Logan. la fin des super-héros ?

7 août 2017,  par  William Blanc

 

I wear that crown of thorns, upon my liar chair
Fulkl of broken thought I cannot repair.
Beneath the stain of time the feeling disapear
You are someone else, I am still right here
"Hurt", Johnny Cash - Trent Reznor

There aren't any more guns in the valley.
"Shane", Georges Stevens

Wolverine (ou Serval pour les anciens qui, comme l'auteur de ces lignes, ont connu les traductions françaises des années 1980) est sans doute l'un des super-héros les plus populaires depuis la création du genre. Et pourtant, son existence même semble sonner le glas du mythe des surhumains. C'est d'autant plus vrai si on le compare avec un autre de ses congénères, Captain America, dont il semble être le reflet inversé ; si loin, et pourtant, si proche.


La comparaison ne semble pas aller de soi. En effet, Captain America représente l'essence même du mythe super-héroïque : un homme, venu de nulle part, changé en être d'exception grâce aux vertus de la science produite par une armée bienveillante. Comme Superman, Captain America est le fruit d'une époque, la fin des années 1930, où l'on croyait – de manière parfois naïve – au futur. Steve Rogers est certes une arme surpuissante, mais il n'existe que pour protéger les populations, la démocratie, donc, le progrès, face au totalitarisme nazi associé lui à une barbarie médiévale (pour cet aspect, voir ici). Avec Wolverine, changement d'ère et de décor. Lorsque le personnage apparaît en 1974 dans The Incredible Hulk #180 et #181 sous la plume de Len Wein et John Romita Sr. avec les dessins de Herb Trimpe, en se confrontant au monstre verdâtre (ce n'est évidemment pas un hasard), la bombe atomique et la guerre du Vietnam sont passées par là. La science est devenue une source de destructions, alors que l'Amérique promouvoit les guerres d'agression contre des peuples cherchant à s'autodéterminer. Il faut à cette époque de nouveaux héros, plus en phase avec le monde réel. Pour certains, ce sera le Punisher (qui apparait quelques mois avant Serval, en février 1974), qui exprime les traumatismes des vétérans des guerres de la jungle. Pour d'autres, ce sera Hulk, qui symbolise lui les méfaits de la bombe atomique. Et puis, il y aura Wolverine. Appelé de prime abord "l'Arme X", nom qui renvoie parfaitement à son caractère agressif, il n'est pas doté, d'une arme défensive (le bouclier frappé d'une étoile) capable d'assommer, mais de griffes permettant de tuer et qui, comme les lecteurs s'en apercevront plus tard, font partie de lui (dans The Uncanny X-Men #98 – April 1976).

 

Wein Len (scénario), Trimpe Herbe (dessin de couverture), The Incredible Hulk,  #181, novembre 1974.
Commentaire : Dès son apparition, Wolverine est opposé à l'un des autres monstres de Marvel : Hulk. Les deux personnages représentent les méfaits d'une science ne produisant plus des héros, mais des êtres dangereux, capable d'une violence surhumaine. Les deux personnages seront souvent associés entre eux, soit comme adversaires, soit comme alliés.

   

Cette capacité destructrice, Logan la porte donc en lui. Il ne peut s'en séparer contrairement à Captain America qui pourrait poser son bouclier. Pire, elle a été démultipliée à cause d'expériences que l'armée a réalisée sur lui, comme on l'apprend dans la mini-série Weapon X (dans Marvel Comics Presents #72 - 84 – 1991, scénarisé et dessiné par Barry Windsor-Smith), cette armée qui, de force positive aidant le jeune Steve Rogers à devenir un héros, devient, après le Vietnam, une institution manipulatrice et destructrice. Wolverine est donc bien un anti-Captain America, un être plus âgé, symbole d'une Amérique et du genre super-héroïque entrés à partir des années 1970 dans son âge de bronze, ne croyant plus en ses rêves et sentant l'innocence de ses jeunes années lui échapper. Est-ce un hasard si Logan, d'emblée, a été représenté comme un quadragénaire, un homme plus âgé que la moyenne des super-héros ?

 

Windsor-Smith Barry (scénario et dessins), "Weapon X", dans Marvel Comics Presents, #178, juin 1991. Logan n'est pas un individu libre acceptant, comme Captain America, de recevoir des super-pouvoir, mais un cobaye devenu un instant le jouet d'un programme scientifique piloté par un État bafouant les libertés individuelles.

   

Tout le drame de cet anti-héros, tout comme celui de Hulk ou de Punisher, revient alors à trouver une forme de rédemption, à racheter ses fautes pour devenir un héros. Cette quête est aussi celle de l'Amérique post-Vietnam à qui sa jeunesse reproche sans doute le plus d'avoir développé des mythologies perçues, au début des années 1970, comme mensongères : la science développée par un État providence théoriquement bienfaisant n'aboutit pas forcément à produire des surhumains altruistes, mais des monstres. En ce sens, l'apparition de Logan, tout comme celle de Franck Castle, marque presque la fin du mythe super-héroïque commencé avec Superman. Il n'est d'ailleurs pas surprenant de voir cette réflexion apparaître alors qu'au même moment, le western subit lui aussi une forte de crise d'identité, poussé entre autre par la génération contestataire des baby-boomers. Les bons cowboys, comme Alan Ladd dans le film Shane (1953), ont peu à peu été remplacé par des brutes mal rasées issues d'un Ouest sans doute plus proche de ce qu'il était en réalité, où les héros ne sont plus les shérifs, mais des marginaux se vengeant seul des injustices sociales. C'est sans doute Clint Eastwood qui portera cette réflexion le plus loin avec des films comme L'Homme des Hautes Plaines (1973). Aussi, n'est-il étonnant de voir Hugh Jackman citer de nombreuses fois l'acteur et réalisateur d'Impitoyable (1992) comme son principal modèle pour créer sa version de Serval pour le grand écran (apparaissant dans huit films entre 2000 et 2017) alors que James Mangold, co-scénariste et réalisateur du film, affirme s’être explicitement inspiré de Josey Wales, hors-la-loi (1976), western de (et avec) Eastwood.

La disparition des mythes touche aussi au même moment le Japon. Ici, ce n‘est plus le cow-boy qui est remis est cause, mais le samouraï, figure mise en avant par le régime militariste (1931-1945) comme le modèle même de l'obéissance à l'État. Nombres d’auteurs de films, mais aussi de romans, comme Yukio Mishima, pleurent sa disparition, alors que dans les mangas et les gekigas (manga destiné aux adultes), la figure des guerriers au katana est vivement critiquée, notamment par des maîtres du genre comme le très marxiste Sanpeï Shirato (Kamuiden – 1964-1971) ou Osamu Tezuka (voir à ce sujet cet article). D’autres, fascinés par la figure du samouraï, mais conscients que cette dernière, pour survivre, doit sortir du stéréotype forgé par les générations précédentes, se proposent de la renouveler. Parmi ces auteurs citons Kazuo Koike et Goseki Kojima créateurs de Lone Wolf and Cub (1970-1976) dont le héros, Ogami Itto, ressemble à cette génération de japonais désabusé face à leur passé mythifié : sans maître, poursuivi par les troupes du shogun, il devient le symbole de l’individualisme ombrageux face à une aristocratie hypocrite qui, sous prétexte d'honneur, opprime voire massacre des familles entières. 

 

Koïke Kazuo (scénario), G. Kojima Goseki (dessins), Lone Wolf and Cub, #1, 1970. COMMENTAIRE : La dernière case du premier épisode de Lone Wolf and Cub annonce le ton de la série. Ogami Itto part vers le couchant – l'image renvoie évidemment au western – et s'éloigne du lecteur en lui tournant le dos. Il représente un nouveau héros samouraï ; non plus le serviteur de l'État impérial et militariste, mais un samouraï moderne, trouvant seul sa voie face à la collectivité.

 

Ce détour par le Japon n’est sans doute pas inutile lorsque l’on sait à quel point les mythes du cowboy et des samouraïs sont liés. De nombreux western se sont inspirés de films de sabre nippons (comme Les Sept samouraïs – 1954 d’Akira Kurosawa devenu Les Sept mercenaires (1960) de John Sturges) et inversement.

Il existe même des films croisant les deux genres, comme Soleil rouge (1971) de  Terence Young. Ce mélange se retrouve aussi dans le neuvième art. L’indépendance d'Ogami Itto n‘est pas sas rappeler l’individualisme du cowboy. Ce n‘est donc pas un hasard si Frank Miller, l’un des auteurs de comics les plus sensibles à la disparition des mythes américains (et sas doute l’un des plus soucieux de les faire renaître) est un fan absolu du gekiga Lone Wolf and Cub. L’auteur de The Dark Knight returns se sent sans doute proche de ces Japonais tentant de retrouver et renouveler le mythe du samouraï pour se rassurer face à un monde qui change trop vite. Aussi parsème-t-il ses comics d’allusions plus ou moins explicites au Japon féodal, que ce soit dans Daredevil ou bien, plus tard, dans sa série post-apocalyptique Ronin (1983-1984. Notons que le terme « ronin » renvoie aux samouraïs sans maître comme Ogami Itto). D’ailleurs, lorsqu’il prend en charge en 1982, avec Chris Claremont, une mini-série consacrée à Serval (dans Wolverine #1-4) il en place tout naturellement l’action dans un Japon rempli de ninjas et de samouraïs. Comme dans Lone Wolf and Cub, Logan incarne un individualiste, qui possède plus d'honneur que les anciennes familles japonaises: un guerrier des temps modernes.

 

Claremont Chris (scénario), Miller Frank (dessins), Wolverine, #4, décembre 1982. Commentaire : La vieille aristocratie japonaise remplacée par le ronin venu de l'Ouest, un samouraï individualiste qui a plus d'honneur que ceux qui prétendent incarner cette vertu. Le combat final semble rappeler la fin du film Harakiri (1962) de Masaki Kobayashi.

   

Logan est donc le symbole d'une époque qui a perdu ses mythes pour en retrouver de nouveau. Cela n’a rien de neuf et est même au coeur du genre des super-héros dont les auteurs se sont toujours évertués à créer une nouvelle mythologie qui répond à un temps de crise. L'exemple le plus frappant reste Captain America. Ce dernier, après avoir disparu des comics en 1949 réapparaît soudainement en mars 1964 dans The Avengers #4, lorsque l'équipe de super-héros des Vengeurs le retrouve prisonnier des glaces et le réveille. Il semble évident aujourd'hui, avec le recul, que cette réapparition a été imaginée par Stan Lee et Jack Kirby pour redonner à leurs jeunes lecteurs un peu d'espoir alors que le président Kennedy vient d'être assassiné (c'est d'autant plus le cas que les deux personnages sont liés au mythe arthurien. Pour en savoir plus sur ce point trop long à développer ici, nous renvoyons à notre livre : Le Roi Arthur, un mythe contemporain, Libertalia, 2016, p. 403-457). Même principe dans le film Avengers (2012) ou Captain America revient à la vie dans une Amérique post-11 septembre déboussolée. Steve Rogers, revendu d'une longue hibernation de près soixante-dix ans et trouvant le monde en proie au chaos du début du XXIe siècle, semble au départ dubitatif sur la capacité des gens à croire à des symboles désuets, représentés par son costume :

- La bannière étoilée… ce n'est pas trop vieux jeu ?
Ce quoi l'agent Colson du SHIELD lui répond :
- Avec tout ce qui arrive […] les gens ont sans doute besoin de choses "vieux jeu".

 

Tout est dit. Dans un moment de crise, alors que l'Apocalypse menace, il faut que les spectateurs croient de nouveau à ce qui a fondé le mythe super-héroïque : la capacité des êtres humains, grâce à la science et au progrès, à créer un avenir meilleur. C'est affirmé explicitement dans la mini-série Captain America: Patriot (2010) de Karl Kesel et Mitch Breitweiser. On y voit, après la disparition de Steve Rogers en 1945, un autre volontaire prendre sa place et revêtir son costume. Cette décision est agrémentée d'une citation de John Kennedy (prononcé en 1946) faisant référence à l'Apocalypse biblique ("l'Armageddon") que seuls des héros peuvent conjurer :

Les Américains [...] ont toujours été prêts à affronter l'Armageddon et à se battre pour la liberté. Nous ne pouvons pas considérer cette lutte comme terminée. Elle est sans fin.

 

Karl Kesel Karl (scénario), Breitweiser Mitch (dessins), Captain America: Patriot, #1, 2010. Pour les auteurs de ce comic-book, Face à l'Apocalypse (ici, le nazisme pour le totalitarisme stalinien), un Captain America (donc l'Amérique) se dresse toujours. Mais que faire quand ce super-héros et le pays qui l'a enfanté, trahissent les valeurs démocratiques ?

 

Mais cette résurrection possible du grand mythe progressiste américain qui semble repousser sans cesse l'Apocalypse totalitaire, au début du XXIe siècle, semble s'éloigner au fur et à mesure que l'Amérique devient une caricature d'elle-même. Le 11 septembre, les années dominées par la présidence de Georges Bush fils, les guerres permanentes en Afghanistan et en Irak, l'appauvrissement généralisé des populations en parallèle à l'enrichissement absurde d'une petite minorité, rend peu crédible, pour beaucoup le retour de ce que symbolise Captain America : la confiance dans un état démocratique, ou, au moins, dans un projet collectif de progrès. C'est d'autant plus le cas que l'idéal de masculinité, qui auparavant s'exprimait dans des armées de masses et dans l'idéal du soldat obéissant, incarné par le super-héros au bouclier,a vécu avec la fin de la conscription. Il faut donc, là aussi, trouver un autre modèle.
Les nouveaux héros doivent ressembler à l'époque qui les enfante, et pour cela, Logan est nettement mieux armé que Captain America, comme le montre la mini-série Old Man Logan de Mark Millar et Steve McNiven, paru en 2008.
Tout commence dans un futur post-apocalyptique, avec un constat qui rappelle les westerns crépusculaires ou les gekiga. les héros sont morts, littéralement, car, cette fois les vilains se sont unis et les ont massacrés. Seuls survivants, Hulk, devenu lui-même un monstre et un dictateur (définitivement, la science atomique a enfanté  une abomination) et Logan, qui, ayant renoncé à sa vie de violence, est devenu fermier dans un paysage de Far West. Le début évoque immanquablement Impitoyable de Clint Eastwood, dans lequel un vieux tueur, William Munny, cherche sa rédemption en élevant ses enfants. Le film est même cité en clin d'œil sur le véhicule des Quatre Fantastiques récupéré par les sbires de Hulk où l'on voit apparaitre le titre anglais du film : "Un4given".

 

Millar Mark (scénario), McNiven Steve, Old Man Logan, 2008-2009.

 

Tout comme dans le film d'Eastwood, Logan pour payer ses dettes, doit accepter de traverser les États-Unis et de convoyer une mallette avec l'archer Œil de faucon vieillissant (et presque aveugle. Il traverse une Amérique ou les héros sont soit morts (comme le titanesque cadavre de Giant Man reposant sur la plaine américaine), soit espéré comme le roi Arthur (le marteau de Thor attend d'être retiré du sol comme Excalibur), soit désabusé comme Emma Frost qui explique que les super-héros ne sont "plus le futur" avant de préciser :

Les théories selon lesquelles nous étions la prochaine étape de l'évolution n'étaient que ça. Des théories. Nous ne sommes plus que vingt, et aucun mutant n'a vu le jour depuis quarante ans.

 

Millar Mark (scénario), McNiven Steve, Old Man Logan, 2008-2009. Commentaire : Une foule en prière devant le marteau de Thor planté dans le sol, qui semble attendre son roi Arthur pour être retiré. Mais celui-ci ne viendra pas. Le temps d'espoirs de Camelot et de ses chevaliers justes (référence à la fois à Captain America, aux X-men et aux années Kennedy) est passé. L'Amérique s'enfonce dans la crise.
Millar Mark (scénario), McNiven Steve, Old Man Logan, 2008-2009. Commentaire : Le corps de Giant Man. La géographie de l'Amérique post-apocalyptique d'Old Man Logan est marquée par des traces laissées par les super-héros d'antan, des géants face auxquels les hommes de ce futur sombre ne sont que des nains. Cette idée s’inspire de nombre d’anciens mythes. Les anciens Grecs ou les gens du Moyen âge pensaient eux aussi que les géants et les héros avaient dessiné le paysage de leurs exploits, des Colonnes d'Hercules aux rochers de Bayard ou de Roland en France et en Belgique.

 

C'est donc bien la fin du rêve entamé avec Superman en 1938. Il n'y a plus d'espoir possible. Ce retour à la réalité est d'ailleurs marqué par une instance sur le réalisme. Les combats, dans Old Man Logan, sont extraordinairement sanglants, à mille lieux de ce qui est montré dans la plupart des comics. Mais le pire reste à venir. Car, au bout du chemin que Logan fait de l'Ouest en l'Est, il se confronte au cauchemar : le Crâne Rouge, l'ancien agent du IIIe Reich, a pris la tête du pays et a revêtu les oripeaux de Captain America (qu'il a assassiné devant le Capitole en flamme). Le propos est évident. L'incarnation du rêve Américain, censé promouvoir la justice et la défendre la démocratie, est en fait un monstre, un nazi. Le pouvoir de Washington ne promeut plus le progrès, mais est au mais d'une minorité tyrannique (c'est aussi le propos de l'excellent film Captain America : The Winter Soldier – 2011, où le service secret basé aux États-Unis (SHIELD), est contrôlée par des nazis. Cette fois, c'est Captain America, l'homme venu du passé progressiste, qui sauve la mise).

 

Millar Mark (scénario), McNiven Steve, Old Man Logan, 2008-2009. Dans Old Man Logan, sous le masque de Captain Amereica sa cache un nazi. Le vieux mythe, qui promettait espoir et émancipation, était un mensonge. Wolverine se chargera de le tuer avec son propre bouclier.
Millar Mark (scénario), McNiven Steve, Old Man Logan, 2008-2009. Wolverine tuant le Crâne Rouge/Captain Amercia avec son propre bouclier. Old Man Logan, pas plus que le film Logan, n'hésite pas à représenter des scènes violentes et sanglantes montrant les conséquences d'une science destructrice. 

 

Mais est-ce la fin ? Pas vraiment. Car Logan, évidemment, se révolte. Dans un passage très populiste, qui pourrait plaire autant à des militants de gauche qu'à des supporters du Parti républicain, l'homme de l'Ouest revient à Washington (appelé pour l'occasion du nom biblique New Babylon) et nettoie cette ville devenu capitale du mensonge, exactemment comme Clint Eastwood qui, de L'homme des hautes plaines à Impitoyable, va de la campagne à la ville pour punir des institutions urbaines corrompus (notamment le shériff). Puis, Serval rentre chez lui et exécute Hulk qui a massacré sa famille. Finalement, il part à cheval, vers le couchant, le fils d'Hulk, encore bébé, sur le dos (un clin d'œil plus que soutenu à Lone Wolf and Cub) bien décidé à tuer tous les super-vilains restants. C'est le retour du cow-boy (et du samouraï), certes âgé, désabusé et ayant perdu l'innocence naïve des premiers super-héros, mais vivant. En fin de compte, Old Man Logan de Millar et McNiven se propose, comme le film Impitoyable, comme The Dark Knight Returns de Frank Miller (que Millar cite comme inspiration), de renouveler le genre en tuant puis en ressuscitant les vieux mythes. Il revivifie également une masculinité en mal de modèle à suivre. Non plus le soldat membre d'une armée, mais l'homme solitaire, seul face à un monde globalisant.

 

Cette logique va être encore plus poussée dans le film Logan (2017), largement inspiré du comic-book de Millar, qui clôt la série de longs métrages avec Hugh Jackman dans le rôle de Serval. Le film commence lu aussi avec un constat terrible. Les super-héros sont morts et Logan, en échos à l'Amérique apocalyptique ravagée par la crise financière de 2008 durant laquelle les écarts entre riches et pauvres se sont encore plus creusés, est devenu un chauffeur de limousine précarisé et uberisé, usé, là encore, par des années de lutte. Dans ce paysage désertique, on ne trouve que des traces fantomatiques des rêves du western et du genre super-héroïque, comme le montre les passages où l'on aperçoit le film Shane avec Alan Ladd ou des comics des X-Men que Logan considère comme des "conneries" ("bullshit"). Seul le professeur Xavier, joué par Patrick Stewart, croit encore à la possibilité de l'existence de super-héros altruistes, comme ceux qui composaient le groupe des X-Men qu'il a fondé, où chacun luttait pour un monde meilleur ou tous le monde aurait sa place, quelle que soit son origine.

 

Mangold James, Logan, 2017. Commentaire : Logan, le mythe usé, se moque des légendes que regarde à côté de lui les spectateurs, que ce soit le western Shane, passant à la télévision, ou le comic-book des X-Men (créé pour le film, précisons-le).

 

L'Amérique que traverse Logan est bien triste, à l'image de celle de Donald Trump. À un moment, perdu dans le Midwest, une famille pauvre et noire voit les cheveux qu'elle transporte manquer d'être écrasés sur l'autoroute par des camions automatiques. Le vieux rêve de l'Ouest, des hommes libres sur leurs chevaux, et l'idéal du petit propriétaire indépendant (forgé par le président Thomas Jefferson) qui ont fondé les États-Unis, sont réduit à néant par un capitalisme automatisé devenu fou.

 

Mangold James, Logan, 2017.

 

Pire, l'État est remplacé par des multinationales, comme Transigen qui n'hésite pas à expérimenter sur des enfants venus du Tiers monde, notamment de l'Amérique latine. Lorsque ceux-ci se révoltent et tente de passer la frontière pour aller chercher de l'aide aux États-Unis, l'entreprise n'hésite pas à faire appelle à des mercenaires menés par Donald Pierce, un homme sans scrupule au fort accent du Sud. La critique du racisme de l'Amérique blanche de Trump, rejetant les migrants venus du Mexique, est transparente.  

 

Ndlr : Attention, la suite de l'article dévoile l'intrigue du film "Logan"


L'une des enfants parvient néanmoins à rejoindre Logan et lui demander de l'aider à retrouver un autre groupe d'enfants mutants pourchassés pour franchir la frontière nord et se réfugier au Canada. Il lui faut pour cela affronter deux choses : un double maléfique, créé par Transigen, de lui-même, expression la plus aboutit du surhumains créé non plus pour le progrès, mais pour assurer la domination de quelqu'un sur le reste de la population. Il lui faut également que Serval retrouve l'espoir. C'est dans ces enfants, dont cette petite migrante mutante rebelle aux mauvais traitements qui lui ont été infligés, que Logan va finalement croire et se sacrifiant pour eux, leur permettant de fuir les États-Unis. La fin était, en réalité, annoncée dès le début.

À la différence de Old Man Logan et de certains westerns de Clint Eastwood, la refondation du super-héros masculin blanc, dans un acte de vengeance rédempteur, n'a pas lieu. Ici, tous les hommes sont blessés, vieux, et fatigués, du professeur Xavier à Logan lui-même, en passant par les mercenaires portant tous, Donald Pierce en tête, des prothèses évoquant les vétérans mutilés revenant d'Irak ou d'Afghanistan. Le choix d'accompagner la bande annonce du film avec la chanson "Hurt" interprété en 2002 par un Johnny Cash mourant (et issus lui-même de cette vieille Amérique masculine en déclin), vient d'ailleurs parfaitement illustrer le propos.

 

Mangold James, Logan, 2017. Logan se reposant sur le genou de la jeune fille… Commentaire : Logan se repose, à la toute fin de son périple, sur les genoux de Laura, la jeune enfant qu'il a aidée. Le vieil homme usé laisse place à une femme en devenir. Le futur, comme dans Wonder Woman, s'inscrit au féminin.

 

 

Logan meurt donc, mais, dans un dernier pied de nez à une Amérique raciste et chrétienne fondamentaliste, sa croix est remplacée par les enfants qu'il a sauvés par le "X" des X-Men, cette équipe de super-héros créer dans les années 1960 qui a incarné le rêve d'une société progressiste d'où le xénophobie serait bannie. L'idéal né avec Superman a bien quitté l'Amérique, un pays en proie au cauchemar des années Trump, aux replis identitaires et aux fantasme masculin, pour aller essaimer ailleurs, dans une nouvelle génération internationale représentée, entre autres, par une jeune fille venue du Mexique. La fin des super-héros donc, mais jusqu'au prochain épisode…
… same bat-hour, same bat-channel !


 

Mangold James, Logan, 2017. La croix remplacée par X alors que les enfants partent aux loin. "Il n'y a plus de fusils dans la vallée", conclut Laura, citant la fin du western Shane. Les États-Unis, vidé de leur héros, sont une terre morte, un désert de sel, comme l'indique la chanson qui clos le film, "The Man Comes Around", de Johnny Cash, qui multiplie les références à l'Apocalypse biblique. Avec Logan, L'Amérique et les super-héros qui la symbolise prend conscience de sa mortalité et craint sa fin proche.

 

Vous pouvez retrouver les oeuvres originales relatives à Wolverine sur le site 2dgalleries.com à cette adresse.

William Blanc

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5 commentaires
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William Merci Fazo pour ce commentaire enthousiaste ;-) Sur Logan, oui, en effet, il y a beaucoup de lectures possibles. Le film n'est pas si univoque qu'on pourrait le penser. Ce qui est certain, c'est qu'il est crépusculaire...
16 août 2017 à 19:15
fazo AAaa William, très cher William, que dire... Encore un merveilleux carnet toujours aussi bien exposé. Mais là il me parle bien plus encore ! dont je partage en tout point l'analyse s'y bien mené et bien évidemment SURTOUT le passage "Old Man Logan" ... ayant modestement œuvré dans ce sens lors de mon poste sur l'album. J'ai vu Logan bien après, et bien que très différent, il est aussi (je pense) similaire dans l'esprit de son époque. Il dérangea beaucoup de fans du genre mais il y a bien deux lectures à ce film signant ici la fin d'un esprit contemporain. Il y a donc bien deux lectures à ce carnet aussi ! la seconde serait une lecture générationnelle. Chapeau bas William, à faire pâlir quelques articles de revues spécialisées ;-)
15 août 2017 à 23:53
William Merci Difool et renardeau... content de partager avec vous ces quelques moments de "Servalitude" ;-)
8 août 2017 à 16:18
renardeau Un nouvel opus très intéressant...merci du partage de ce savoir si bien transmis!
7 août 2017 à 22:56
Difool Merci pour ce nouvel article plein d'enseignement !
7 août 2017 à 20:50