1947 - Le Temple du Soleil - Zorrino et Tintin

Case originale 362, prépublication dans Le Journal de Tintin - édition belge n°22, du 29 mai 1947

Laws of simplicity
Aventure, émotion, jeunesse, amitié, horizons lointains; un maximum d’efficacité, un minimum de moyens
Hommage fortuit à Malevitch ... un petit pan de la frise d’un Parthénon de la BD FB

A cause d'Hergé
Je dois mon gout pour les originaux en partie à Hergé, en ayant découvert fortuitement sa couverture de Tintin en Amérique il y a quelques années. Ça a été un choc. Je croyais connaitre cet auteur par cœur, en fait je ne connaissais de lui que ce que l’on voulait bien m’en montrer : des albums polychromes à la ligne claire noyée d’aplats, aux cases réduites et condensées, aux pages interminables. Et là, le choc. La pureté, l’efficacité, la puissance d’un dessin, d’une composition grand format, m’ont scotchés net. Comment un dessin de couverture éculé, vu et revu et pour ainsi dire presque fade à mes yeux pouvait cacher une origine aussi forte ? Et, à l’inverse, comment un tel chef d’œuvre avait-il pu perdre de sa superbe à la publication ? C’est de cette admiration doublée de curiosité et de passion qu’est née mon envie d’enquêter, de chercher, de voir pour comprendre et, in fine, de posséder quelques pièces pour mieux les examiner fiévreusement, les disséquer visuellement et espérer en extraire la substantifique moelle en me l’accaparant. Comprendre le talent à défaut de le maitriser, un pis-aller passionnant !

Craquage pour un rebut
Avant d’arriver à cette case j’ai pris mon temps, avant d’arriver à Hergé je suis passé par d’autres auteurs. Les budgets, évidemment, la relative rareté aussi m’ont aidé à patienter. Il faut dire que je cherchais plutôt un crayonné. Les crayonnés d’Hergé fourmillent d’énergie, de nuances, de maitrise et parfois d’enluminures improbables échappées directement d’un cerveaux créatif en surchauffe….le Graal pour moi. Et puis il y a le marché des cases, notamment celles du Temple dont certaines sont magnifiques, comme celle au Lama de MorgnThorg. Comment a-t-on pu réformer de tels petits chefs-d’œuvre ? C’est vrai que dans la masse ils sont perdus mais, pris séparément, ils vibrent, ils irradient de l’énergie positive mêlée d’exotisme, d’aventure et d’émotions. Et puis un jour un dénommé Guillaume a partagé cette case sur 2DG. Une fois encore j’ai été attiré, touché par un dessin sans ne savoir expliquer pourquoi. D’autant que cette case est à moitié vide, le vide est d’ailleurs tellement présent qu’il fait partie intégrale de la composition. Et puis Guillaume a mis sa case en vente et puis je la lui ai achetée… et depuis, je cherche à comprendre

"Eureka-se"
Et je crois que j’ai compris. Ce qui me touche le plus chez les auteurs de BD c’est leur capacité à retranscrire des émotions, à figer des attitudes et à les enchainer si efficacement que tout semble évident. Et Hergé est un maitre dans cet art de donner vie à des images fixes. Un bel exemple ici avec deux protagonistes, la terreur de l’un et la surprise doublée d’une bienveillance fraternelle de l’autre, qui se font face. Très peu d’encre et pourtant tout y est, n’importe quel enfant pourrait décrypter les émotions voulues par Hergé. Et puis il y a cette composition contrainte au départ mais qui, une fois isolée, confère une singularité propre à cette case. Ce phylactère vide, qui prend la moitié de l’espace, ne fait finalement que mettre en relief l’immensité de la peur du jeune Zorrino. Qu’importe les paroles au final, l’émotion est décuplée, bien plus que si les deux personnages avaient été représentés en pied et sans parole.

Le soucis du détail
Cette case témoigne aussi de la minutie de l'auteur avec ce phylactère aux coins discrètement inversés façon "art déco" et ces bouts de montagne qui le bordent malgré la finesse de l'espace disponible. Hergé a poussé l'exigence jusqu'à méticuleusement effacer à la gouache blanche les excroissances de traits dépassant au delà du cadre de la case. Avant cet album les phylactères pouvaient être fondus au cadre de l'image, désormais non. A partir du Temple du Soleil les phylactères sont intégrés à l'intérieur du cadre apportant une qualité perçue indéniablement supérieure. Le traitement des ponchos, vêtement tombant des indiens a aussi fait l'objet d'études spécifiques avec E.P. Jacobs dans le rôle du modèle. Des exigences accrues et un travail d'orfèvre qui témoignent certainement de l'importance qu'il accordait à ses créations. Epuisant certainement aussi, quelques semaines après la parution de cette case Hergé va finir par craquer et diluer sa production de pages hebdomadaires dans son tout jeune magazine Tintin.

Relais
Après une belle rencontre avec son précédent conservateur, j'ai aujourd'hui entre mes mains un petit pan de la frise d'un Parthénon de la BD et du patrimoine belgo-bruxellois, européen et mondial. Heureux je suis :-)