Dans la collection de Spirou 
Eddy Paape, Jean-Michel Charlier, Marc Dacier n° 3, « Au-delà du Pacifique », planche 5, 1959. - Planche originale
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Marc Dacier n° 3, « Au-delà du Pacifique », planche 5, 1959.

Planche originale
1959
Encre de Chine
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L'album.
Une page de l'album.
Spirou n° 1120.
Eddy Paape.
Eddy Paape.
Jean-Michel CHARLIER, Eddy PAAPE, Georges TROISFONTAINES.
L'équipe de Pilote...
Trois immenses créateurs...

Description

Eddy PAAPE : encre de chine sur papier Schoellers Parole (tampon à froid dans la dernière case) pour la planche 5 de la troisième aventure de Marc Dacier, « Au-delà du Pacifique », sur scénario de Jean-Michel CHARLIER. Indications de couleurs aquarellées au verso, et visible par effet de transparence. Planche originale publiée dans le Journal de SPIROU n° 1120 du 1er octobre 1959, puis en album DUPUIS en 1961.

Depuis plusieurs années il est difficile d'intégrer à sa collection une jolie planche de la bonne période de cette série, ces planches restent assez convoitées, car des passionnés de Jean-Michel CHARLIER et d'Eddy PAAPE les ont "trustées" en grand nombre, allant même pour un d'entre eux - que je salue bien amicalement - jusqu'à acquérir au fil du temps plus de 60 pages de Marc Dacier, par pur plaisir.

Commentaire




Voici une planche de Marc Dacier qui au premier abord peut rebuter nombre de collectionneurs, pour trois raisons - ces mêmes raisons qui la rendent très séduisante aux yeux de passionnés de cette série :
- pas d'action
- trop de textes
- rien d'éclatant

1
Tout d'abord c'est une scène statique, d'intérieur, un huis-clos entre le héros et le capitaine O'Brien, un personnage essentiel de l'épisode. Les béotiens diront qu'il ne s'y passe pas grand chose, et qu'en l'absence d'action physique, cette page est dépourvue de tout intérêt. Réflexe mal avisé, doublé d'une profonde méconnaissance de ce qui peut faire la qualité d'une planche. Car il s'agit bien d'un passage-clef, crucial, indispensable, et qui permet de comprendre pourquoi et comment Marc Dacier va accepter la folle proposition du policier américain, quels sont les risques mortels qu'il va courir, et quelle épée de Damoclès va désormais peser sur lui : c'est à partir de cette page que le suspense élaboré par le scénariste va pouvoir se déployer avec une efficacité implacable.
Il faut savoir apprécier comment Eddy PAAPE parvient à se sortir des contraintes imposées par ce passage délicat, ingrat, et souvent rebutant pour un dessinateur. On ne peut qu'admirer la mise en scène, les choix de cadrage, la façon qu'a le dessinateur de "virevolter" à l'infini autour des deux personnages.
Une scène d'intérieur, cela signifie aussi l'absence de tout véhicule automobile. Or ce n'est pas faire injure aux très grandes qualités graphiques d'Eddy PAAPE que d'estimer que les véhicules qu'il dessine dans cette série ne sont pas toujours de grands modèles de réussite.
Au final, en l'absence d'action matérielle, cette planche nous plonge au coeur de l'intrigue et d'un profond bouillonnement psychologique... une autre forme d'action sans laquelle le récit de cette aventure n'aurait pas lieu d'être.

2
Ensuite, le néophyte décriera la quantité de texte présente ici. Des phylactères comportant jusque douze lignes bien tassées, auxquels viennent s'ajouter trois cartouches eux aussi bien fournis. Une planche "bavarde", donc.
Mauvaise appréciation, encore une fois. La bande dessinée "classique", c'est du texte, et du dessin. La lecture des phrases de Jean-Michel CHARLIER fait intrinsèquement partie du plaisir que procurent ses oeuvres. Exactement de la même façon, les longues descriptions balzaciennes ne sont sautées que par les lecteurs qui passent à côté de l'essentiel.
Oui, une bande dessinée, c'est une oeuvre qu'on lit. Se délecter d'une bande dessinée, c'est se soumettre à cette activité si particulière qu'est la lecture de textes. Les paresseux qui n'aiment pas déchiffrer les mots peuvent se contenter d'acheter des illustrations de commande - tous les acheteurs d'originaux ne sont pas de "véritables" collectionneurs, ni des lecteurs de bande dessinée, il faut l'admettre. Une des récompenses de cette lecture, c'est le plaisir engendré par le jeu autour des conventions dramatiques, tragiques et théâtrales si chères à Jean-Michel CHARLIER. Les dialogues savoureux sont ici trop nombreux pour être tous relevés, on ne citera que l'emblématique formule "C'est ce qui vous trompe, jeune homme !"... qui pourrait aussi bien s'adresser à un collectionneur débutant dédaignant les qualités réelles de cette planche.
Et puis, on ne le sait pas toujours, Eddy PAAPE était - à juste titre - considéré dans le milieu comme un des meilleurs et des plus élégants lettreurs qui soit. Le lettrage c'est aussi une forme de dessin, et un texte abondant, lorsqu'il est aussi bien lettré, devient une des forces d'une planche. Et tout l'album est résumé dans cette réplique, détachée par une police de caractère plus haute, en dernière case : "En prenant la place de Bill Moratti". Du grand art.

3
Enfin, que répondre à l'amateur persuadé que cette planche est un peu trop lisse ?
C'est un "gaufrier" rigoureux à la composition très étudiée, "gaufrier" parfaitement structuré autour de l'ascendant psychologique que le policier américain prend pas-à-pas sur le naïf Marc Dacier. Le visage préoccupé du vieux roublard O'Brien est au centre de cette planche, et pas seulement en case 4 : la gravité, la tension, l'angoisse président ici. Avec CHARLIER, les jeunes lecteurs jouent à se faire peur : il suffit, par exemple, de lire les titres des aventures de La Patrouille des Castors pour s'en convaincre.
On touche ici du doigt le coeur de ce qu'a été la grande époque du Journal de SPIROU et des Editions DUPUIS. Aussi bien par l'importance de cette série dans l'histoire de l'Ecole de Marcinelle, que par l'aspect nettement plus anecdotique des couleurs apposées maladroitement au recto de la planche par un apprenti chromiste : la page a certes été dénaturée, mais c'est aussi le sel et la réalité de ce qu'a été le Journal de SPIROU dans ses grandes années classiques. Planche "détériorée" par ces coloriages ? Non, car les originaux n'ont jamais eu vocation à avoir le rendu net et policé d'une sérigraphie. Ces couleurs au crayon de bois peuvent être en partie gommées et effacées, sans passer par une restauration professionnelle (visuels à suivre).
Marc Dacier est présent pas moins de 10 fois dans ces 11 cases... est-ce le cas pour tant de planches que cela ?
Enfin, on notera que le personnage d'O'Brien épouse la figure archétypale du genre, qu'on retrouve sous la plume et le pinceau de quantités d'auteurs de l'époque. Par exemple, le Commissaire Pradier, ami de Blake et Mortimer, est lui aussi, dans les albums d'Edgard Pierre JACOBS, un peu corpulent, moustachu, un brin dégarni, et constamment en costume-cravate et chapeau mou. Comme tant d'autres, Marcel GOTLIB a repris et parodié ce type d'emploi, à travers le commissaire Bougret, flanqué de son assistant Charolles, dans La Rubrique-à-Brac née dans les pages de l'hebdomadaire PILOTE.


Finalement, autour de quoi tournent les deux personnages, dans cette planche ? Ils semblent danser autour du verbe et de la verve de Jean-Michel CHARLIER, comme pour rendre hommage à leur créateur, ce scénariste de génie, sans qui les Jean GIRAUD, Albert UDERZO, JIJE, Victor HUBINON, MITACQ, etc. n'auraient pas eu la même carrière, et sans qui la bande dessinée franco-belge n'aurait pas aujourd'hui le même visage. Evoquer Eddy PAAPE c'est aussi, naturellement et assez vite, faire surgir Jean-Michel CHARLIER, Albert UDERZO, René GOSCINNY ... mais aussi les vieux copains de l'éphémère studio d'animation CBA : André FRANQUIN, MORRIS et PEYO...

Sans CHARLIER, pas de Journal PILOTE, et pas de saga d'Astérix...
L'immense Albert UDERZO nous a quitté en ce matin du 24 mars 2020. La présentation de cette planche d'Eddy PAAPE, aujourd'hui, sur 2DG, constitue également une forme de clin d'oeil et d'hommage indirect, "par la bande", à ce dessinateur au succès pleinement mérité.



Publication

  • Au-delà du pacifique
  • Dupuis
  • 01/1961
  • Page intérieure

Voir aussi :   Marc Dacier

Thématiques


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A propos de Eddy Paape

Eddy Paape, de son véritable nom Édouard Paape, né à Grivegnée (Belgique) est un dessinateur belge francophone de bande dessinée, principalement connu pour les séries Jean Valhardi, Marc Dacier et Luc Orient.