Dans la collection de Vertommen
Derib, Buddy Longway - Tome 1 - Chinook - planche 8 - Planche originale
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Buddy Longway - Tome 1 - Chinook - planche 8

Planche originale
1974
Encre de Chine
Mine de plomb, encre de chine, gouache blanche.
30 x 40 cm (11.81 x 15.75 in.)
Du support : 51 X 37
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Case 1 - Détail.
Case 2 - Détail.
Case 3 - Détail.
Case 4 - Détail.
Case 5 - Détail.
Case 6 - Détail.
Case 7 - Détail.
Case 8 - Détail.
Indication Journal Tintin se trouvant au dos de la planche.
Découpage de la planche.

Description

Planche originale N° 8 de l’histoire « Chinook », tome 1 de la saga Buddy Longway.
Prépublié dans le journal Tintin en 1973 et édité en album dès 1974.

Inscriptions / Signatures

Paraphe correcteur et indication imprimerie (bas et dos). Signé avec dédicace (prénom effacé digitalement)

Commentaire

Il était une fois, dans le Tintin Sélection N° 16 du troisième trimestre 1972, la découverte des lecteurs.trices d’un nouveau personnage.
Il s’agit de Buddy Longway et cela dans une histoire de 16 planches : « première chasse… ».

Derib garde le style de dessin des courts récits réalisés sur des scénarii de Greg et recueillis sous le nom de Go West.

Le personnage de Buddy Longway n’est pas né par hasard, bien évidemment. Il s’inscrit plus largement dans l’histoire du western.
Il y a eu, à l’aube des années 70, le cinéma, avec des films comme " Soldier Blue " qui est magnifique sur tous les plan.
Il y avait au même moment les romans de Pierre Pelot, sous les superbes couvertures de Joubert : " Dylan Stark ".
Et dans le microcosme du neuvième art, il y avait Blueberry, dans la filiation de Jerry Spring.
Le regard des auteurs, sur cette époque précise de l’histoire de l’Ouest américain, changeait et Buddy Longway s’est immédiatement inscrit dans cette voie-là. Celle d’une continuité avec ce qui existait déjà, celle aussi d’une attention apportée, au travers du dessin et du scénario, à la nature, omniprésente comme un vrai personnage.
Le 10 septembre 1972, le film « Jeremiah Johnson » sorti.
Donc, Derib travaillant déjà depuis plusieurs mois sur ce personnage, on ne peut donc pas parler d’inspiration de ce film, comme la légende la raconte, mais bien de ce courant évoqué juste plus haut (1).


Buddy Longway est également un cas assez unique car il s'inscrit dans un cadre temporel très précis : le personnage principal naît en 1840 et décède en 1890.
Il est le fils de pionniers irlandais.
Harold Longway, qui est charpentier. Un incendie ayant ruiné ce dernier, il décide de partir tenter sa chance en Amérique avec femme et enfant.
Maureen, sa maman, qui meurt sur le bateau durant la traversée.
Arrivé au Nouveau monde, Harold décide d'accompagner un convoi de pionniers vers l'Ouest.
Il confie son fils Buddy à la garde de son frère, Jérémie Longway, qui lui aussi était du voyage.
Son père disparaît dans l'Ouest, Buddy ne le reverra plus. Buddy ne garde que très peu de souvenirs de son enfance (2).


Dans le numéro 14 du 03 avril 1973 du journal « Tintin », commence une nouvelle histoire de Buddy : « Chinook ».
L'histoire se déroule entre le centre et l'ouest du pays, dans des zones montagneuses et des vastes plaines herbeuses, sur le territoire naturel de nombreuses tribus indiennes.
Même si les lecteurs.trices d’alors n’en avaient pas encore conscience, Derib commençait à les amener dans une histoire où quelque chose de magique, de poétique et de profondément humain allait se réaliser durant la durée de la saga (même si la fin est tragique).
« Chinook » sera l'Alpha, le commencement et « La source » sera l'Oméga, la fin …


Cette planche, à la construction dynamique, est rehaussée par la présence de Buddy Longway mais surtout, de Chinook.
Me concernant, c’est LA planche de LA toute première rencontre. Celle qui va bouleverser leur vie et celle de très très nombreux lecteurs.trices qui suivront la saga (3).

Mais ce qui a aussi et surtout peut-être retenu l’attention, tout de suite, des lecteurs.trices, c’est la construction graphique de cette nouvelle série. Et son évolution, aussi.
Derib, l’auteur à part entière de Buddy Longway, venait d’une aventure scénarisée par Greg, "Go West", qu’il avait dessiné de manière non réaliste.
Et c’est tout naturellement que les premières aventures de Buddy Longway ont adopté le même style.

Mais ce style, très vite, se transformera dans les albums suivant, et le trait deviendra totalement réaliste, pour mieux coller aux histoires racontées.
Derib va donc devenir une " patte ", avec un talent dans le mouvement, dans le rendu des ombres, dans la précision du noir et blanc, dans le plaisir à se lancer dans des perspectives folles, dans la luminosité et l’ambiance de ses couleurs.
Ce futur novateur graphique, fera en quelque sorte " éclater " ses planches pour les faire presque cinématographiques faisant parfois, plus que sa marque de fabrique, un véritable moteur narratif où les cases peuvent se superposer, en un équivalent aux inserts et gros plans du cinéma, pour des pages qui exaltent souvent la nature (4).

Derib a été aussi un des premiers, si pas le premier auteur dans un magazine tous publics, à avoir osé (5) aborder les relations amoureuses autrement que de manière mièvre, avec, même, un certain érotisme.

Même si son éclatement du gaufrier par l’explosion des cases et gouttières va s’imposer très tôt pour en faire sa marque de fabrique très originale, par son style réaliste et épuré qui caractérisera la série, Derib (6) se trouve encore dans cette planche, comme cité plus haut , dans son graphisme du semi-réaliste de « Go West ».
Toutefois, j’attire votre attention sur la construction de cette planche.


Les valeurs de plan, c'est-à-dire la taille des personnages dans le cadre de la vignette, jouent un grand rôle dans la narration de cette planche. Ils participent à sa compréhension et à la dramaturgie.
Vue sous cet angle, cette planche est une magnifique leçon ou le cinéma et la bande dessinée partagent la même grammaire.
Effet-zoom, effet-travelling, effet-panoramique … Avec, dans le rôle de la caméra, l’œil du/de la lecteur.trice balayant la planche !

En composant l’ensemble de la planche avec ce gaufrier, Derib fragmente l’espace et le temps. Chaque case sert de « contenant » à l’action.
Classiquement, une séquence commencera en plan général pour montrer où et comment l’action va prendre place.
Puis on aura des plans moyens pour présenter les personnages.
Des plans américains lorsque l’action se fera plus précise.
Enfin, des gros ou très gros plans au moment où l’action sera à son point dramatique culminant.

Voyez par vous-même … et constater qu’elle est bien, et donc définitivement, un outil de narration et de rythme !

Case 1
Est un plan général et/ou plan d’ensemble qui plante la scène en début de séquence de cette planche.
Il permet au/à la lecteur.trice de savoir où l’on est, connaître l’implantation géographique de la scène.
De même que cette case, étirée sur toute la longueur de la planche, évoque davantage un « moment » qu’un « instant ».
Les deux malotrus, en avant plan, renforcent la menace tandis que nos héros s’échappent, en arrière-plan, vers l’immensité des zones montagneuses et des vastes plaines de ce territoire naturel. C’est rassurant pour le/la lecteur.trice.

Case 2
Au sein de cette case, reproduire l’illusion du mouvement est un défi majeur. Figée par la nature même de son support, la bande dessinée doit sans cesse inventer de nouvelles manières de faire vibrer, de faire vivre, ses images sur papier.
Vue au ras du sol, quelques traits de vitesse, le mulet penchant vers l’avant car tiré par la corde, les nuages de poussière soulevé de terre par les galops …
La tension se focalise dans cette espace. Le regard tombe dessus et inconsciemment il enregistre l'action. En effet, la menace plane toujours et est accentuée par la masse écrasante de la montage se trouvant en arrière-plan.
Par ailleurs il donne la possibilité de « fouiller » le dessin, et communique éventuellement au regard du lecteur.trice le loisir de s’y promener davantage... retenant ainsi la lecture sur l’intensité du moment.

Case 3
Pause. On reprend son souffle.
Les chevaux sont épuisés et la forêt donne une impression de sécurité.
Cette case en vue plongeante, ou en perspective cavalière (excusez-moi pour ce jeu de mot), rabaisse le sujet. En l’écrasant, il manifeste l’infériorité physique mais aussi psychologique de ce dernier. Dans cette mesure ou l’angle de vue est importante, l’accentuation de cette sensation l’est.

Case 4
Cette légère contre-plongée évoque le sentiment inverse de la case 3 supérieure. La grandeur, la supériorité physique et intellectuelle des héros sont mises en avant, le/la lecteur.trice est alors dominé et peut ressentir un sentiment d’oppression.
D’autant plus que Derib brise la case, dans sa partie supérieure, via la tête de Chinook tout en remettant une couche avec la stupeur de Buddy découvrant celle qu’il vient de sauver.

Case 5
Avec ce plan rapproché taille, Derib montre certains éléments du décor en arrière-plan (tronc d'arbre, cheval), ceci afin de continuer à situer le contexte du déroulement de l’action. Mais il permet surtout de mettre l’accent sur le personnage apeuré de Chinook suite à l’exclamation de Buddy, en dos rapproché pour maintenir une tension.
La taille de la case est forcément relative à la taille des cases qui la suivent et la précèdent pour jouer un rôle précieux en indiquant l’importance de action au sein du récit.

Case 6
Rabaissement de la tension. Derib joue décidément avec nos nerfs.
Grâce à ce cadrage mi-cuisse (ou plan américain), Derib met clairement en avant les actions des héros sans compter que l’on peut les cadrer côte à côte.
Il est nécessaire de rendre l’action et pensée de Buddy beaucoup plus visibles.

Case 7
Ce cadrage plan rapproché poitrine se concentre sur les deux visages. Ce qui permet au/à la lecteur.trice de se rendre compte de la psychologie, des émotions, et des intentions de nos héros.
Comme vous l’aurez compris, les cases 5,6 et 7 permettent de mettre en avant ce que fait, dit et ressent nos héros.

Case 8
La bande dessinée dispose par contre d'une ressource que le cinéma ne connaît pas. Il faut aller à la page suivante. On met le/la lecteur.trice en attente. On installe un suspense qui trouvera sa solution à la page d’après.
Là, le/la lecteur.trice inspire et garde sa respiration. Cet effet est primordial pour marquer un temps de pause. C'est une mise en scène d'une action extérieure à l'auteur. Par cette combinaison, il donne forme au geste du/de la lecteur.trice de continuer le récit.
Ce gros plan sans décor sera celui des émotions. Il cadre de près le visage, et permet de dévoiler ses sentiments au/à la lecteur.trice. Et pourquoi pas, permet de s’identifier à Chinook.

Dans l'architecture d'une planche, la première case est celle qui détermine toutes les autres
Ici, nous commençons et terminons sur un gros plan de visage.
Tout comme la taille de la case peut avoir un résultat sur la scène représentée


Exposition :
- Planche présentée, lors de la plus grande exposition de planches originales que la Scandinavie ai jamais connue, au Danmarks Industrimuseum (Horsens) du 16 avril au 21 août 2011.


Je vous engage à consulter les autres œuvres de Derib se trouvant dans ma galerie 2DG :
www.2dgalleries.com/galleries/derib-claude-de-ribaupierre-6191


(1) Voir l’interview de Derib (02/06/2012 - bdthèque.com)

(2) Il en souffre bien évidement. Des années plus tard, il rencontre une vieille Indienne qui lui parle de Harold Tête Rouge. Ses révélations le libéreront d'un grand poids.
Voir le tome 16 : « Le Dernier Rendez-vous ».

(3) Des collectionneurs passionnés diront que c’est la planche 7 lorsque Buddy arrache, des griffes de deux malotrus, une femme en fâcheuse posture.

(4) Il fait néanmoins partie des pionniers.

(5) Jusqu’à être censuré par un autre dessinateur qui a redessiné totalement une de ses planches…

(6) La Bande Dessinée et cinéma sont des arts jeunes. Ils bénéficient des savoirs acquis tout au long de l’histoire par d’autres arts comme le théâtre, la littérature… et bien sûr, la peinture et les arts graphiques.
Cet héritage se manifestera évidemment dès qu’il s’agira de gérer l’espace, de « composer » ou de « cadrer » des images.

Publications

  • Chinook
  • Lombard
  • 01/1974
  • Page 8
  • Chinook pour la vie
  • Le Lombard
  • 02/2010
  • Page intérieure

Voir aussi :   Buddy Longway

5 commentaires
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A propos de Derib

Derib, de son vrai nom Claude de Ribaupierre est un auteur suisse de bandes dessinées. Passionné par les Indiens d'Amérique, il est l'auteur de séries de bandes dessinées populaires comme Yakari et Buddy Longway.