Dans la collection de Spirou 
Eddy Paape, Yvan Delporte, Jean Doisy, Valhardi, « Les Etres de la Forêt », planche 7, 1950. - Planche originale
1820 

Valhardi, « Les Etres de la Forêt », planche 7, 1950.

Planche originale
1950
Encre de Chine
36 x 50 cm (14.17 x 19.69 in.)
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Des héros sympas.
Un garçon très débrouillard.
Trois héros échelonnés sur trois plans.
TROP TARD !!!
GRRH !
Publication en album.
Quand Eddy PAAPE dessinait tous les héros du Journal de SPIROU...
Spirou n° 619.
Reliure Spirou n° 32.
Et un plagiat de plus, un !

Commentaire




Eddy PAAPE : encre de chine pour la planche 7 de l’épisode de Jean Valhardi Les Etres de la Forêt, sur scénario d’Yvan DELPORTE. Publication dans le beau Journal de SPIROU n° 619 du jeudi 23 février 1950 et dans la reliure SPIROU n° 32. Repris dans l’album n° 15 de Valhardi en 1987 chez DUPUIS.


Les parties aquarellées au recto sont l' « oeuvre » d'un apprenti dessinateur, resté anonyme. Au début des années 1950, pour apprendre le métier aux petites mains de la Maison DUPUIS (lettreurs, maquettistes, coloristes, retoucheurs, etc.) on n'hésitait pas, par économie de papier, à leur demander de s'exercer au coloriage à même les planches originales déjà clichées. Il s'agissait de ne pas dépasser le trait et de sélectionner les bons coloris... Ce n'est que plusieurs décennies plus tard qu'on a commencé à prendre conscience de la valeur artistique et historique des planches et illustrations originales. Ces planches ainsi coloriées de JIJE, d'André FRANQUIN, de SIRIUS et de WILL ont longtemps été boudées par les collectionneurs qui estimaient, souvent non sans raison, qu'il s'agissait là d'un pur massacre. Avec le temps, on a fini dans le milieu de la collection par mieux accepter cet état de fait : les ajouts indélébiles d'aquarelle - si maladroits soient-ils, parfois - font partie intégrante de l'histoire de ces planches originales. On peut même leur trouver un certain charme - sans aller jusqu'à y voir une plus-value artistique, comme quelques novices ont pu parfois le faire en s'extasiant à contre-sens. Sur cette planche, les couleurs ont été apposées avec un soin qui ne dénature pas l'oeuvre d'Edddy PAAPE, mais qui vient lui ajouter un cachet certain.


Voici une des rares planches de cet album a ne pas avoir subi l’encollement de phylactères en néerlandais, qui ont irrémédiablement détérioré les textes en français. Ici, nous avons bien les textes d’origine, ceux publiés dans l’édition francophone du très beau Journal de Spirou. A noter que pour l’édition en album très tardive, chez DUPUIS, en 1987, Yvan DELPORTE a pris le parti de réécrire l’intégralité des dialogues afin de les rendre moins naïfs. Il s’agissait quasiment de son premier travail de scénariste et de dialoguiste, et il estimait s’être amélioré entretemps. Le manque de place ne permet pas de retranscrire ici l’intégralité des deux versions écrites à 37 ans de différence, ni de souligner leurs différences, sur lesquelles il y aurait beaucoup à dire.


Présence réitérée et variée des trois protagonistes de l’album : Valhardi, Jacquot, et le professeur Bols.


La dernière case est une merveille de naïveté, tant dans son dialogue que dans la représentation stéréotypée et caricaturale de l’homme d’un autre temps : massue sur l’épaule, pagne en peaux de bêtes, grognements intempestifs… Une préhistoire phantasmée surgit ici pour alimenter le suspense codifié du bas de page. Les jeunes lecteurs devaient attendre le jeudi suivant pour pouvoir découvrir la suite de l’épisode. Dès lors, la semaine était longue... « GRRH ! »… Le prochain numéro du Journal de Spirou permettra-t-il à Jean Valhardi, Jacquot et leur compagnon d’échapper aux multiples dangers qui les guettent ? Le monstre, mi-homme, mi-primate, tourne le dos au lecteur pour mieux observer les héros, à leur insu. HERGE, qui n’était pas à un honteux plagiat près, se souviendra de cette case lorsqu’il achèvera la dernière planche de Tintin au Tibet


Autre particularité de cette planche, la signature adoptée par l’auteur « Edo. PAAPE » pour « Edouard PAAPE » qui adoptera bien vite le nom d’artiste d’Eddy PAAPE. Parmi les 41 planches de cette histoire, seules 16 sont signées. Cette signature singulière, dans un cartouche circulaire, constitue a priori un apax dans l’oeuvre d’Eddy PAAPE.


La signature de l’artiste se cherche encore, et cela fait sens. Il y a de l’archaïsme dans la totalité de cette page, aussi bien dans son thème que dans le traitement qui en est fait. La matière brute (récit, dessin) est prise à bras-le-corps par Yvan DELPORTE et Eddy PAAPE, sans trop de réflexion ni de raffinement.


L’époque était bien plus naïve qu’aujourd’hui, et les bandes dessinées en étaient le reflet. Il faut se projeter à la place des petits lecteurs qui s’identifiaient au jeune Jacquot et pouvaient se persuader qu’eux aussi, placés dans de telles situations, à l’autre bout du monde, pouvaient se sortir de n’importe quel embarras avec un peu de volonté, de courage, de débrouillardise et d’astuce. Trois bout de ficelle, des tiges de bambou, des feuilles de palmier, et cinq cerfs volants s’élèvent dans le ciel, sans autre difficulté.


Les héros sont en pleine action : fusil, machette, ficelle et casque colonial leurs permettent d’affronter des éléments naturels hostiles : fleuve, courant contraire, rochers, homme sauvage... Le drame est présent, particulièrement aux cases 7, 8 et 9. L’attitude physique de Valhardi dans la case 7 est l’expression-même de la tragédie qui se noue ici. Le contraste se fait avec la décontraction avec laquelle l’instant d’avant, Jacquot, sans l’aide ni le conseil d’aucun adulte, fait preuve d’assez d’initiative pour sortir le trio de son écueil. L’humour se fait sentir à divers niveaux, à travers la gouaille de Jacquot et son registre de langue un peu relâché « Sors tes biceps », « Mets le radeau à la flotte », et à travers la façon dont il cherche à épater son aîné et mentor, tout en agissant via une cachotterie enfantine.


Valhardi est un héros valheureux. L’onomastique est ici limpide : « Va, l’hardi ! »… Et le récit prouve qu’un seul personnage a ici les qualités exemplaires du héros tel que Jean DOISY l’a conçu dès 1941. Qui détecte le danger sur le fleuve ? Qui vient au secours du professeur Bols ? Jacquot dans le même temps est rendu passif, ramené au stade d'objet, réifié par les éléments, il vole dans les airs puis est plongé dans l’eau de manière quasi farcesque.


Eddy PAAPE se moule dans le carcan du gaufrier de 12 cases régulières, tout en assouplissant à sa guise ses impératifs. A deux reprises une grande case verticale absorbe deux éléments du gaufrier. Les plans, les angles et prises de vue varient avec bonheur et efficacité : champ, contre-champ, vue aérienne, demi-plans, plans larges… Le découpage exclut ici toute monotonie. Une parfaite illustration du principe des contraintes fécondes.


L’épisode suivant, publié en 1951 et scénarisé par Jean-Michel CHARLIER, n’est autre que le mythique Château maudit, dans lequel les exigences graphiques du dessinateur seront équivalentes à celles des Etres de la Forêt.


En résumé cette planche offre des qualités qui en font une pièce de premier choix, auprès de laquelle passera le profane, mais que le véritable amateur saura apprécier. Encrage puissant et expressif, composition intelligente, variété des cases, palette d’émotions, héros présents et en action, ambiance caractéristique de l’épisode, ancrage dans l’époque, suspense de bas de page, signature particulière, absence de dommages causés par l’apposition de phylactères néerlandais, un des tous premiers travaux publiés d’Yvan DELPORTE… Que souhaiter de plus ?


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A propos de Eddy Paape

Eddy Paape, de son véritable nom Édouard Paape, né à Grivegnée (Belgique) est un dessinateur belge francophone de bande dessinée, principalement connu pour les séries Jean Valhardi, Marc Dacier et Luc Orient.