Dans la collection de Jan 
Sirene par Raoul Servais - Illustration originale
1135 

Sirene

Illustration originale
1968
Techniques mixtes
Paper
24 x 16 cm (9.45 x 6.3 in.)
Ajoutée le 14/12/2019
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Description

Dessin film d'animation Sirene.

Inscriptions / Signatures

Signé en bas à droite

Commentaire

Dans Sirène (1968), Raoul Servais donne forme à l’un de ses univers les plus oppressants : une ville portuaire froide, industrielle, où toute chaleur humaine semble avoir disparu. Tout dans ce paysage semble fait de fer : des grues métalliques s’élèvent à l’horizon, figent le ciel et imposent un rythme menaçant de domination mécanique. Ce qui ressemble à des ptérodactyles ne sont en réalité que des extensions inertes du système – rien n’échappe à l’emprise de la machine.

Le dessin qui accompagne le film, à la fois poétique et inquiétant, saisit l’essence de cet univers en quelques traits percutants. Le style de Servais est résolument poético-expressionniste : il évite toute euphorie technologique et préfère la distorsion, la menace et le symbole. L’horizon rougeoie comme s’il avait été contaminé par l’industrialisation. Les grues, semblables à des êtres vivants, n’ont ni âme ni but noble. Il n’y a pas de place pour la magie, seulement le souvenir de son existence.

Dans ce court-métrage d’animation, Servais nous emmène dans une ville portuaire déshumanisée, peuplée d’usines et de machines rouillées, où les sentiments semblent avoir été étouffés par la monotonie industrielle. Dans cette ambiance désolée surgit un être mythique — une sirène — incarnation de la beauté, du désir et d’une liberté désormais inaccessible. Un jeune ouvrier la rencontre brièvement, mais lorsqu’elle est capturée et exhibée comme un simple objet, le rêve s’effondre. Sa tentative de la libérer échoue, et le film se termine sur une note de désillusion et de solitude résignée.

Sirène marque un tournant dans l’évolution artistique de Raoul Servais. C’est une œuvre où convergent ses préoccupations esthétiques et sociales. Thématiquement, elle s’inscrit dans la lignée de films comme Chromophobia et Operation X-70, dans lesquels Servais dénonce les systèmes de normalisation, de répression ou de technocratie. Le conflit entre la poésie et la technologie y est omniprésent, soulignant les dangers d’un monde désenchanté, vidé de sa dimension humaine. Visuellement, on y retrouve les prémices de la fameuse Servaisgraphie, mais dans une palette sobre et contenue, faite de contours noirs et de teintes rouillées.

Dans l’ensemble de son œuvre, Sirène est emblématique de thèmes récurrents : la confrontation entre l’homme et la machine, la disparition de la nature, le désir d’un ailleurs. Mais c’est aussi un film sans consolation. La poésie n’y sauve rien ; elle enregistre la perte. Sirène est un conte industriel sans délivrance — une élégie visuelle pour un monde qui a perdu ses mythes. L’animation devient ici une forme de poésie critique : un miroir de l’âme, fait de fer, de suie et de silence.

L’influence de la peinture belge chez Servais ne se limite pas à une simple inspiration, elle est souvent explicite. Dans Papillons (1998), il fait littéralement revivre un tableau de Paul Delvaux : une salle d’attente étrange, des figures féminines et une atmosphère suspendue prennent vie sous ses pinceaux animés. De même, Constant Permeke est présent dans Pégase (1973), où le style expressif et anguleux du peintre flamand trouve un écho dans le récit d’un maréchal-ferrant qui tente en vain de créer un cheval de métal. La ruralité, la force brute et la nostalgie s’y traduisent en images puissantes, inspirées du expressionnisme flamand.

Le lien avec René Magritte est plus subtil mais tout aussi essentiel. Comme lui, Servais explore le dérèglement du quotidien, l’incongruité des objets, la suspension du temps. Là où Magritte crée des énigmes figées, Servais insuffle du mouvement dans l’absurde. Tous deux désarment le spectateur en posant des questions visuelles qui restent sans réponse, mais qui ouvrent la voie à une réflexion plus profonde sur la réalité.

Raoul Servais est devenu une figure de référence dans le monde du cinéma d’animation. Avec Harpya (1979), il remporte la Palme d’Or du court-métrage au Festival de Cannes, ce qui marque sa consécration internationale. Déjà, en 1966, Chromophobia avait reçu le Premier Prix au Festival de Venise. Ces distinctions valident non seulement la qualité de son œuvre, mais aussi sa singularité dans un domaine longtemps marginalisé.

En 1963, il fonde au KASK de Gand la première section autonome de film d’animation en Europe, posant les bases d’un enseignement artistique novateur. À travers plus de soixante années de création, Servais n’a cessé d’expérimenter, de chercher, de se remettre en question. Chaque film devient pour lui une occasion de repenser l’animation non comme une technique, mais comme un langage poétique au service de la narration, de l’émotion et de l’engagement.

Son œuvre est à la fois visuelle et politique, ludique et grave, enracinée dans une mémoire collective blessée et tendue vers une imagination libre. Elle continue, aujourd’hui encore, de fasciner par sa capacité à conjuguer exigence artistique et clarté expressive — et à faire parler les images là où les mots échouent.

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