Astérix, l'anti-péplum

26 mai 2016,  par  William Blanc

 

    Les aventures d'Astérix, non contents d'être des ouvrages divertissants accessibles de 7 à 77 ans, sont truffées de références à l'actualité et de commentaires sociaux, historiques et politiques parfois acerbes.

Dans Le Combat des chefs  prépublié dans les pages du journal Pilote en 1964, René Goscinny évoque à travers le face-à-face entre Abraracourix et du chef gaulois allié des Romains Aplusbégalix, la confrontation entre les résistants (de Gaulle, mais aussi Mendès France) et les collaborateurs (Pétain, Laval) durant la Seconde Guerre mondiale.

D'autres albums traitent également de thèmes (encore) d'actualité : l'écologie et l'urbanisme sans limites des années 1960 (Le domaine des dieux – 1971) ou les dérives de la société de consommation (Obélix et compagnie – 1976). Tout cela a été longuement étudié dans le livre de Nicolas Rouvière, Astérix ou les lumières de la civilisation (2006).

 

René Goscinny (scénario), Albert Uderzo (dessins), Le combat des chefs, 1964.

   

   Mais c'est un autre aspect de l'œuvre de René Goscinny et d'Albert Uderzo que nous allons évoquer. En effet, les aventures d'Astérix peuvent aussi se lire comme une réaction à la mode du péplum. Le genre, qui existe depuis les années 1910, connait un renouveau important en Italie, puis à Hollywood, à partir du milieu des années 1950, relancé notamment par le film Les Travaux d'Hercule (1958) de Pietro Francisci. Le succès est tel que la star de ce long métrage, le culturiste américain Steve Reeves, devient pendant quelques années l'acteur le mieux payé d'Europe, comme l'explique Florent Fourcart dans son livre Le Péplum italien. Grandeur & décadence d'une Antiquité populaire (2012).


Si ce genre rencontre une grande adhésion en France, il pose néanmoins problème, car il magnifie surtout l'Antiquité gréco-latine et montre sous un jour négatif les Gaulois (comme par exemple dans Jules César, conquérant de la Gaule – 1962). Un peuple dont l'histoire romancée sert de base à la mythologie nationale française depuis la seconde moitié du XIXe siècle, notamment à travers  l'histoire de Vercingétorix.


Alors que le cinéma hexagonal se révèle incapable de relever le défi, René Goscinny et Albert Uderzo s'emploient, dès 1959 (soit un an après la sortie des Travaux d'Hercule) à redorer le blason des Gaulois en montrant que malgré la défaite d'Alésia, certains d'entre eux ont continué la lutte (dans Alix, Jacques Martin, développera un propos à l'exact opposé). Une lutte qui renvoie autant à la Résistance durant la guerre qu'à un refus de la culture américaine vue comme envahissante, en particulier depuis la loi de 1949 qui tente justement de privilégier les productions nationales dans la bande dessinée (voir à ce sujet l'article en ligne de Pascal Ory : Mickey go home ! )

 

René Goscinny (scénario), Albert Uderzo (dessins), Astérix et Cléopâtre, 1963.

   

Cet aspect est sans doute au centre du propos d'Astérix et Cléopâtre. Prépubliée fin 1963 dans les colonnes de Pilote, l'introduction (que l'on retrouve sur la couverture de l'album) se moquait ouvertement du budget pharaonique (c'est le cas de le dire) du péplum américain Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz (sortie en septembre 1963 en France)

14 litres d’encre de chine, 30 pinceaux, 62 crayons à mine grasse, 1 crayon à mine dure, 27 gommes à effacer, 38 kilos de papier, 16 rubans de machine à écrire, 2 machines à écrire, 67 litres de bière ont été nécessaires à la réalisation de cette aventure.

 

 

Cette phrase est une autre manière de dire que deux créateurs français, à la force de leurs seuls pinceaux, pouvaient faire mieux qu'une armée de producteurs d'Hollywood et qu'en fin de compte, la fierté nationale était saine sauve. C'est d'autant plus vrai que sept ans plus tôt, l'armée française (aidés par les Britanniques et les Israéliens) avait connus en Égypte un rude revers lors de l'expédition du canal de Suez. Les anciens empires coloniaux qui contrôlaient jusque-là le canal, tous deux en perte de vitesse, y avaient été vaincus par le président égyptien Gamal Abdel Nasser grâce à l'appui des États-Unis.

 

Albert Uderzo (dessins), couverture pour le magazine Pilote #475 annonçant la sortie du film Astérix et Cléopâtre.

   

En représentant des Gaulois venant aider la reine d'Égypte Cléopâtre (face à des Romains symbolisant l'impérialisme américain) les auteurs assuraient  la revanche symbolique de la France.

Revanche complète d'ailleurs, lorsqu'en 1968 Astérix et Cléopâtre est adapté pour le cinéma dans un long-métrage en reprenant et détournant nombre des  caractéristiques des dessins animés musciaux de Walt Disney (que Goscinny et Uderzo admiraient), comme le montre la fameuse et très jazzy chanson "Le pudding à l'arsenic".

 

    

 

Le péplum continuera d'être source de parodie pour les deux créateurs d'Astérix. Dans Astérix aux Jeux olympiques (1968), le légionnaire Cornedurus représente ainsi une caricature des culturistes américains qui avaient triomphé dans les péplums. Musclé, mais bête, ambitieux et imbu de lui-même, le Romain constitue l'antithèse parfaite de Gaulois rusés mais affichant leur embonpoint et amateurs de bonne chaire et de siestes !

 

Vous pouvez retrouver les œuvres originales relatives à Astérix sur le site 2dgalleries.com à cette adresse.

 

William Blanc

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