Joe Bar Team - Tome 1

Joe Bar Team
Dessin et scénario: Debarre Christian dit Bar2
Tome 1 "Joe Bar Team" 1990
Planche1
35.5/39.0 cm

En ce début des années 90', sur une étagère chez pratiquement tous les copains, on trouvait le "Black album", "Smell like a teen spirit" ou encore "Use your illusions 1-2", mais également, posé là nonchalamment le tome 1 du Joe Bar Team. On passait nos permis motos... tout une époque. Je me souviens parfaitement de la lecture de cette première planche et du rire que je ne pus retenir. Et cette phrase culte de Ed' la poignée "Je pisse sur les twins poussifs et les cylindres à trous qui puent!" qui restera gravée à jamais dans ma tête. Je la regarde de nombreuses fois et quand j'ai fini de lire ce premier gag, j'y reviens encore. Il y a de ces bandes-dessinées qui ont marqué des époques et beaucoup de lecteurs. Le tome 1 de Joe Bar Team sans hésitation en fait partie.

Cette première planche est d’une efficacité narrative redoutable. On peut sentir l’envie de bien faire du dessinateur mais également la nécessité d’être concis. Ceci est dû principalement à l’historique de la série. Les planches du Joe Bar Team sont à l’origine une commande du magazine Moto Journal destinée à un tirage «spécial vacances».

Il n’y a alors pas de vision à long terme pour une série. Bar2 a une commande pour un gag en deux planches. Il lui faut donc impérativement en une planche faire comprendre au lecteur le contexte, le lieu, les personnages pour pouvoir placer son gag en seconde planche (à noter que finalement il décidera de tronquer cette première histoire qu'il avait imaginé et de la clore par un "à suivre" au bas de la seconde planche convaincu que cette B.D aurait une suite). De plus, l’ambiance, il la veut style Western à la Sergio Leone. C'est parti... Le cow/bike-boy arrive en ville sur son destrier dans une première case qui nous montre le lieu, le bar de Joe. Bar2 nous fait alors sans vraiment en avoir l'air la présentation des quatre motos de nos héros en case 2. Malgré un dessin style "gros nez", les engins sont très détaillées, réalistes. On le doit au fait qu'à l'origine ces planches sont destinées à un magazine spécialisé dans le domaine.
La Kawasaki 750 H2 de Jean-Raoul Ducable, la Norton Commando 850 de Jean Manchzeck et la Ducati 900 SS de Guido Brasletti et bien entendu Edouard Bracamme sur sa Honda 750 Four. Le cow/bike-boy entre alors dans le saloon/bar en case trois. Il commande un verre au comptoir et le dessinateur en profite pour nous présenter les trois autres protagonistes qui vaquent à leurs occupations trépidantes en case quatre. Vous remarquerez qu'il décide de ne pas nous montrer Joe, le tenant du bar qui n'est qu'un personnage secondaire. C'est le bar lui-même qui fait office de personnage principal (une erreur à noter, le J du Joe Bar de la vitre est écrit à l'envers). Vient alors ce bijou de case cinq...
Le temps y est suspendu par les mots de Ed. qui lui est le seul à bouger en s’envoyant son "baby sans glace". Le flipper tilt, les doigts se crispent, les yeux s'écarquillent, le briquet s’éteint, bref la tension est à son paroxysme. Détail fantastique, si vous regardez bien, même les posters de motards sur les murs du bars se "réveillent" et sont choqués!


C’est en case six que les duellistes sortent du saloon pour aller s’affronter sur la route, leurs engins rugissants, prêts à LA BOURRE en dernière case (à noter que cette dernière case sera reproduite/photocopiée et apposée sur la quatrième planche de la série en case 7). Fane fera un clin d'œil à cette planche en première planche de son premier album de la série (tome 3) et Bar2 lui-même récidivera en introduction de son tome 5.

Tout l'ADN de la série se trouve déjà dans cette planche. Des répliques légendaires, devenues cultes comme "Je pisse sur les twins poussifs et les cylindres à trous qui puent!". Une multitude de petits détails dans le dessin comme ici le flipper qui "tilt", la tête des trois motards ahuris, figés tandis que Ed. s’envoie son verre ou là les onomatopées du rugissement des motos, différentes en fonction du model. Bar2 aime la moto, il aime le dessin et ça se sent! Son travail est très inspiré par Franquin dont il est le plus grand fan. Il faut dire qu'en ces années-là, faire du "gros nez" revenait pratiquement à faire du Franquin. Ce que je note surtout en dehors du côté graphique, c’est que Bar2 s'est beaucoup inspiré de Franquin pour planter et faire vivre son décor. Le gamin émerveillé par les motos, les passants et le trafique en première case, les détails du bar tant à l'extérieur que pour son comptoir ce qui donne vie et réalisme à son dessin

Ce sera cette deuxième planche qui clôturera provisoirement ce gag (d'où le "A suivre...")...

... une troisième planche le clôturant définitivement avec un "fin de l'épisode..."... La machine était lancée!

Bar2, Christian Debarre de son vrai nom, n'aura finalement fait que deux albums de B.D. Certes il aura déjà traité de la moto avec trois albums Pernod Grand Prix. Il s'occupait de mettre en images des résumés humoristiques des saisons de GP moto en cours. Voici la couverture du troisième publié en 1984 et déjà dans l'esprit Joe Bar Team.

Il ne dessinera que deux albums du Joe Bar Team. Le premier édité en 1990 puis un second (le tome 5) en 2003. Ce qui est remarquable, c'est la qualité de ce premier opus. Réussir un premier tome aussi abouti tant au niveau graphique que scénaristique n'est pas commun. L'album (sans parler de la série, même avec d'autres dessinateurs aux commandes) aura un énorme succès auprès du grand public mais il touchera également mais surtout en plein cœur les amoureux et passionnés de deux roues. C'est Fane qui dessinera les albums 2,3,4,6 et 8 tandis que Jenfèvre avec Pat Perna au scénario s'occuperont du tome 7. Mais rien n'atteindra jamais les sommets de ce premier tome inoubliable (tant niveau dessin que scénaristiquement parlant). Je dirais même que les suites (excepté le tome 5) qui ont surfé sur le succès du premier volume ont plutôt desservis la "qualité" de la série tout en remplissant, certes, un rôle de "fan service" bienvenu. Bar2 avec Michel Bidault illustrera aussi L'encyclopédie imbécile de la moto en 1998.
Le succès est tel que la série est déclinée à travers de nombreux produits dérivés (principalement dans les années 90'); des figurines aux agendas et autres éphémérides en passant par les horloges ou même les préservatifs. La bande dessinée bénéficie même d'une réplique en chair et en os qui se présente sur certains événements motos avec les costumes des personnages et bien évidemment leurs machines fétiches.

Cette première planche (et bien d'autres de la série!) seront reprises dans un grand nombre de parutions diverses. Ici dans un hors-Série spécial de Moto Journal pour les 35 ans de la bande dessinée, en novembre 2024.