Dans la collection de apadno
Leone Frollo,
103 

"Le Salaire du Malin" Terror 8 (vf) / Terror 23 (vo) – pages 6 et 7

Planche originale
1971
Encre de Chine
17.5 x 25 cm (6.89 x 9.84 in.)
Soit les 2 planches, 35x25cm
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Vf
Vo
Vb
Cernunos

Description

2 pages de Leone Frollo :
- Publiées en septembre 1971 en Italie par Ediperiodici dans le 23ème numéro de Terror intitulé « Barbablu ».
- Publiées en novembre 1971 en France par Elvifrance, dans le numéro 8 de la série Terror intitulé « Le salaire du Malin ».
- Publiées en 1972 en Belgique et aux Pays-Bas par Vrijbuiter dans la collection Terror, numéro 23, sous le titre « Blauwbaard ».
- Enfin, les 2 pages ont été reproduites dans l’ouvrage « Pulsions graphiques » de Christophe Bier, édité par Cernunnos en 2018.

A noter que comme toutes les pages du récit, les planches originales italiennes ont été découpées et collées sur un page plus grande incluant le texte français. Ce procédé pour le moins artisanal dénote les débuts d'Elvifrance, la collection Terror étant l'une des premières publiées en France après Isabella, Jacula et Jungla.

Inscriptions / Signatures

Pagination française

Commentaire

Leone Frollo a débuté sa carrière dès la fin des années 40, à 17 ans. Il œuvre alors principalement pour des séries d’aventure, de western ou, de guerre. Ce n’est qu’en 1970 qu’il rejoint les éditions RG dont les créateurs Renzo Barbieri et Giorgo Cavedon vont fonder plus tard Edifumetto et Ediperiodici, les pourvoyeurs italiens d’Elvifrance. C’est donc avec la série Terror italienne que Leone Frollo débute sa lente ascension vers ses séries phares (Lucifera, Bianceneve, Naga puis plus tard Yra ou Casino).

Il va créer 7 histoires pour la collection Terror. Des histoires courtes dans les premiers numéros mais aussi des récits de plus de 200 pages.
Les planches présentées ici appartiennent au Terror n°23 « Barbablu », publié en Italie en septembre 1971. Le titre italien et la couverture de Leandro Biffi ne laissaient pas de doute possible. C’est bien d’un Barbe-bleue dont il est question.
Le récit de 240 pages sera repris les mois suivants en France, scindé en 2 volumes (Terror n° 7 et 8, publiés en octobre et novembre 1971) intitulés « L’or du Démon » et « Le salaire du Malin ». Tant dans ces titres que dans les couvertures utilisées, toute référence à l’ogre bien connu a disparu des versions françaises. Le personnage inquiétant à la barbe bleue et aux doigts dégoulinant de sang est remplacé par une vieille sorcière grimaçante et son chat noir (Terror 7) et par une jeune sorcière s’envolant devant un diable noir au-dessus d’un convent de vieilles harpies (Terror 8). Deux illustrations empruntées à la série Italienne mais sans aucun rapport avec l’histoire.
Ce choix est d’autant plus regrettable que lors de la publication des premières séries italiennes traduites en français, les couvertures avaient encore un lien direct avec les récits.

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Mais qu’en est-il de ce Terror n° 23 « Barbablu » ? C’est la dernière histoire que Leone Frollo publie pour cette collection et c’est sans doute la plus aboutie. Ce n’est pas un hasard s’il abandonne Terror quelques semaines plus tard pour se lancer dans la première série dont il assume seul le dessin : Lucifera. Son dessin a franchi un premier cap. Son style est près de s’épanouir complètement. Quinze numéros plus tard il abandonnera Lucifera à son tour pour se consacrer entièrement à sa Biancaneve, ne pouvant assumer en même temps le dessin de deux séries.

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Et qu’en est-il du personnage mis en scène ? Qui est ce « Barbe-Bleue » ? Ici, nul personnage de conte. Ce n’est ni le roi légendaire Conomor qui tuait ses épouses, ni le hobereau tyrannique décrit par Charles Perrault et qui conserve les corps de ses femmes assassinées dans un réduit fermé à clé. Ce n’est pas non plus le roi anglais Henri VIII qui condamnait à mort ses épouses.

Le Barbe-Bleue évoqué par Leone Frollo c’est Gilles de Rais, le seigneur compagnon de Jeanne d’Arc au siège d’Orléans, maréchal de France qui finit, 9 ans après la mort de la Pucelle, sur le bûcher lui aussi. Personnage historique autant que légendaire, Gilles de Rais a été cité à comparaître devant le tribunal ecclésiastique de Nantes, sous les accusations de « meurtres d'enfants, de sodomie, d'invocations de démons, d'offense à la Majesté divine et d'hérésie».
Je laisse la parole à Wikipedia sur ce sujet : « La condamnation est prononcée le 25 octobre 1440 par la cour ecclésiastique dans la grande salle supérieure du château de la Tour neuve (…). Gilles de Rais a été excommunié pour « apostasie hérétique […] invocation des démons […] crime et vice contre nature avec des enfants de l'un et de l'autre sexe selon la pratique sodomite. » La sentence de la cour ecclésiastique attribue à Gilles de Rais le meurtre de « cent quarante enfants, ou plus » tandis que la sentence de la cour séculière n'arrête pas de nombre exact en mentionnant l'assassinat de « plusieurs petits enfants ». Gilles de Rais et ses deux valets sont condamnés à être pendus, puis brûlés. À sa demande, [on] lui accorde trois faveurs : le jour de l'exécution, les familles des victimes pourront organiser une procession, il sera exécuté avant ses complices et son corps ne sera pas entièrement brûlé pour être inhumé en terre d'église au monastère de Notre-Dame des Carmes de Nantes. »

C’est ce personnage dont on suit l’histoire sur 240 pages. Depuis l’exécution de Jeanne d’Arc en 1431 à laquelle Gilles aurait assisté, impuissant, jusqu’à sa propre exécution à Nantes en 1440. C’est le Gilles de Rais romantique et fantasmé de Huysmans, celui de Georges Bataille, ou même celui de Michel Tournier qui est invoqué. Celui qui, rendu fou par la perte de Jeanne d’Arc, sombre peu à peu dans la mélancolie, puis la folie criminelle entouré de mauvais conseillers.

La personne de Gilles de Rais a échappé à l’histoire pour devenir, au 19ème et au 20ème siècle, un mythe sanguinaire. Depuis les tentatives maladroites de le réhabiliter dans les années 90, il est devenu bien difficile de savoir si les crimes dont on l’a accusé et pour lesquels il a été condamné sont réels ou fantasmés. En tous les cas, le récit est construit avec une certaine précision historique (si l’on met de côtés quelques fantaisies) mais surtout avec une multitude de détails tels que le canon du Gilles de Rais monstre démoniaque tueur d’enfants les avait fixés. Quel était le scénariste ultra documenté de cette histoire ? Un mystère de plus…

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Les deux planches montrent les principaux protagonistes de l’histoire. Tous historiques. Tous condamnés à l’issue du procès de Gilles.

Dans la première page figure le clerc Francesco Prelati, alchimiste et invocateur du Démon, âme damnée de Gilles de Rais qui l’incite à tuer 800 petits enfants pour obtenir la richesse après un pacte épouvantable passé à la fin du premier tome. Il tient le poignard aiguisé, prêt à accomplir un premier sacrifice sous les yeux de son Maître dont la silhouette se découpe à contre-jour, le visage dans l’ombre, impénétrable, sous l’égide d’une tête démoniaque. Tout le talent de Frollo se dégage de cette page. A travers une mise en scène théâtrale, par un jeu de lumières contrastées il donne encore plus de force au tragique. Il abandonnera ce jeu des ombres dans ses séries ultérieures, apportant plus de dépouillement à son dessin, éludant ou réduisant souvent les décors.
Dans la première case de la seconde planche Frollo utilise la technique de l’ombre chinoise, tant utilisée par Magnus, pour mettre en scène l’innommable. Au confort de la rapidité (des silhouettes noires à la place d’un dessin accompli) il ajoute la très bonne idée, purement graphique, du mal absolu, obscur, noir, non représentable, transpercé par le cri blanc de la victime. Et puis dans la seconde case, ce sont deux des fidèles serviteurs du seigneur de Machecoul, Henriet Griart et Étienne Corillaut, dit « Poitou », à qui est confiée la sinistre besogne de faire disparaître les cadavres. Une grille, des corps charbonneux, et deux sinistres factotums.

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Une mise en scène, un récit tout entier sublimé par l’incroyable talent de Leone Frollo rarement vu dans ce registre tragique. Et une pierre de plus à la légende noire du Seigneur de Retz.

Publication

  • Le salaire du malin
  • Elvifrance
  • 11/1971
  • Page 6 et 7

Thématiques


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A propos de Leone Frollo

Leone Frollo est un dessinateur et scénariste de bande dessinée italien. Il a travaillé sur plusieurs genres, dans la fantasy et l'horreur, mais plus particulièrement dans la bande dessinée érotique.

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