Dans la collection de MV9957
Luigi Critone, Je, François Villon - Tome 1 - Mais où sont les neiges d'antan ? - Planche originale
1587 

Je, François Villon - Tome 1 - Mais où sont les neiges d'antan ?

Planche originale
2011
Lavis
Encre de chine + lavis sur carton
40 x 50 cm (15.75 x 19.69 in.)
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Page 39 - version couleur
Mais où sont les neiges d'antan
Bienvenue parmi les ignobles
Je crie à toutes gens merci

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Commentaire

J’ai pris une énorme claque à la lecture de « Je, François Villon ». Beaucoup de choses ont été très bien dites, en particulier par EricB sur sa planche et sur sa fantastique couverture du tome 1 (pour laquelle je renouvelle mon admiration ; bravo et félicitation à EricB).

Je n’insisterai pour ma part que sur ce qui m’a fasciné dans cette histoire : la dualité de Villon. Je sais bien que Teulé met un éclairage cru sur les aspects sordides, cruels et terribles du Moyen-Âge. Je trouve cependant que la force du travail de Luigi Critone dans son adaptation (puisqu’il a tout fait dans cette affaire) réside dans l’élégance de ses ellipses, qui permet d’enjamber ces horreurs et de souligner le cœur du sujet : l’ambivalence de ce dieu Janus de la littérature : « Oyez ! Oyez ! Voilà la magnifique mais tragique légende de François Villon en images, artiste adoré mais humain détestable. » (BDGEST : https://www.bdgest.com/chronique-7605-BD-Je-Francois-Villon-Je-crie-a-toutes-gens-merci.html?_ga=2.225856538.184253136.1562397762-1258688211.1562226692)

Ma planche : je l’ai choisie parce qu’elle est au cœur de ce mystère ; la double personnalité de Villon s’y exprime dès l’adolescence. Recueilli par un moine à la mort de sa mère, il exprime très tôt son extraordinaire talent littéraire, et son fort caractère de chef de bande emmenant ses amis dans les débordements de l’adolescence. En soi ce n’est pas un crime, la plupart des adolescents turbulents se rangent des voitures devenus adultes. Mais l’image donnée par Critone dans cette planche est celle d’un Villon nu se peignant un squelette sur le corps pour entrainer ses amis dans une farandole aussi joyeuse que morbide au cœur du cimetière des Innocents (à la place duquel se tient aujourd’hui la place Joachim-du-Bellay, près des Halles, avec la fontaine des Innocents en son centre). La planche aborde donc les thèmes de la fête (poésie, musique, danse et sexualité), l’individualisme, le goût pour la transgression et la morbidité de François Villon. Il ne fera au cours de sa vie qu’exacerber et mener au point de fusion son talent et ses tendances naturelles, comme s’il devait sans cesse alimenter la machine littéraire par des expériences toujours plus extrêmes.

Le mystère persiste sur les raisons des agissements de Villon, qu’il exécute en toute conscience, et sur ce qu’il devint puisque le livre se clôt par son exil et qu’il ne laissa aucune trace par la suite. On ne peut qu’imaginer, émettre des conjectures. Le livre donne des éléments pour se faire une opinion sur ces deux points :
- Pour le commencement : naître le jour où son père est pendu et voir sa mère aimée subir une mort horrible (les oreilles coupées, enterrée vivante dans la fosse aux chiens, puis transformée en pâté par ses amis !) ne prédispose certes pas à une stabilité psychique exemplaire !
- Pour la fin : ce n’est plus que l’ombre de François Villon qu’on exile. Il ne s’est pas repenti mais il est brûlé, consumé de l’intérieur, dans un état physique extrêmement dégradé, sans ressources par un hiver rigoureux… il n’a pas dû aller bien loin.

Toutes proportions gardées, la trajectoire de Villon me fait penser à celle de Rimbaud.

Je pense surtout à Dionysos, que l’on connait principalement pour être le dieu de la vigne et du vin. Mais Dionysos était bien plus que cela, c’était un des dieux les plus craints y compris par les autres dieux de l’Olympe. C’était en effet le dieu des excès commis sous l’emprise du vin, le dieu de l’extase, de la transe, de la folie et de la démesure, le père de la comédie et de la tragédie, du théâtre donc. En peu de mots, celui qui a le pouvoir de vous faire sortir de votre peau et devenir un autre, éventuellement monstrueux, le pouvoir de vous faire perdre le contrôle. François Villon est une magnifique et éminente figure dionysiaque.

Concernant Luigi Critone, je suis béat d’admiration devant ses multiples talents : intelligence de l’interprétation et pertinence du scénario, précision et fluidité du trait de crayon, de la mise en page et du découpage, finesse du lavis de gris…. Chapeau l’artiste !

Pour aller plus loin avec Luigi Critone :
https://www.youtube.com/watch?v=uG4jO2HO7mc
(https://www.bdgest.com/news-1119-BD-Francois-Villon-un-poete-qui-fait-debat.html?_ga=2.225856538.184253136.1562397762-1258688211.1562226692)

Pour finir et pour le plaisir, deux textes : « Le Verger du Roi Louis » et « Epitaphe et rondeau ».
Avant de lire ce livre, de François Villon je ne connaissais que de vagues bribes de la sulfureuse légende du poète maudit, ainsi que deux chansons où Georges Brassens adaptait Villon : la « Ballade des dames du temps jadis » et le « Le Verger du Roi Louis », cette dernière n’étant même pas un poème de François Villon sinon l’adaptation par Maître Georges de « La Ballade des Pendus » de Théodore de Banville.

Sur ses larges bras étendus,
La forêt où s'éveille Flore,
A des chapelets de pendus
Que le matin caresse et dore.
Ce bois sombre, où le chêne arbore
Des grappes de fruits inouïs
Même chez le Turc et le More,
C'est le verger du roi Louis.

Tous ces pauvres gens morfondus,
Roulant des pensers qu'on ignore,
Dans des tourbillons éperdus
Voltigent, palpitants encore.
Le soleil levant les dévore.
Regardez-les, cieux éblouis,
Danser dans les feux de l'aurore.
C'est le verger du roi Louis.

Ces pendus, du diable entendus,
Appellent des pendus encore.
Tandis qu'aux cieux, d'azur tendus,
Où semble luire un météore,
La rosée en l'air s'évapore,
Un essaim d'oiseaux réjouis
Par-dessus leur tête picore.
C'est le verger du roi Louis.

Prince, il est un bois que décore
Un tas de pendus enfouis
Dans le doux feuillage sonore.
C'est le verger du roi Louis !


Et puis un texte de François Villon :

Ci gît et dort en ce solier,
Qu’amour occit de son raillon,
Un pauvre petit écolier
Qui fut nommé François Villon.
Oncques de terre n’eut sillon.
Il donna tout, chacun le sait :
Table, tréteaux, pain, corbillon.
Pour Dieu, dites-en ce verset :

Repos éternel donne à cil,
Sire, et clarté perpétuelle,
Qui vaillant plat ni écuelle
N’eut oncques, n’un brin de persil.

Il fut rés, chef, barbe et sourcils,
Comme un navet qu’on ret ou pèle.
Repos éternel donne à cil.

Rigueur le transmit en exil
Et lui frappa au cul la pelle,
Nonobstant qu’il dît : » J’en appelle ! «
Qui n’est pas terme trop subtil.
Repos éternel donne à cil.


François Villon – Epitaphe et rondeau

Publication

  • Mais où sont les neiges d'antan ?
  • Delcourt
  • 11/2011
  • Page intérieure

Voir aussi :   Je, François Villon

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A propos de Luigi Critone

Luigi Critone est un auteur de bande dessinée et illustrateur italien. Critone devient auteur complet en adaptant une biographie de Jean Teulé sur le poète François Villon : Je, François Villon. En 2020 Il prend le suite de Marini au dessin sur la série Le Scorpion.