Commentaire
Entrée en matière :
Après que Macherot se soit attiré bien involontairement les foudres des critiques avec les Croquillards (chef d’œuvre absolu) où il est accusé de se moquer des syndicats puis avec Zizanion le terrible où il est cette fois accusé d'anarchisme, la direction du Lombard lui prie de bien vouloir rentrer dans le rang et de renouer avec l'univers poétique du Val Tranquille.
Le retour de Chlorophylle sera donc celui du retour de notre héros au Val Tranquille : là (probablement) où dans un trou d'arbre quelconque, un nichoir délaissé par des oiseaux ou dans les combles d'une maison, notre petit rongeur de lérot est venu à la vie avant de connaître ses premières aventures. Dans cet album, Anthracite - qui est à Chlorophylle ce que Rastapopoulos ou Olrik sont à Tintin et Blake et Mortimer - brille par son absence et les trente planches de cette histoire sont résolument et volontairement gentilles. Raymond Macherot, l'amoureux du calme et de la campagne, ne se plaint pas de revenir ainsi à la case départ, bien au contraire.
Chloro et Minimum - souriceau ronchon et meilleur ami du lérot - après leur aventures à Coquefredouille vont retrouver de vieux amis (Torpille la loutre et Serpolet le lapin) et vont s'en faire de nouveaux (Caquet le corbeau et Mironton et Mirontaine, un couple de Muscardins).
Ces trente planches réconcilient Macherot avec une critique qui salue une liberté de découpage inhabituelle, permettant de mieux mettre certaines images en valeur.
La planche :
Découvrir Chlorophylle adulte, comme ce fût mon cas, à quelque chose de frustrant (terriblement) et de (terriblement) réjouissant. Enfant, serais-je finalement passé à côté d'autres merveilles ? Dès ma lecture des Rats noirs (la vingtaine bien tassée), je suis happé par l'univers de l'enchanteur. Et puis nom d'une pipe ce Anthracite ! Macherot le considérait comme son personnage préféré et pouvait par procuration se défouler. Lui qui voulait un méchant qui soit vraiment méchant, il était servi ! Comment raisonnablement rêver pire méchant que le roi des rats noirs ? C'est bien simple ce rat a tous les défauts ! Quel bonheur !
Je m'étais donc - fort logiquement - juré de ne craquer que sur une planche où Anthracite ferait des siennes. A quoi bon avoir une Chloro sans cet ignominieux ! Une planche sans Anthracite, c'est un peu comme voir un De Funès d'avant Pouic-Pouic. Et pourtant... dès que j'ai vu celle-ci j'ai viré ma cuti! A l'exception de ce coquin, elle coche toutes les cases de mes passionnées aspirations. Et, à mon sens, de fort belle manière.
Si les Rats noirs s'organisait sur quatre strips (toutes les planches sans exception), les conspirateurs (hormis la planche finale sur quatre), Célimène et le Bosquet hanté le sont beaucoup sur cinq.
Il faudra attendre Les Croquillards pour le retour majoritaire à quatre strips (parfois trois). Avec Le Retour de Chlorophylle, Macherot est dans la lignée de ce qu'il avait entamé sur Les Croquillards et Zizanion où il avait atteint une maturité graphique palpable (ce qui, soit dit en passant, n'enlève strictement rien au charme prodigieux et éloquent des trois premiers albums). Cette planche est un archétype du Macherot post 56 et du virage qu'il a entamé désormais deux années plus tôt ; liberté nouvelle de découpage et variété de plan sont au service d'une lisibilité optimale. Quant au coup de crayon : il est net et franc, aussi vrai et primesautier que son génial géniteur.
Lire Macherot, c'est s'imprégner de sa campagne fraiche et attirante parcourue ça et là d'insectes et d'oiseaux, parsemée de fleurs et souvent surmontée d'un ciel bleu. Sa campagne est vive et claire avec ses mares, ses ruisseaux, ses ilots, sa poésie. Cette planche est à mes yeux caressants une synthèse achevée de cet univers.