Sans Titre

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Oui

Il y a des œuvres qui s’offrent comme un fleuve : on n’a pas besoin de remonter à la source, ni d’attendre l’estuaire. Il suffit d’y entrer, là où l’on est, et de se laisser porter. L’œuvre d’Edmond Baudoin est de cette nature-là — une grande rivière où l’on retrouve, à chaque détour, les mêmes thèmes profonds, creusés inlassablement : la mémoire, le corps, l’enfance, la solitude, le regard, l’amour.

Parmi ceux-ci, il y a cette tension singulière vers l’amour, ou peut-être vers la version idéalisée de l’amour : le désir d’aimer, le besoin d’être vu, la quête de la fusion. On sent que Baudoin a longtemps poursuivi ce vertige amoureux, l’a exploré livre après livre, visage après visage. Il en a dessiné toutes les formes, toutes les attentes, toutes les blessures aussi. Et pourtant, au fil du temps, quelque chose semble s’être déposé en lui — une lucidité tendre. Comme s’il avait compris que l’amour, aussi grand soit-il, n’est qu’une des manières d’habiter une vie.

Un Leonard Cohen âgé chantait : “The goal falls short of the reach.” C’est une phrase qui pourrait accompagner les dernières œuvres de Baudoin. Ce n’est plus la conquête qui importe, mais le chemin. Plus le frisson de la rencontre, mais l’acceptation du silence. Ce qui reste, c’est l’humain, dans son souffle et ses pensées.

Et si l’on revient à ce tableau, on y voit peut-être le plus juste autoportrait que Baudoin ait jamais peint. Pas un visage précis, pas une scène, mais une forme humaine, traversée de mémoire et de fragilité. Un corps pensé, rêvé, offert d’un seul trait. Une figure qui ne représente pas lui, mais nous tous : un être avec ses pensées, ses désirs, ses peurs. Une figure spontanée, fluide, peinte comme on écrit une phrase sincère — sans retour en arrière.