La naissance de la bande dessinée aux États-Unis

Rudolph Dirks, The Captain and The Kids, The New York World, 1924
Ce bref article ne peut évidemment pas rendre compte du gigantesque développement économique, technologique, sociologique, politique, culturel et artistique dont fut l’objet le continent nord-américain depuis la création des premières colonies européennes au XVIIᵉ siècle ; pourtant, c’est bien lui qui définit les conditions ayant abouti à l’avènement de notre sujet.

Balthazar Friedrich, Port de Salem, Massachusetts, vers 1770
Il a comme simple but de semer quelques petits cailloux pris sur un sentier qui en compte une infinité, afin que le lecteur retrouve son chemin dans les méandres incommensurables qui ont abouti à l’une des créations artistiques populaires les plus riches qui aient jamais existé dans l’histoire du monde moderne. Observée en son temps, elle peut être considérée au moins d’égale ampleur au phénomène culturel de masse que représente l’apparition puis le sacre des technologies informatiques à la fin du XXᵉ siècle et, très probablement dans un avenir proche, à l’intelligence artificielle accessible à tous.

Didier Robert de Vaugondy, carte de l’Amérique du Nord, basée sur une carte grand format antérieure de Thomas Engel, 1772
Dans le bref coup de peigne à suivre de la dense chevelure de l’histoire nord-américaine, il n’est pas abordé l’incidence des migrations européennes sur les populations natives nord-américaines (peuples nord-amérindiens) ni celle des campagnes esclavagistes sur les déplacements forcés de populations noire-africaines.

N.C. Nyeth, Covered Wagons, 1940, JG Press 2004

Charles Russel, The Medicine Man, 1908, JG Press 2003
Ce n’est pas un oubli : ces deux dramatiques réalités historiques n’ont pas de relation directe avec le thème qui nous occupe. Il n’en reste pas moins qu’il m’est impossible de ne pas les citer, tant elles sont intimement liées à l’histoire des États-Unis dont la création de la bande dessinée est un des prolongements culturels majeurs.

Theodore R. Davis, École et chapelle, Trent River Settlement pour anciens esclaves, près de New Bern, Caroline du Nord, juin 1866

François Bourgeon, Les Passagers du vent T.5, Le Bois d’ébène, Éditions Glénat, 1984
Rodolphe Töpffer, encore et toujours.
Il faut tout d’abord rendre à César ce qui est à César, ou plutôt à Rodolphe ce qui lui appartient, puisque c’est la diffusion de L’Histoire de Monsieur Vieux-Bois, créée par le peintre suisse Rodolphe Töpffer (traduit par The Adventures of Obadiah Oldbuck), qui marque la source lointaine et souvent oubliée de la naissance de la bande dessinée aux États-Unis : c’est tout du moins ce qu’en pensent les historiens.

Rodolphe Töpffer, Histoire de Monsieur Vieux-Bois, créée en 1827, éditée pour la première fois en 1837.
Dans le supplément spécial à Brother Jonathan édité à New York le 14 septembre 1842, les lecteurs découvrent pour la première fois une histoire sous la forme d’une structure dessinée narrative, une séquence de vignettes avec textes et dessins que l’on n’appelle pas encore « comics ». De nombreux artistes nord-américains, souvent illustrateurs de presse ou caricaturistes, s’inspirent de la création de Töpffer pour développer des essais personnels.

Brother Jonathan, New York, 14 septembre 1842, supplément No. IX, The Adventures of Mr. Obadiah Oldbuck par Rodolphe Töpffer (source : Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, article “Töpffer en Amérique”, Robert Beerbohm et Doug Wheeler).
Néanmoins, il est impossible d’aborder la naissance de la bande dessinée aux États-Unis sans insister sur le fait qu’elle est essentiellement créée par les descendants des migrants européens, si ce n’est exclusivement. Elle est un phénomène interne à la structuration économique, sociale et politique de la société nord-américaine, à sa concentration progressive dans les grandes capitales fédérales, sous l’influence des vagues successives d’immigration de populations européennes vers le Nouveau Monde, et de la quête du rêve américain.

The World Magazine, double page, 1911
La bande dessinée est intimement liée aux évolutions sociales, techniques, économiques et politiques du XIXᵉ siècle, dont elle sera, à la fin de celui-ci et au début du XXᵉ, un fidèle réceptacle, un miroir d’une redoutable précision, un exutoire des plus exubérants et une fabuleuse caisse de résonance.

San Francisco (SF) Examiner, 1916 ; SF Chronicle 1915 ; Los Angeles Examiner 1916 ; Evening Herald (EH) 1917 ; EH 1916 ; SF Call and Post 1918 ; EH 1915 ; The Sunday Examiner 1915 ; The Sunday America 1913.
À la toute fin du XIXᵉ siècle, elle engendre l’explosion d’une supernova qui projette, sur le continent tout d’abord puis dans le monde entier, d’immenses projections de matières humoristiques plus loufoques les unes que les autres, un magma incandescent de formes et de couleurs nouvelles, des trames narratives révolutionnaires : elle enfante une colossale déflagration culturelle, la plus importante du premier quart du XXᵉ siècle de par son ampleur créatrice.

Geo McManus, A Quiet Day in St. Petersburg, Funny Side, The World, 1906
Le phénomène d’immigration massive de populations européennes
Si l’Amérique du Nord possède 6 millions d’habitants au début du XVIIIᵉ siècle, les sources n’indiquent pas clairement la part des populations amérindiennes, celle des populations noires issues de l’esclavagisme et celle des immigrants européens.

Winsor McCay, Sunday Illustrated Editorial, Vancouver, édition postérieure by King Feature Syndicate, 1922
Néanmoins, il est établi qu’entre 1840 et 1860, 4 millions d’Européens arrivent aux États-Unis, dont les trois quarts sont Irlandais et Allemands, l’autre partie étant principalement constituée de Français, Néerlandais, Écossais, ultérieurement Italiens et Britanniques. La très grande majorité est issue de milieux pauvres et défavorisés. Ces immigrants forment l’essentiel de la population des capitales des États fédéraux comme New York, San Francisco, La Nouvelle-Orléans, Chicago.

Lyonel Feininger, The Kin-Der-Kids, The Chicago Sunday Tribune, 1906
Après un long voyage par bateau, souvent dangereux et éprouvant, plus de la moitié des arrivants est filtrée dans le gigantesque centre d’accueil d’Ellis Island à New York. Une poignante interprétation artistique des conditions de transport et d’accueil des immigrants, non dénuée d’un humour grinçant, est réalisée par Charlie Chaplin dans son court métrage The Immigrant en 1917.

The Immigrant, Charlie Chaplin, 1917, affiche originale, diffusion USA
En 1862, Abraham Lincoln signe le Homestead Act (Loi de propriété fermière). Il permet à chaque famille pouvant justifier qu’elle occupe un terrain depuis au moins cinq ans d’en devenir propriétaire. Cette loi jouera un rôle déterminant dans la conquête de l’Ouest américain en favorisant l’immigration et l’occupation des terres.

Winsor McCay, Herald Examiner, 1931
Le pays connaît alors une extraordinaire croissance démographique : il compte 31 millions d’habitants en 1860, 62 millions en 1890, 75 millions en 1900, 105 millions en 1920.
L’industrialisation et les mutations sociales
Le développement de l’industrie transforme les États-Unis tout au long du XIXᵉ siècle. L’agriculture et les manufactures se mécanisent. Après la guerre de Sécession (1861-65), l’expansion du chemin de fer devient un des objectifs prioritaires du gouvernement et des compagnies privées de transports (voir l’épopée homérique des deux compagnies de chemins de fer, l’Union Pacific et la Central Pacific, qui construisent la première ligne transcontinentale entre l’Est et l’Ouest du continent).

Winsor McCay, The San Francisco Examiner, 1931
Il se développe un phénomène de concentration des industries pour faire face aux capitaux colossaux que nécessite le développement industriel (trusts puis holdings : en 1890, la compagnie Carnegie fournit entre 25 et 30 % de l’acier américain). Il s’opère également un développement effréné des forages de pétrole qui permet de pourvoir cette même industrie en énergie : entre 1860 et 1890, la production industrielle des États-Unis est multipliée par 11.

John Held Jr, The New Yorker, dessin de presse de la seconde moitié des années 1920, in The New Yorker Twenty-Fifth Anniversary Album 1925-1950 / Harper & Brothers, NY, 1951

Winsor McCay, The Evening Herald, 1915
L’essor industriel du pays provoque d’importantes mutations sociales et la concentration de populations qui sont de plus en plus urbaines. Les gratte-ciel, les tramways, les métros, les éclairages publics électriques deviennent des constantes dans les grandes villes américaines, qui sont les principaux lieux d’accueil des immigrants : ils y trouvent principalement du travail, quelquefois de l’instruction.

San Francisco Examiner, 1915
Dans les grandes cités, les quartiers ouvriers sont insalubres, il y règne une grande pauvreté où la violence, la maltraitance et l’ivrognerie accompagnent, entre autres fléaux, le quotidien d’un grand nombre d’habitants. La condition ouvrière y est particulièrement précaire, avec des journées de travail de 12 à 14 heures, des salaires faibles, l’exploitation des enfants dans les usines, des conditions de logement indécentes… Malgré tout, c’est dans les villes que l’idéal américain et le mythe du Self Made Man trouvent leur source.

J. E. Murphy, San Francisco Call & Post, 1916

Winsor McCay, Los Angeles Examiner Editorial, 1915
Développement de la presse écrite sur le continent
Il est frénétique, d’une immense complexité : il accompagne le déplacement sur le continent des flux migratoires européens puis leur fixation sur les territoires dits « vierges » ou dans les villes toujours plus nombreuses et en perpétuelle expansion.
Le premier journal, The Publick Occurrences Both Forreign and Domestick, naît à Boston à la fin du XVIIᵉ siècle. Les penseurs de la révolution américaine, comme Benjamin Franklin, signataire de la déclaration d’indépendance, sont souvent les promoteurs fiévreux de la liberté de la presse (liberté d’opinion, liberté d’expression).

Rodney Thomson, The Sun, 1915
En 1725, quatre titres représentent 170 000 exemplaires pour une population d’un million d’habitants dans les colonies. Un demi-siècle plus tard, si la population a pratiquement triplé, il existe alors 37 journaux tirant à 1,2 million d’exemplaires. Dans le dernier quart du XVIIᵉ siècle, le nombre de journaux est multiplié par dix, atteignant 359 titres en 1800 : dans le même temps, leur tirage est multiplié par vingt alors que, comparativement, la population n’est multipliée que par trois.

Winsor McCay, reproduction sous contrat Features, The Sunday Editorial Vancouver, 1912
Mais c’est au XIXᵉ siècle que, s’appuyant sur la Conquête de l’Ouest (processus de colonisation essentiellement mené par des populations européennes et le gouvernement des États-Unis, depuis l’achat de la Louisiane à la France en 1803 jusqu’aux territoires cédés par le Mexique en 1853) et sur la création de procédés d’industrialisation, la presse écrite se développe de façon exponentielle.

Winsor McCay, The Los Angeles Examiner, 1919
En 1870, les États-Unis comptent près de 6000 journaux, tous genres confondus, pour quasi 21 millions d’abonnés sur une population totale de 38 millions d’habitants. À titre de comparaison, le reste du monde possède un peu plus de 7600 journaux et publications périodiques.
En 1880, les États-Unis éditent plus de 11 000 journaux, soit quasi un doublement en une seule décennie. Cette exceptionnelle croissance, soutenue par l’invention de la presse rotative en 1865 puis de la linotype en 1886, permet une mécanisation de fabrication des journaux, une rapidité accrue du procédé d’édition, la réalisation d’économies d’échelle. Elle atteint un public plus large, plus diversifié, et enclenche une production de masse.

Winsor McCay, Los Angeles Examiner, 1919
New York, épicentre de la déflagration
C’est dans ce gigantesque mouvement d’expansion socio-économique, accompagné par un élan similaire de la presse écrite nord-américaine, qu’apparaît à la fin du XIXᵉ siècle une rivalité entre deux magnats de la presse new-yorkaise, rivalité qui aboutira à la création d’une forme de culture populaire (pop’culture), une culture de masse, aux dimensions encore jamais vues en Occident.

Winsor McCay, Los Angeles Examiner, 1916
Mais n’allez surtout pas imaginer que la bande dessinée a biberonné dans les cercles intellectuels de l’urbanité éclairée new-yorkaise, qu’elle y a côtoyé les vers subtils des poètes ou les compositions élégantes des meilleurs musiciens de l’époque, qu’elle a encombré la bibliothèque des boudoirs feutrés de la bourgeoisie de la méga-cité qui ne s’appelait pas encore « Big Apple ».

F. Ross, San Francisco Chronicle, 1905
Elle fut le résultat d’un objectif obsessionnel de quelques hommes d’affaires et propriétaires de presse pour développer un lectorat qui, principalement issu des masses d’immigrants illettrés, s’entassait misérablement dans les quartiers les plus pauvres.
Aux alentours de 1890, la presse dite « à sensation » connaît un essor foudroyant sous l’impulsion de Joseph Pulitzer, qui dirige le journal The New York World, et William Randolph Hearst, qui dirige le New York Journal. Les deux magnats s’engagent dans une guerre commerciale sans merci pour l’appropriation de l’immense lectorat populaire ouvrier, prenant appui sans vergogne sur une direction éditoriale axée sur un contenu à scandale, le sensationnalisme, le sexe, la violence, les fausses informations…

L. M. Glackens, parodie de William Hearst, la Presse Jaune, Puck Magazine, 1910, Library of Congress, Prints and Photographs Division (source web @ image et innovation)

Frederick Opper, caricature de Joseph Pulitzer, Puck Magazine, 1898, Division des estampes et des photographies de la Bibliothèque du Congrès (source web @ image et innovation)
Parallèlement, ils engagent un bras de fer technologique pour dynamiser la présentation des journaux, les rendre d’une lecture plus attractive en créant des illustrations pleine page, en diminuant la surface du rédactionnel en faveur de dessins en couleur, en ponctuant les articles d’illustrations noir & blanc, surtout en introduisant des histoires dessinées pour lesquelles un supplément dominical (The Sunday Color Pages) est rapidement mis sous presse.

W. Donahey, Cleveland Plain Dealer, 1912
À cette époque, la couleur la plus difficile à imprimer avec succès est le jaune. Une compétition technologique s’engage également sur ce terrain entre les deux journaux : le premier qui réussira à imprimer avec succès des dessins en jaune sera considéré comme le meilleur des deux, accroissant ainsi son prestige, sa renommée populaire et son tirage.

A. Russel, exemple de pleine page sans pigment jaune direct (malgré l’invention du World reprise par les journaux les plus à la pointe de la technique, beaucoup d’autres n’auront pas forcément les moyens d’impression de cette couleur), St. Louis Globe-Democrat, 1912
C’est ainsi que, le 5 mai 1895, le New York World de Joseph Pulitzer publie la toute première série en couleur incluant du jaune, At the Circus in Hogan’s Alley, dans laquelle le héros est un enfant chauve irlandais portant une chemise de nuit de couleur jaune. The Yellow Kid (enfant jaune) est né, et ce n’est pas un hasard s’il évolue dans le ghetto multiethnique déshérité de New York. Son créateur est Richard Felton Outcault qui, depuis juin 1894, réalise de façon confidentielle la même série en noir et blanc dans la revue Truth.

Richard F. Outcault, An Untimely Death, New York World, novembre 1895 (Kitchen Sink Press, 1995)
La combinaison d’une ligne éditoriale à sensation, d’une médiocre qualité rédactionnelle, de l’emploi de la couleur jaune du Yellow Kid aboutit à qualifier de Yellow Press la presse à scandale new-yorkaise puis, par extension, la presse nord-américaine du même type dans son ensemble.

Sylb. Griffin, revue Puck, s.d.
Joseph Pulitzer et William Hearst s’engagent également sur un autre front, celui de batailles effrénées pour s’approprier les meilleurs dessinateurs de l’époque. Ils les recrutent dans des revues comme Truth déjà citée, Puck, Judge, Life… Ils reçoivent avec un intérêt toujours grandissant les artistes talentueux qui viennent présenter leur projet. Ils les soustraient à leurs concurrents grâce à des contrats mirobolants.

Richard F. Outcault, Hogan’s Alley, New York World, septembre 1896 (Kitchen Sink Press, 1995)
Bien au-delà de celui de Richard Felton Outcault, d’autres noms comme Winsor McCay, Rudolph Dirks, Frederick B. Opper, Lyonel Feininger, Gustave Verbeck, Jimmy Swinnerton, Bud Fisher, George McManus, Rube Goldberg, George Herriman, Johnny Gruelle et Grace Drayton, pour ne citer qu’eux, seront à jamais fixés dans la mémoire collective pour leur création de personnages immortels comme Little Nemo, The Katzenjammer Kids, Happy Hooligan, Little Jimmy, The Kin-Der-Kids, Mutt and Jeff, The Upside-Downs, Mr. Twee Deedle, Dimples, Krazy Kat…

T. S. Sullivant, The New York Journal, 1898
Notons quelques tendances marquantes :
– La majorité des histoires se déroule dans un environnement extérieur où les personnages évoluent dans les rues des grandes villes, dans des cours entourées de hautes façades d’immeubles, à la campagne dans des cours de fermes, sur la place de villages, dans des paysages champêtres, sur les bords de rivières ou embarqués sur des fleuves, voire dans des forêts exotiques. Il faudra attendre les années 1920 pour voir apparaître un mouvement narratif d’ensemble vers les intérieurs domestiques et des histoires se centrant sur la vie familiale.

James Guilford Swinnerton, The New York Journal, 1898
– Les histoires en « bandes dessinées » sont brutales, leur style est très dynamique, les traits des dessins sont saillants, laissant apparaître toujours plus de mouvement. Les personnages sont issus du monde ouvrier, souvent des vagabonds, des voleurs de petite envergure. Les bagarres et les règlements de comptes sont incessants. Les gags explosifs sont les ponctuations délirantes des récits.

R.F. Outcault, Buster Brown, The Los Angeles Herald, 1914

H. C. Greening, Percy, The Times Dispatch, 1912
– Les situations les plus scabreuses baignent dans un burlesque truculent et outrancier que l’on retrouve d’ailleurs dans le cinéma muet de la même époque. Toute forme d’autorité, de quelque nature que ce soit, est l’ennemi à abattre, surtout si les personnages principaux sont des enfants.

Harold Knerr, The Original Katzenjammer Kids, The Detroit News Tribune, 1915
– N’excluant pas quelques fois une certaine poésie, la compréhension de l’intrigue est toujours abordable, la lecture facile d’accès. Les dessins prédominent sur les dialogues ; à part quelques exceptions, les textes d’accompagnement sont quasi inexistants. Les trames narratives correspondent à des situations simples à comprendre pour un public dont la grande majorité ne sait ni lire ni écrire.

John Gruelle, Mr. Twee Deedle, The Times Dispatch, 1912

R. D. Highet, Bubble Land, New York Herald, 1918
– Un dessin sur toute la largeur du haut de la page précède l’histoire qui sera développée sur une seule et unique page. Il réalise une habile introduction et une transition graphique subtile entre le titre et les cases. Très régulièrement sont ajoutés, sur les bordures droite et gauche, et/ou la bordure inférieure, des dessins d’accompagnement qui complètent l’histoire sans y prendre part. Ils sont généralement identiques au sein d’une même série ou d’un même journal. Ils permettent un renforcement de son identification à travers des éléments graphiques communs.

Walt McDougall, Hank and his Animal Friends, Boston Sunday Post, 1914
– La dimension des quotidiens est déterminante : 45 à 55 cm de large pour 55 à 65 cm de hauteur. Ces grands formats participent également au très grand succès des pages en couleur du dimanche (Sunday Color Pages), permettant aux artistes de donner libre cours à leurs créations grâce à une surface de composition non étriquée.

Winsor McCay, Little Nemo in Slumberland, The New York Herald Sunday, 1910
L’influence des principaux journaux new-yorkais — dont il faut mentionner aussi le New York Herald — puis celle des journaux des capitales des autres États nord-américains impulsent la distribution des pages des Color Comic Pages et des Sunday Color Comic Pages à une très grande échelle. La bande dessinée envahit rapidement tout le continent avec la force d’un rouleau compresseur et un immense succès. Des contrats de distribution initiés par William Randolph Hearst dès 1895 (Newspapers Feature Service Inc. puis le fameux King Features Syndicate Inc.) lient les différents journaux pour la diffusion des bandes dessinées.

Winsor McCay, In the Land of Wonderful Dreams, The Star Companies (by Features contract), 1914
Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer son impact, mais en l’espace d’à peine plus d’un quart de siècle, ce sont plusieurs centaines de séries, des milliers de personnages, des dizaines de millions de lecteurs et des centaines de millions de pages imprimées qui constitueront la fabuleuse aventure de cette création graphique et artistique populaire (pop’culture avant l’heure), la plus significative de la fin du XIXème siècle, et une des plus riches du XXème siècle.

Grace G. Drayton, Dimples, journal indéterminé (par Features contract), 1915
Je vous propose de continuer à l’aborder par quelques autres exemples, la plupart sortis des sentiers battus, et aux plus curieux de surfer à la recherche des sources détaillées d’information, via une autre révolution technologique créée un siècle plus tard : l’informatique.
Mais n’en oubliez pas les impressions sur papier, tout est parti de là.

R. F. Outcault, Johnny Jones’ School Days, Cleveland Plain Dealer, 1898
Bibliographie sélective
The Yellow Kid, A Centennial Celebration of the Kid Who Started the Comics, Kitchen Sink Press, 1995 ;
Art Out of Time, Dan Nadel, Picture Box Inc., Abraham New York, 2006 ;
75 Years of the Comics, Boston Book & Art, 1971 ;
100 Years of American Newspaper Comics, Maurice Horn, Random House, 1966 ;
The Smithsonian Collection of Newspaper Comics, John Canaday, Smithsonian Institution Press, 1977.
Wikipedia / États-Unis, immigration, histoire de la presse, presse à New York, New York World, Joseph Pulitzer, William Randolph Hearst, The New York Herald.
Iconographie
Lorsqu’elles ne sont pas référencées dans une édition, les pages imprimées originales sont toutes issues d’une collection privée. Idem pour les dessins de presse en noir & blanc (Editorial Works).

Carr Gene, Step-Brothers, The World, 1908

Cory, Cory’s Kids, The Dallas News Comic Section, 1915

Dirks Rudolph, St. Louis Post-Dispatch, 1919

Dwing, Uncle Jim & Tad & Tim, journal indéterminé, 1914

Herriman George, Krazy Kat, City Life Pages, journal indéterminé, 1917

Howarth F. M., Old Opie Dilldock’s Stories, The Chicago Sunday Tribune, 1908

Lena undt Loui Tooks Lessons Midt Art, auteur et journal indéterminés, 1912

Mager Gus, Hawkshaw the Detective, St. Louis Post-Dispatch, 1913

McDougall Walt, Hank the Hermit, Boston Sunday Post, 1913

McManus Geo, Bringing Up Father, St. Paul Sunday Pioneer Press, 1919

McManus Geo, Their Only Child!, The Times-Dispatch, 1913

Norman, Mr. Baffles, Boston Sunday Post, 1906

F. Opper, Happy Hooligan, journal indéterminé, 1924

Sambo, auteur indéterminé, San Francisco Chronicle, 1908

Sterrett Cliff, Polly and Her Pals, The Sunday Herald, 1916

Swinnerton James Guilford, In the Good Old Days, The Detroit Sunday News, 1918

Uncle Mun, auteur indéterminé, New York Herald Sunday, 1914


Verbeck Gustave, The Upside Down, journal indéterminé, 1904

Wells W. L., Old Opie Dilldock’s Stories, The Tribune Company Chicago, 1911

Westover Russ, Snapshot Bill, The News Magazine Supplement, 1914

Wiederseim Grace G., The Turr’Ble Tales of Kaptin Kiddo, The Sioux City Journal, 1911