Le Roy des Ribauds
Crimes et intrigues dans le Paris du Moyen Âge
Une fois n'est pas coutume, nous allons parler dans ce carnet d'une BD récente qui a attiré notre regard. Le Roy des Ribauds de Vincent Brugeas à l'écriture et Ronan Toulhoat aux dessins, paru aux éditions Akiléos (déjà deux tomes, en 2015 et 2016), se déroule en 1194 dans le royaume de France. Philippe Auguste règne et s'oppose au roi d'Angleterre Richard Cœur de Lion qui rentre juste de sa longue captivité après les croisades. Mais, dans les ruelles sombres de Paris, se joue une autre pièce. Le Triste Sire, le "roy des ribauds" qui contrôle la pègre de la capitale pour le compte du souverain, voit son pouvoir mis en cause par des agents anglais et bien plus encore. Intrigues politiques, polar et moments épiques se mêlent alors dans cette bande dessinée très réussie.

Avons-nous employé le terme "bande dessinée" ? C'est sans doute une erreur tant les deux albums du tandem Brugeas-Toulhoat font plus penser à un comics. Le Paris médiéval remplis de rues tortueuses d'où semble pendre des gargouilles, où des maisons s'ouvrent parfois dans des souterrains rappelant les ossuaires des catacombes (construits au XVIIIe siècle, rappelons-le) et où la pluie est omniprésente, renvoie plus à l'atmosphère de Gotham City dans Batman. Comment s'en étonner ? Nous avions expliqué dans un article récent que l'atmosphère de la ville du Chevalier Noir américain devait beaucoup à une vision fantasmé du Moyen âge, celle d'une époque sanglante et oppressante. D'ailleurs, Ronan Toulhoat a opté pour un encrage mat, très à la mode aujourd'hui, que ce soit dans la BD ou au cinéma, lorsqu'il s'agit de représenter cette période (comme le montre cet article passionnant de l'archéologue Léa Hermenault).
Dans la même optique, il multiplie les scènes se déroulant sous la pluie (le cinéma préfère lui plus généralement la brume et la fumée) pour renforcer le sentiment d'étouffement du lecteur face à une ville et une époque bien sombre.
Pareillement, les anti-héros qui peuplent Le Roy des Ribauds (dont le personnage éponyme) ne dépareraient pas dans un polar urbain contemporain dessiné par Frank Miller. Motivations troubles, comportement à la limite (pour le dire gentiment) de la moralité, le Triste Sire, chevalier devenu garant de l'ordre (inégalitaire) établi en se servant de la pègre, n'est pas sans rappeler les versions les plus ambiguës de Batman, alors que le roi Philippe Auguste remplace le maire ou le procureur de Gotham.

D'ailleurs, en parcourant 2dgalleries, on s'aperçoit que Ronan Toulhoat a consacré de nombreux dessins à Batman ou à Catwoman. Pareillement, le Hibou et ses "gars du dessus" qui sautent de toit en toit renvoient quant à eux à un thème classique du super-héros urbain. Les auteurs du Roy des Ribauds assument d'ailleurs pleinement cette filiation en plaçant des clins d'œil à Batman ou au Joker, par exemple dans une broderie que dessine Sybille, la fille du Triste Sire. Image dans l'image, cette belle mise en abime dit beaucoup de la manière dont lla jeune femme idéalise son père.

Dernier parallèle évident avec les comics, un dessin jouant sur les constrastes, qui n'est pas sans rappeler la grande époque de Mike Mignola dans Hellboy, où l'action sanglante prime.
Le rythme est d'ailleurs sans doute une des clés de la réussite du Roy des Ribauds. L'arrière-plan des pages en dit parfois autant que les cases qui se succèdent avec une vitesse impressionnante, rendant rapidement la lecture addictive.

Pas de doute donc. Le Roy des Ribauds est bien un "comics historique" comme il y en a de plus en plus (pensons par exemple au récent Northlanders de Brian Wood édité par Vertrigo Comics). S'il prend beaucoup de liberté avec le contexte qu'il est censé décrire, il n'en constitue pas moins un renouvellement rafraîchissant du 9e art historique en France, qui livre souvent des œuvres très (trop) classiques et empesés.
Vous pouvez retrouver les œuvres originales de Ronan Toulhoat sur le site 2dgalleries.com à cette adresse.