In Jan 's collection
Description
René.e aux bois dormants, page 30, rencontre avec Véhicule, le totem taxi des rêves.
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Yes
Comment
Rarement ai-je vu une bande dessinée qui intègre de manière aussi organique les logiques de la peinture. René·e aux bois dormants, la première œuvre graphique d’Elene Usdin, n’est pas une simple incursion dans le neuvième art. Elle prolonge un parcours entamé dans les arts plastiques — photographie, peinture sur toile, installation — pour explorer une nouvelle forme narrative où la page devient surface sensible, et le récit, matière visuelle.
Ce qui me frappe, en feuilletant ce livre, c’est à quel point chaque planche semble construite comme une toile. Il ne s’agit pas ici d’un « style peint » pour illustrer une histoire, mais bien d’un langage plastique qui devient narration. Usdin transpose les logiques du rythme, de la couleur, de la texture, de la stratification picturale — dans une séquence qui ne cherche pas l'efficacité, mais l’immersion.
Un des moments qui m’a particulièrement marqué – ailleurs dans le livre – est celui où Elene Usdin visualise une ville comme une couverture en laine, l’une de ces couvertures vertes épaisses, divisées en carrés réguliers par un quadrillage de lignes rouges, jaunes, bleues. Quel enfant n’a pas joué sur ces couvertures en faisant rouler ses petites voitures sur les lignes, en imaginant une ville miniature ? Et tout comme dans Koyaanisqatsi, les structures urbaines deviennent pulsations, lignes de fuite, matière vivante. Les lignes du tissage se mettent à vibrer, à rayonner, comme si la ville elle-même respirait. Mais c’est là la force de l’œuvre : chacun y projette ses propres images mentales, ses souvenirs d’enfance, ses constructions oniriques. Le livre invite à cette lecture ouverte – ni dirigée, ni clôturée.
L’histoire suit René, un enfant hypersensible qui vit avec sa mère distante dans une grande ville canadienne. Isolé, il est sujet à des évanouissements pendant lesquels il bascule dans des mondes hallucinés, peuplés de figures mythiques inspirées des récits autochtones : une ogresse cannibale, un mangeur de lumière, un géant au cœur simple. À travers ces rencontres, René se transforme : il devient tour à tour Renée, fleur, chatte, arbre… Cette traversée onirique révèle peu à peu une autre couche du récit — celle d’un adulte vieillissant confronté à ses blessures enfouies, et celle de sa fille Judith, à qui il livre, par l’intermédiaire du rêve, la mémoire cachée de son identité.
Ce qui rend le parcours d’Usdin particulièrement intéressant, c’est cette inversion peu fréquente : elle ne vient pas de la bande dessinée vers l’art contemporain, comme l’ont fait avec brio des auteurs tels que Mattotti, Floc’h ou Baudoin — chacun avec une voix visuelle et narrative profondément singulière. Elle emprunte le chemin inverse : formée en arts visuels, reconnue comme photographe et peintre, exposée dans des lieux tels que le Musée de la Photographie de Charleroi ou la Galerie Les Filles du Calvaire, elle entre dans la bande dessinée avec l’assurance d’une plasticienne qui fait du récit une expérience plastique.
D’autres artistes ont suivi un chemin comparable, même s’ils restent rares : Koenraad Tinel, en Belgique, dont Scheisseimer explore les traumatismes de guerre dans une veine expressionniste brute ; ou encore Anke Feuchtenberger, formée dans le contexte de l’art est-allemand, qui développe depuis les années 1990 une œuvre graphique intense, fragmentée, mythologique. Ces parcours inversés rappellent que la bande dessinée peut être un véritable laboratoire plastique, un lieu de métamorphose.
Quelle histoire extraordinaire. Une histoire qui raconte que lorsque les connexions deviennent impossibles dans le monde réel — entre parents et enfants, entre soi et les autres — elles peuvent encore émerger ailleurs : dans les rêves. Et que ces rêves eux-mêmes ne sont pas flottants ou abstraits, mais structurés, portés par des récits anciens, des sagas, des mythes. Si un livre peut relater ce monde-là — un monde où la communication renaît autrement — alors qu’est-ce que cela dit de l’art d’Elene Usdin ? Peut-être que son œuvre agit, elle aussi, comme un rêve transmis. Un rêve qui ne parle pas à la raison mais à quelque chose de plus profond : la mémoire enfouie, l’intuition, la perception tactile du monde. Et c’est sans doute là que s’installe une véritable connexion avec le lecteur.
Ce qui me frappe, en feuilletant ce livre, c’est à quel point chaque planche semble construite comme une toile. Il ne s’agit pas ici d’un « style peint » pour illustrer une histoire, mais bien d’un langage plastique qui devient narration. Usdin transpose les logiques du rythme, de la couleur, de la texture, de la stratification picturale — dans une séquence qui ne cherche pas l'efficacité, mais l’immersion.
Un des moments qui m’a particulièrement marqué – ailleurs dans le livre – est celui où Elene Usdin visualise une ville comme une couverture en laine, l’une de ces couvertures vertes épaisses, divisées en carrés réguliers par un quadrillage de lignes rouges, jaunes, bleues. Quel enfant n’a pas joué sur ces couvertures en faisant rouler ses petites voitures sur les lignes, en imaginant une ville miniature ? Et tout comme dans Koyaanisqatsi, les structures urbaines deviennent pulsations, lignes de fuite, matière vivante. Les lignes du tissage se mettent à vibrer, à rayonner, comme si la ville elle-même respirait. Mais c’est là la force de l’œuvre : chacun y projette ses propres images mentales, ses souvenirs d’enfance, ses constructions oniriques. Le livre invite à cette lecture ouverte – ni dirigée, ni clôturée.
L’histoire suit René, un enfant hypersensible qui vit avec sa mère distante dans une grande ville canadienne. Isolé, il est sujet à des évanouissements pendant lesquels il bascule dans des mondes hallucinés, peuplés de figures mythiques inspirées des récits autochtones : une ogresse cannibale, un mangeur de lumière, un géant au cœur simple. À travers ces rencontres, René se transforme : il devient tour à tour Renée, fleur, chatte, arbre… Cette traversée onirique révèle peu à peu une autre couche du récit — celle d’un adulte vieillissant confronté à ses blessures enfouies, et celle de sa fille Judith, à qui il livre, par l’intermédiaire du rêve, la mémoire cachée de son identité.
Ce qui rend le parcours d’Usdin particulièrement intéressant, c’est cette inversion peu fréquente : elle ne vient pas de la bande dessinée vers l’art contemporain, comme l’ont fait avec brio des auteurs tels que Mattotti, Floc’h ou Baudoin — chacun avec une voix visuelle et narrative profondément singulière. Elle emprunte le chemin inverse : formée en arts visuels, reconnue comme photographe et peintre, exposée dans des lieux tels que le Musée de la Photographie de Charleroi ou la Galerie Les Filles du Calvaire, elle entre dans la bande dessinée avec l’assurance d’une plasticienne qui fait du récit une expérience plastique.
D’autres artistes ont suivi un chemin comparable, même s’ils restent rares : Koenraad Tinel, en Belgique, dont Scheisseimer explore les traumatismes de guerre dans une veine expressionniste brute ; ou encore Anke Feuchtenberger, formée dans le contexte de l’art est-allemand, qui développe depuis les années 1990 une œuvre graphique intense, fragmentée, mythologique. Ces parcours inversés rappellent que la bande dessinée peut être un véritable laboratoire plastique, un lieu de métamorphose.
Quelle histoire extraordinaire. Une histoire qui raconte que lorsque les connexions deviennent impossibles dans le monde réel — entre parents et enfants, entre soi et les autres — elles peuvent encore émerger ailleurs : dans les rêves. Et que ces rêves eux-mêmes ne sont pas flottants ou abstraits, mais structurés, portés par des récits anciens, des sagas, des mythes. Si un livre peut relater ce monde-là — un monde où la communication renaît autrement — alors qu’est-ce que cela dit de l’art d’Elene Usdin ? Peut-être que son œuvre agit, elle aussi, comme un rêve transmis. Un rêve qui ne parle pas à la raison mais à quelque chose de plus profond : la mémoire enfouie, l’intuition, la perception tactile du monde. Et c’est sans doute là que s’installe une véritable connexion avec le lecteur.
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