens de découvrir. Certes, dans ce dernier roman, le cadre de prostitution de la mère et de ses filles, et les jeux et actes sexuels décrits dépassent -de loin, de très très loin- la fable de Bastien Vivès, mais il n’en reste pas moins que le cadre général : un visiteur inopiné « pris en charge » sexuellement par une mère et ses trois filles d’âge échelonné, montre que Bastien Vivès a lu et fait crédit de cette inspiration à Pierre Louÿs dans « La Décharge Mentale ». Mais les objectifs de Pierre Louÿs et de Bastien Vivès sont aux antipodes : parlant du livre de Pierre Louÿs, Jean D’Ormesson disait « C’est épatant. C’est pornographique, mais de haut niveau ! », alors que « La Décharge Mentale » est une fable moralisatrice.

Publication

  • La décharge mentale
  • Les Requins Marteaux
  • 02/2018
  • Page intérieure

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A propos de Bastien Vivès

Bastien Vivès est un auteur de bande dessinée français, né à Paris. Il est surtout connu pour ses romans graphiques et est également le cocréateur du manga français Lastman, lancé en 2013. Bastien Vivès est le chef de file d'une génération d’auteurs qui mêlent volontiers bande dessinée franco-belge, manga, animation, et jeu vidéo.