Dans la collection de MV9957
Michel Gourdon, Appelez-Moi Maître - Spécial Police 825 - Illustration originale
1199 

Appelez-Moi Maître - Spécial Police 825

Illustration originale
1970
Gouache
32 x 44 cm (12.6 x 17.32 in.)
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Polar de Pierre Latour
Noir
Six personnages en quête d'un tueur
Mylène Demongeot
Mylène Demongeot
Mylène Demongeot
Mylène Demongeot
Gourdon - San Antonio 1 ère version
Gourdon - San Antonio 2 ème version
Gourdon - San Antonio 3 ème version
Gourdon - San Antonio 4 ème version
Carlo Jacono - San Antonio 5 ème version
Carlo Bren - San Antonio 6 ème version
Carlo Bren - San Antonio 6 ème version

Inscriptions / Signatures

Signature en bas à droite

Commentaire

Une illustration de couverture n’est pas une partie de l’histoire, c’est un tout indivisible qui poursuit ses propres objectifs : d’une part accrocher (au sens marketing), c’est-à-dire susciter l’envie d’ouvrir le livre, et d’autre part, non pas tant résumer l’histoire en quelques traits que saisir le ton, l’esprit ou l’âme de ce qui va être raconté. Les couvertures de pulps et petits formats se contentaient dans leur très grande majorité d’être belles comme un cinémascope au format réduit car leur but était unique : l’accroche. Michel Gourdon en revanche, non seulement excellait dans l’art de la synthèse extrême - faire le pitch en une image - mais en outre comme le montre François Rivière, réussissait à donner une profondeur symbolique à l’image qui dépassait l’histoire qu’il illustrait, en vrai peintre qu’il était en réalité.

Ma planche

Michel Gourdon aimait les femmes et le cinéma. Il parsema son œuvre de portraits d’actrices qui devenaient des personnages à part entière de ses compositions (Catherine Deneuve, Raquel Welch, Farrah Fawcett, Marilyn Monroe, Michelle Morgan, etc.) (*1). Ma planche est l’une d’entre elles puisqu’elle représente Mylène Demongeot, actrice très en vogue dans les années 50-60.

Gourdon a parfaitement capturé le charme acidulé de Mylène Demongeot dont la beauté est celle d’une jeune femme blonde, espiègle, mutine, pimbêche, adorable, insouciante et souvent amorale. Brigitte Bardot ou Mireille Darc, de la même génération, appartiennent également à cette catégorie. Toutes leurs tentatives pour sortir de cette image n’y feront rien.

Son portrait se superposant à celui d’un avocat dans cette illustration me fait irrésistiblement penser au film En cas de malheur de Claude Autant-Lara de 1958, d’après un roman de Simenon, avec dans les rôles principaux Brigitte Bardot et Jean Gabin. La confrontation sociale de classe empreinte de tartuferie sert de toile de fond au drame (ça finit forcément très mal) d’un amour interdit entre un notable-avocat à la cinquantaine (Jean Gabin) et sa jeune cliente « belle, naïve et immorale » (Brigitte Bardot).

Dans son polar, Pierre Latour renverse les rôles : l’avocat est jeune et débutant, séduisant et naïf, alors que sa cliente est riche, intelligente et manipulatrice, d’une beauté totale, en un mot une femme fatale. Deux points communs toutefois au film et au polar : sa cliente est totalement immorale et sera finalement assassinée, parce qu’il faut bien qu’il y ait une morale et que le bien triomphe à la fin, non mais des fois ! L’histoire du cinéma n’est pas avare en femmes fatales, dont on sait qu’elles vont nous brûler, nous calciner et nous réduire en cendres, mais tant pis on y va quand même, parce que ces femmes voyez-vous sont la preuve que dieu existe, et le diable aussi … voilà un petit panthéon personnel : la Hedy Lamarr de Samson et Dalila, la Gene Tierney de Péché Mortel ou de Laura, la Lana Turner du Facteur sonne toujours deux fois, la Jane Greer de La Griffe du Passé, la Sharon Stone de Basic Instinct, la Barbara Stanwyck d’Assurance sur la Mort, la Rita Hayworth de Gilda et d’Arènes Sanglantes, la Kathleen Turner de La Fièvre au Corps, et bien sûr, au-dessus de toutes les autres, la Comtesse aux pieds nus, la Ava Gardner des Tueurs, de Pandora, de … tout en fait ; et parce qu’il n’y a pas que les Etats-Unis : la Mireille Balin de Gueule d’Amour et Pépé le Moko, la Danielle Darrieux de Madame de…, la Catherine Deneuve de La Sirène du Mississipi.

Curieusement Gourdon choisit la figure de Mylène Demongeot pour illustrer ce polar, alors qu’elle n’incarne pas du tout ce genre de femme fatale, mais aurait parfaitement pu tenir le rôle de Bardot dans En Cas de Malheur. Gourdon en général ne lisait pas les livres qu’il illustrait, mais se faisait faire le pitch par l’auteur. C’est donc en pleine connaissance de cause qu’il fait ce choix qui constitue un faux-sens. Pourquoi ? Je n’ai pas la réponse…

Michel Gourdon, peintre symboliste

Charlyd77 a repris en commentaire d’un de ses Gourdon (Le Safari de l’Amour) une excellente biographie, pas besoin d’en rajouter.

Je suis beaucoup plus intéressé par le style et la magie particulière qui se dégagent des œuvres de Gourdon. Je vais en la matière me référer au texte Les « images réelles » de Gourdon, de François Rivière (notre François Rivière, journaliste et scénariste de BD, mais aussi auteur, anthologiste, biographe et traducteur), texte faisant partie de Noir, le recueil d’illustrations de Michel Gourdon de 1984.

Pendant ces années où les peintres-illustrateurs régnaient en maîtres sur les couvertures de romans et sur les affiches de cinéma, ils produisaient « les images réelles de la vie » selon le slogan hollywoodien, en vérité une réalité fabriquée. L’univers pictural singulier élaboré par Gourdon avait très particulièrement une puissance d’évocation et d’attraction qui était devenue l’image de marque du Fleuve Noir.

Gourdon s’adaptait à tous les registres : roman noir, angoisse, espionnage, guerre, grands romans, romans sentimentaux. Malgré l’impressionnant volume d’œuvres produites, il ne se limita pas à une production routinière et stéréotypée, mais évolua constamment, mettant à jour régulièrement le décor de référence et la mise en scène en fonction du registre désiré, mais aussi et surtout l’identité de ses personnages en faisant évoluer leur image, qui devenait alors leur image réelle (*2).

Par conséquent, bien que Gourdon puisse être considéré techniquement comme un peintre-illustrateur hyperréaliste, la réalité apparente est dépassée chez lui par la réalité fabriquée qui est en fait sa sublimation ; nous sommes à la frontière entre actualité et rêve. François Rivière considère que ce décalage rapproche en fait Gourdon des peintres symbolistes comme Paul Delvaux ou Magritte. Il dit que Gourdon mediumnise le sujet par un mélange de symbolisme ardent et de romantisme froid.

Michel Gourdon, peintre sensuel

L’érotisme est également latent chez Gourdon (son frère Alain, plus connu sous le nom d’Aslan, en deviendra même un chantre).

L’évolution de son art se fera particulièrement sentir dans ce domaine. Il réussit à reproduire à l’image la sensualité du velours de la peau et du grain du cinémascope.

Moi aussi, en regardant ces femmes de Michel Gourdon, tel Quasimodo bavant devant Esmeralda, je suis pris d’une furieuse envie de les caresser … bêêêlleeeeee…


Notes

(*1) Il fit également le portrait d’acteurs (Roger Moore, Alain Delon, John Wayne, etc.) mais je dois bien avouer que ça m’intéresse moins.

(*2) Par exemple l’image de San Antonio. Adolescent j’adorais ces histoires, et surtout leur langue inventive et pleine de verve ; mon amour pour les mots tient dans une large mesure à ce Prince du Mot Tordu (et grivois) qu’était Frédéric Dard. Je me souviens parfaitement (je triche, j’ai gardé un certain nombre de livres) des images successives de San Antonio élaborées par Michel Gourdon :
- Les toutes premières éditions avaient en couverture une pin-up (habillée) sur fond noir.
- Très vite il passe à des scènes d’action sur un fond allant du noir au bleu nuit en passant par le gris. C’est bien l’action qui compte et non la pin-up. Le visage du Commissaire San Antonio n’est pas encore figé ; s’y mêlent à des degrés divers selon les numéros, les valeurs masculines classiques, mûres et sûres de ce début des années 50 : Jean Gabin, William Holden, Georges Sanders, Curt Jürgens, etc.
- Puis il reprend et retouche légèrement ces compositions, et donne à San Antonio le visage qui sera le sien pour de nombreuses années (y compris sur les rééditions des numéros précédents), celui d’un homme toujours brun et viril mais plus jeune, une sorte de croisement entre le Gérard Barray de l’époque et le Jean Dujardin d’aujourd’hui : jeunesse, charme et dynamisme.
- La quatrième version verra le passage à la polychromie à partir de 1965 (étendue aux rééditions). Les scènes donnent dans l’exotisme mais San Antonio garde son visage et son identité, malgré le délire qui commence à poindre le bout de son nez (je pense par exemple à Bérurier au Sérail).

Michel Gourdon est remercié par le Fleuve Noir fin 1970 et c’est Carlo Jacono qui prend le relais en 1971 pour un bref passage d’un an. L’illustration occupe tout l’espace le bandeau ayant disparu, mais ces couvertures déstructurées ne renvoient plus une identité claire du personnage de San Antonio.

En 1972 Carlo Bren reprend le flambeau pour un an également. Il chamboule complètement l’image de San Antonio et son identité. Toutes ses compositions sont obliques (même la 4 ème de couverture). Le visage de San Antonio apparaît comme partie intégrante du titre, c’est un visage complètement différent : d’épais favoris, une chevelure abondante et mi-longue à la mèche tombante, dont la couleur n’est plus le noir mais le châtain, et surtout un regard déterminé mais malicieux. Nul doute, Mai 68 est passé par là. Le héros ne peut plus ressembler au gendre idéal des familles bourgeoises ; ce n’est plus un beau ténébreux vertueux, mais un dragueur fonce-dedans, opportuniste et moqueur, à la morale flexible, presque un voyou, qui regarde la société de façon oblique ou par en-dessous. Parallèlement, le délire s’est étendu aux situations et à la langue, au détriment de l’action pure. Le polar s’éloigne de plus en plus pour faire face à la bouffonnerie. Beaucoup de lecteurs commenceront à décrocher.

Les immondes couvertures photographiques prendront le relais par la suite, jusqu’au retour des dessinateurs en 1989 (Wolinski, puis d’autres dont François Boucq pendant 13 ans, de 2000 à 2013), mais plus personne ne donnera de visage à San Antonio.

Pas grave, j’ai déjà cessé à ce moment-là de lire San Antonio ; j’ai d’autres chats à fouetter. Je n’y reviendrai plus, pas plus qu’on ne revient sur les amours de jeunesse.

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A propos de Michel Gourdon

Michel Gourdon est un illustrateur français, né à Bordeaux le 20 novembre 1925 et mort le 15 mars 2011 au Coudray (Eure-et-Loir). Il est connu pour ses couvertures de roman des éditions Fleuve noir. Il est le frère de l’illustrateur Aslan.