Dans la collection de MV9957
Oscar Bazaldúa Nava, El Libro Siniestro # 5 - Couverture originale
1522 

El Libro Siniestro # 5

Couverture originale
1996
Encre de Chine
32 x 40 cm (12.6 x 15.75 in.)
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El Libro Siniestro # 5
Expo Bazaldúa
Pulsions graphiques - couverture
Pulsions graphiques - tranche
Pulsions graphiques
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El Libro Siniestro # 77
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El Libro Siniestro # 79
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Commentaire

Sensacionales – EL LIBRO SINIESTRO - Oscar Bazaldúa

El Libro Siniestro (Le Livre Sinistre) apparut en 1996 pour couvrir le segment de l’horreur, à côté des autres séries qui couvraient les secteurs érotico-comique, western, policier, sociétal, et autres spécificités mexicaines (catch par exemple). Ce faisant la famille Flores propriétaire des éditeurs Toukan et Mango, couvrait un spectre aussi large que celui d’Elvifrance, qui visiblement leur avait servi de modèle.

J’ai réussi à trouver des exemplaires de pulps El Libro Siniestro et à les faire venir du Mexique après ceux des autres séries. La comparaison avec mon souvenir des productions d’Elvifrance m’a laissé perplexe ; comparés aux productions Elvifrance ces Ghetto Librettos supposés sentir le souffre m’ont paru bien timorés, même si on les resitue dans leur contexte, à savoir le tout début des années 2000, avant donc le déferlement du tsunami porno sur internet qui éradiqua toutes ces productions.

Avant la déferlante porno sur VHS & internet, les fumetti neri et Elvifrance avaient marqué le marché des PFA (Petits Formats pour Adultes) (*1) pendant plus de 20 ans en France (années 1970-1980), et leurs démêlés avec la Commission de Contrôle auraient pu faire l’objet d’une comédie picaresque pleine de péripéties, à l‘issue de laquelle, c’est évidemment l’espiègle valet qui gagne. Au Mexique ce fut la même chose avec un décalage de 20 ans (années 1990-2000).

Pulsions Graphiques – Elvifrance pour le meilleur et pour le pire - Christophe Bier : J’ai approfondi, pour ne pas me fier qu’à mes souvenirs, en me plongeant avec gourmandise dans le livre de Christophe Bier, un pur régal de lecture, dont j’ai fait la brève synthèse qui suit pour les besoins de la comparaison avec El Libro Siniestro :

Dans la foulée de la mise en kiosques de Diabolik en Italie à partir de 1962, d’autres séries mêlant violence, amoralité et érotisme furent lancées, et traduites en France à partir de 1965 : Kriminal, Satanik, Fantax, Mister-X, Demoniak, Sadik, etc. Elvifrance fut fondée en 1970 par deux éditeurs italiens, mais dirigée par le français Georges Bielec. Malgré quelques incursions dans d’autres domaines tels que western et polar, ce sont bien la gaudriole (Salut les Bidasses, Sam Bot, Prolo, etc.) et le fantastico-érotique qui constituaient son centre de gravité et son fonds de commerce. Outre les anthologies de récits indépendants telles que Terror et Outre-Tombe, les principales séries avaient des héroïnes féminines : Jezabel, Isabella, Jungla, Jacula, Lucrèce, Messaline (Vénus de Rome), Luciféra, Blanche-Neige (Contes Malicieux), Maghella, Zara, Ula von Hagen (Satires), Ophélie (Super-terrifiant), Shatane, etc. L’éventail des thèmes était très large et tout le folklore horrifique était abordé, des profanateurs de sépultures jusqu’à la femme-araignée en passant par la sirène aux pinces de crabe décimant les rescapés des naufrages. Avec également une surenchère en matière de perversions sexuelles, viols, actes pédophiles, castrations, etc.

De façon générale les séries masculines (Goldboy, Mortimer, Karzan, Mafioso, Super-black, Mat-cho, etc.) se prêtaient nettement moins au fantastique (à l’exception de Wallestein), comme si ce domaine était celui des femmes, seules vraies entités infernales. Les scénarios étaient abracadabrantesques, mais l’important était d’offrir aux lecteurs leur ration de fantasmes. Nul besoin de héros ou de fin heureuse. La laideur des personnages permettait au lecteur de masquer hypocritement que c’était à ce personnage qu’il s’identifiait. L’important était qu’il y ait des personnages masculins vivant des situations érotiques avec des personnages féminins aguichants. Un sondage de l’époque éclairait la composition du lectorat : à 82,5% des hommes, à 47,5 % contremaîtres et ouvriers, à 51 % de 18 à 24 ans. Ces séries remplissaient donc une fonction cathartique sur le plan sexuel pour les jeunes hommes des classes moyennes.

Puis, en 1978, avec la série des Histoires Noires, les monstres ne sortirent plus des cryptes mais des villes et des campagnes, symptômes des malaises sociaux et psychologiques. L’horreur était à présent à portée de rue, engendrée par la folie, la frustration, la jalousie et la vénalité.

A partir de 1975 les sexes féminins ne furent plus suggérés mais montrés, mais pas encore le sexe masculin en érection. Dans les années 1980-1990 enfin, ce délire atteint son apogée. Les limites de la censure avaient été repoussées et les sexes devinrent apparents. Les éléments du nouveau cocktail devinrent violence et pornographie. Libérés des ultimes tabous, ces pulps n’offraient plus parfois qu’un simple enchaînement porno.

El Libro Siniestro : certes, avec une dizaine d’exemplaires sur 168 numéros publiés, je ne peux prétendre à une analyse exhaustive. C’est juste un échantillon aléatoire, qu’on prendra comme un sondage. Mais il s’en dégage des thèmes et tendances tellement forts et répétitifs sur un échantillon aléatoire qu’il est impossible de résister à la tentation d’en tirer des lois.

Deux thématiques seulement, dans leurs diverses déclinaisons, ressortent de mon échantillon : pactes sataniques et faustiens d’une part, et d’autre part fantômes et lieux hantés. Le sous-jacent est plus intéressant que les histoires elles-mêmes :
- Le thème des revenants, incontournable, exprime le lien indéfectible de la culture mexicaine avec les défunts. Dans un des numéros d’ailleurs, le touriste gringo (comprenez nord-américain) s’attire la vengeance des revenants pour avoir méprisé le protocole de la fête des morts !
- La morale et la transgression : les pactes sataniques et faustiens ne sont qu’un prétexte pour souligner la bassesse des motivations humaines, en particulier la cupidité. Dans un des numéros, le diable lui-même se fait berner parce que moins machiavélique et cupide que le signataire humain du pacte. Les fins, à défaut d’être heureuses, satisfont presque toujours à une certaine morale puisqu’en général les méchants sont punis.

Ces pulps exprimaient donc certains des traits profonds et essentiels de la culture mexicaine : le rapport aux morts, et la morale héritée du christianisme. Ils nous parlent des motivations et de la transgression, en particulier pour le sexe dont l’intérêt réside dans la transgression morale l’accompagnant, y menant ou en découlant, et non dans l’étalage pornographique des chairs (ce que D. Raeburn avait déjà pointé).

Les filles sont plantureuses et aguichantes, mais tout est suggéré, même les tétons sont cachés, et la sexualité y est la plupart du temps banale et positiondumissionairesque. Les audaces des pulps mexicains peuvent donc paraître aux yeux d’un français bien moindres que celles en particulier de l’Elvifrance des années 80, mais il faut les resituer dans le contexte d’une Amérique pudibonde, tant au nord qu’au sud.

La série mexicaine la plus intéressante était Almas Perversas, sorte de carnaval bouffon et hyper violent remplissant un rôle de catharsis des tensions et passions sociales, alors qu’Elvifrance le faisait surtout sur le plan sexuel.

La BD porte donc encore une fois un regard pertinent sur le monde, même en creux, et c’est ce qui fait son intérêt. La façon d’exprimer le rapport à l’interdit ou à la mort, la violence, l’horreur ou le sexe, est différente dans chaque culture. Ces pulps exprimaient bien des préoccupations profondes et prégnantes à cette époque, mais différentes dans chaque pays à un moment donné, avec en particulier à la fin du XX ème siècle : société machiste et inégalitaire au Mexique / virilité menacée en Europe (*2).

Ces publications constituaient un véritable miroir du refoulé de leurs sociétés. Leurs succès éditoriaux (longévité et volumétrie exceptionnelles) témoignaient de leur importance sociale.

Les artistes : Bien entendu, dans le volume considérable de planches publiées par Elvifrance et par EJEA/Toukan/Mango, une large part était très médiocre. Mais, en même temps, de nombreux grands dessinateurs y officièrent ou y firent leurs classes. Par exemple pour Elvifrance : Milo Manara, Leone Frollo, Victor de La Fuente, Magnus, Alfonso Azpiri, Guido Buzzelli, pour les plus connus. Il y avait également d’autres petits maîtres (Alberto del Mestre, Giuseppe Montanari, Dino Leonetti, etc.) qu’on pourra découvrir en se promenant dans les collections de Fazo, Zibbhebu et Jlucparker entre autres.

Et du côté des illustrateurs Pino D’Angelico (Daeni), Alessandro Biffignandi, Emanuelle Taglietti et Averardo Ciriello, pour ne m’en tenir qu’aux plus connus, nous offrirent un magnifique feu d’artifesses… pardon, d’artifice.

De la même façon, il y eut aussi de très grands artistes pour illustrer les couvertures au Mexique. Je joins l’affiche d’une expo qui fut consacrée à Bazaldúa à Mexico. Il démarra cette série El Libro Siniestro, avant de rapidement passer la main à Luis Velázquez.

(*1) A ne pas confondre avec le PAF de Catherine saute au Paf (Cabu), ni avec celui de Bérurier dans San Antonio, qui lui n’était pas un petit format.
(*2) La sexualité des femmes commandée par les hommes par un simple déclic n’en est-elle pas le prolongement ?

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A propos de Oscar Bazaldúa Nava

Oscar Bazaldúa Nava, artiste vénéré au Mexique, est né en 1967. Il étudia d’abord dans une « Commercial Art School » dont le bâtiment s’effondra lors du tremblement de terre de Mexico de 1985. Contraint d’abandonner ses études il devint alors l’assistant pendant 3 ans du vieux maître Sixto Valencia, auteur et éditeur de Mad au Mexique, aux manettes alors de Memín Pinguín, un des personnages iconiques (et controversés vu que c’est un petit noir des rues assez caricatural) de la BD mexicaine traditionnelle. Oscar Bazaldúa devint dans les années 1990-2000 un dessinateur fondamental des séries sensacionales des éditeurs Toukan et Mango. Entré depuis dans l’univers Marvel, il a dessiné La Chatte Noire (Black Cat) et a travaillé sur nombre d’autres titres des franchises US comme Spiderman, Suicide Squad, ou encore l’adaptation BD de Rogue One – A Star Wars Story. Il a également travaillé pour Les Humanoîdes.