Commentaire
Qu'y a-t-il de commun entre Grabote, sorte de coccinelle bleue chaussée de bottes vertes trop grandes, beaucoup trop grandes, des bigorneaux mal embouchés perdus sur une plage, et ces personnages étranges, tout droit sortis d'un tableau de Jheronimus Bosch? Le trait pertinent, mordant, drôle et parfois cruel de Nicole Claveloux.
Depuis bon nombre d'années, son coup de crayon, reconnaissable entre mille, hante l'univers des enfants et des plus grands. Ses personnages préférés: les bébés, les filles, les clowns, les cochons et les métamorphoses. Souvent dodus, savamment habillés de pied en cap, les cochons aux allures rabelaisiennes sont des animaux totémiques dans le monde de Nicole Claveloux.
Des études à l'Ecole des beaux-arts de Saint-Etienne où, selon son propre aveu, elle est «restée longtemps, beaucoup trop longtemps».
Un détour par le monde de la publicité, qu'elle quittera très vite et voilà qu'elle fait des illustrations pour «Marie-Claire», «Planète»... Ce qui lui ouvre beaucoup de portes et lui permet de rencontrer Harlin Quist et François Ruy-Vidal. De cette collaboration, suivront des livres remarquables parmi lesquels «les Aventures d'Alice au pays des merveilles» (Grasset, 1974), «Poucette» (Editions des femmes, 1977), «Grabote» (Bayard-Presse, 1981), «Dedans les gens» (Le sourire qui mord, 1993) et, très récemment, toute une série de contes de fées du folklore européen (chez Casterman).
Mais au fait, comment vient-on au livre pour enfant? «Je voulais faire des images, fantastiques si possible. Dans la littérature pour adulte, rares sont les espaces réservés à l'illustration. Les possibilités sont plus réduites que dans celle pour enfants. Dans cette dernière, on nage dans un univers de contes de fées, de personnages imaginaires.» Et Nicole Claveloux n'est pas en panne d'imagination. Touche-à-tout, elle évolue avec une remarquable aisance dans l'univers de la bande dessinée avec des personnages inattendus, drôles (Grabote, les Bigorneaux) dont la palette des sentiments évoqués vous renvoit à votre propre miroir, fait d'incertitudes, de joies et de malheurs. Les traits de caractère de ces petits personnages ici crayonnés, sont justes, précis. On est saisi par la pertinence du propos, sa philosophie.
L'autre penchant de cette illustratrice est du domaine de la peinture, un autre univers où elle excelle. Ainsi «Dedans les gens» est à l'origine un tableau d'un seul tenant, fragmenté en autant de petits carrés que le petit album cartonné contient de saynètes.
On devine l'influence de Bosch, un peintre qui la fascine. «Je suis contente que vous ayez trouvé une filiation avec celui qui est pour moi un grand maître.» Là, on nage en plein fantastique, avec des personnage étranges, mi-hommes, mi-animaux. Un carnaval multicolore où ces monstres surgis de nulle part organisent une farandole teintée d'une douce cacophonie. On est fasciné par leur exubérance, leurs tenues aux grands drapés chauds et voluptueux, d'une richesse inouïe, les décors d'une irréalité parfois effrayante. La mise en scène est des plus débridées, servie par un coup de crayon où rien, pas même le moindre détail, n'est laissé dans l'ombre. «Ces deux tendances - bandes dessinées et peinture - ont toujours coexisté dans mon travail. J'aime raconter des histoires avec des illustrations simples et faire des images compliquées. Le dessin au trait ou à la gouache est là depuis toujours.»
«Je ne sais ni écrire ni raconter une histoire. Il m'arrive d'avoir des idées de livres, mais partiellement. J'ai surtout des idées d'images, dit-elle dans un souffle. Mais je travaille beaucoup avec des auteurs, comme Bernard Bonhomme, à partir de scénarios d'amis. Il m'arrive aussi d'exécuter mes crayonnés à partir d'un texte ou plus simplement d'une idée.»( Zoe Lin MERCREDI, 29 NOVEMBRE, 1995
L'HUMANITÉ)