Dans la collection de MV9957
Commentaire
« Depuis quelque temps, j’apprécie de dialoguer pendant des heures avec les gens. » J’ai extrait cette phrase du dernier chapitre en forme de clin d’œil (chapitre intitulé (A Suivre) - p.410) des mémoires de JP Dionnet. Effectivement, après la table ronde au Salon de la BD de Paris en décembre 2019 (*1), toujours grande classe, JP Dionnet est resté échanger avec moi un long moment pour mon plus grand bonheur.
Son autobiographie, indispensable quand on aime la BD, est colossale. C’est en fait l’histoire de la mutation culturelle du dernier quart du XX ème siècle qui est y retracée de façon impressionniste, l’époque culturellement révolutionnaire façonnée par les enfants de Mai 68, dont JP Dionnet fut un des acteurs importants. La sublime exposition 1975-1997 : la BD fait sa révolution / Métal Hurlant - (A SUIVRE) célébrait ce moment pour ce qui concerne la BD (*2).
Toute sa vie Dionnet a été passionné par les cultures populaires : science-fiction, rock et musiques noires, télévision, cinéma et BD bien entendu. Pour toutes ces cultures de la marge mais surtout pour la BD, Dionnet fut, successivement ou simultanément, découvreur, défricheur, accoucheur, catalyseur, analyste, scénariste, rédacteur en chef, éditeur, mémoire historique vivante et passeur.
Il n’y a pas de créativité sans désordre, la vie naît du chaos primitif, et Dionnet incarne cette phase pleinement. C’est un boulimique de culture qui ne fait pas le tri, qui absorbe tout comme une éponge, et ce livre est à son image : c’est un feu d’artifice, à la chronologie aléatoire et sans véritable structure ou mise en perspective. C’est le reflet de cette époque héroïque et fondatrice.
Hélas, le désordre appelle toujours un retour à l’ordre, et c’est ce que nous vivons aujourd’hui, un retour à un ordre politique et moral féroce, sans grâce ni créativité. Let it be, c’est la thermodynamique, c’est la vie. La créativité s’exprime désormais, pour le meilleur et pour le pire, dans la révolution technologique, informatique et digitale.
François Schuiten : « Métal Hurlant a réussi à incarner des forces et des courants qu'il fut très difficile de retrouver après. Ce magazine hors de toute norme a permis d'expérimenter et d'avancer. Quand on a perdu (À Suivre) et Métal Hurlant, c'était le cœur même d'un mouvement, d'une tension qui disparaissait... Et depuis on rame ».
Jean-Pierre Dionnet a eu mille vies, il a vécu dans plusieurs univers parallèles qui parfois se sont croisés ou superposés, mais toujours il a été accompagné par les livres. Le Jardin aux sentiers qui bifurquent de Jorge Luis Borges est le livre métaphore du labyrinthe et de la vie. C’est aussi une métaphore de sa vie (*3).
Jean-Pierre Dionnet conclut d’ailleurs son livre par la phrase suivante : « Et le jour où je m’endormirai pour de bon, je saurai peut-être enfin si j’ai été rêveur ou rêvé. », qui nous renvoie tout droit à la conclusion de la nouvelle de Borges : Les ruines circulaires (*4).
Pour ce qui me concerne, tout au long de ma vie j’ai été accompagné dans mon évolution par les mutations de la BD : l’enfance et les héros magnifiques avec Vaillant et les Petits Formats, l’adolescence puis le passage à l’âge adulte avec, en vrac, l’acquisition du sens critique dans Pilote, l’humour et le cul dans L’Echo des Savanes-Fluide Glacial, l’imagination débridée, la science-fiction et le rock dans Métal Hurlant, la littérature et le roman graphique dans (A Suivre) (*5). Dionnet est donc un des acteurs de ma propre histoire. Merci Jean-Pierre.
(*1) que j’avais évoquée dans le commentaire à ma planche de Juan Vilajoana
(*2) Organisée par le Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la Culture et exposée successivement en 2014 au Fonds Hélène & Edouard Leclerc à Landerneau et à la Cité Internationale de la BD et de l’image à Angoulême, puis en 2017 à La Boverie à Liège.
(*3) A moins que ce ne soit la vie qui est une métaphore du Livre : comme pour Hugo Pratt (voir mon Carnet Si… Si… Si…), la question qui se pose aux dévorateurs-adorateurs de livres est : peut-on s’échapper de La Bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges, qui commence par ces mots : « L’Univers (que d’autres appellent la Bibliothèque) … » ?
(*4) dont la dernière phrase est : « Avec soulagement, avec humiliation, avec terreur, il comprit que lui aussi était une apparence, qu’un autre était en train de le rêver ».
(*5) Voir dans les images additionnelles mon système solaire complet de la BD, avec sa genèse, ses astres, ses planètes, lunes et satellites. Merci à La Libre Belgique qui a publié ce magnifique document (https://www.lalibre.be/culture/arts/les-annees-metal-hurlant-a-suivre-52bbb2583570105ef7dd4640).
Son autobiographie, indispensable quand on aime la BD, est colossale. C’est en fait l’histoire de la mutation culturelle du dernier quart du XX ème siècle qui est y retracée de façon impressionniste, l’époque culturellement révolutionnaire façonnée par les enfants de Mai 68, dont JP Dionnet fut un des acteurs importants. La sublime exposition 1975-1997 : la BD fait sa révolution / Métal Hurlant - (A SUIVRE) célébrait ce moment pour ce qui concerne la BD (*2).
Toute sa vie Dionnet a été passionné par les cultures populaires : science-fiction, rock et musiques noires, télévision, cinéma et BD bien entendu. Pour toutes ces cultures de la marge mais surtout pour la BD, Dionnet fut, successivement ou simultanément, découvreur, défricheur, accoucheur, catalyseur, analyste, scénariste, rédacteur en chef, éditeur, mémoire historique vivante et passeur.
Il n’y a pas de créativité sans désordre, la vie naît du chaos primitif, et Dionnet incarne cette phase pleinement. C’est un boulimique de culture qui ne fait pas le tri, qui absorbe tout comme une éponge, et ce livre est à son image : c’est un feu d’artifice, à la chronologie aléatoire et sans véritable structure ou mise en perspective. C’est le reflet de cette époque héroïque et fondatrice.
Hélas, le désordre appelle toujours un retour à l’ordre, et c’est ce que nous vivons aujourd’hui, un retour à un ordre politique et moral féroce, sans grâce ni créativité. Let it be, c’est la thermodynamique, c’est la vie. La créativité s’exprime désormais, pour le meilleur et pour le pire, dans la révolution technologique, informatique et digitale.
François Schuiten : « Métal Hurlant a réussi à incarner des forces et des courants qu'il fut très difficile de retrouver après. Ce magazine hors de toute norme a permis d'expérimenter et d'avancer. Quand on a perdu (À Suivre) et Métal Hurlant, c'était le cœur même d'un mouvement, d'une tension qui disparaissait... Et depuis on rame ».
Jean-Pierre Dionnet a eu mille vies, il a vécu dans plusieurs univers parallèles qui parfois se sont croisés ou superposés, mais toujours il a été accompagné par les livres. Le Jardin aux sentiers qui bifurquent de Jorge Luis Borges est le livre métaphore du labyrinthe et de la vie. C’est aussi une métaphore de sa vie (*3).
Jean-Pierre Dionnet conclut d’ailleurs son livre par la phrase suivante : « Et le jour où je m’endormirai pour de bon, je saurai peut-être enfin si j’ai été rêveur ou rêvé. », qui nous renvoie tout droit à la conclusion de la nouvelle de Borges : Les ruines circulaires (*4).
Pour ce qui me concerne, tout au long de ma vie j’ai été accompagné dans mon évolution par les mutations de la BD : l’enfance et les héros magnifiques avec Vaillant et les Petits Formats, l’adolescence puis le passage à l’âge adulte avec, en vrac, l’acquisition du sens critique dans Pilote, l’humour et le cul dans L’Echo des Savanes-Fluide Glacial, l’imagination débridée, la science-fiction et le rock dans Métal Hurlant, la littérature et le roman graphique dans (A Suivre) (*5). Dionnet est donc un des acteurs de ma propre histoire. Merci Jean-Pierre.
(*1) que j’avais évoquée dans le commentaire à ma planche de Juan Vilajoana
(*2) Organisée par le Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la Culture et exposée successivement en 2014 au Fonds Hélène & Edouard Leclerc à Landerneau et à la Cité Internationale de la BD et de l’image à Angoulême, puis en 2017 à La Boverie à Liège.
(*3) A moins que ce ne soit la vie qui est une métaphore du Livre : comme pour Hugo Pratt (voir mon Carnet Si… Si… Si…), la question qui se pose aux dévorateurs-adorateurs de livres est : peut-on s’échapper de La Bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges, qui commence par ces mots : « L’Univers (que d’autres appellent la Bibliothèque) … » ?
(*4) dont la dernière phrase est : « Avec soulagement, avec humiliation, avec terreur, il comprit que lui aussi était une apparence, qu’un autre était en train de le rêver ».
(*5) Voir dans les images additionnelles mon système solaire complet de la BD, avec sa genèse, ses astres, ses planètes, lunes et satellites. Merci à La Libre Belgique qui a publié ce magnifique document (https://www.lalibre.be/culture/arts/les-annees-metal-hurlant-a-suivre-52bbb2583570105ef7dd4640).
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A propos de Jean-Pierre Dionnet
Jean-Pierre Dionnet, né le 25 novembre 1947 à Paris, est un producteur, scénariste, journaliste, éditeur de bande dessinée et animateur de télévision français.
Cofondateur de Métal hurlant et des Humanoïdes associés en 1974, il a découvert ou introduit en France de nombreux auteurs et joué un rôle décisif dans la bande dessinée contemporaine.
Grand amateur de rock, il a co-créé en 1980 Les Enfants du rock tandis qu'en cinéphile averti, il a présenté Cinéma de quartier sur Canal+ de 1989 à 2007.
Dans les années 1990, il a contribué à la popularisation du cinéma asiatique via sa société de production "Des Films".
