In Zizanion 's collection
Jijé, Jean Giraud, Jerry Spring - La Route de Coronado - Comic Strip
4039 

Jerry Spring - La Route de Coronado

Comic Strip
1961
Ink
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Description

La Route de Coronado planche n. 14 - prépublication dans le Journal Spirou n. 1198 du 3 mars 1961.

Comment

Jean [Giraud] est venu chez moi, accompagné de Mézières et Mallet ; ils étaient plus ou moins âgés de dix-huit ans et étudiaient, je pense, aux Arts-Déco ou à Estienne. Ils me paraissaient très attentionnés pour Mallet, affligé de surdité. Je ne me rappelle rien de cette visite, sinon l'enjouement et la faconde de Mézières. Par la suite, je ne sais comment, ni quand, ni pourquoi, c'est surtout Giraud que j'ai revu. Son dessin était le seul, à l'époque, qui avait de la valeur d'un point de vue technique. Je ne me rappelle pas dans quelles circonstances il a commencé à travailler chez moi. Sans doute, comme c'est arrivé souvent à d'autres jeunes, a-t-il passé quelques après-midi à dessiner et à parler dans l'atelier... Je lui ai proposé une collaboration à Jerry Spring. Je ne me rappelle plus la vraie raison ; je pense que c'était dans le but pratique de lui apprendre le métier sur le tas. Il a commencé La Route de Coronado assez péniblement, et tout de suite, toujours dans un but pratique, nous en sommes arrivés à diviser le travail en : Jijé crayonné, Giraud encrage, sous ma direction et avec des retouches de Jijé.
- Jijé

Mes rapports avec Gillain sont réellement des rapports père/fils ; tout le temps où j'ai travaillé avec lui, il a voulu être mon père et moi j'ai voulu être son fils. Le transfert parental s'est opéré dans la sphère artistique, j'ai assumé avec enthousiasme le rôle de son fils dans le dessin. C'était une époque merveilleuse. Joseph a été un père parfait ; je n'ai qu'à me féliciter des leçons qu'il m'a données... J'étais allé le voir avec Mézières et Mallet, avant de partir à l'armée. Mézières était plus doué que moi, mais comme je faisais de la BD réaliste, Gillain s'est davantage intéressé à moi, parce que c'était ce qui lui plaisait. ... Mais en rentrant de l'armée, je suis retourné voir Gillain ; c'était en 1962. Il a estimé que j'étais suffisamment au point pour faire une bande avec lui et ce fut La Route de Coronado dans Spirou ; Joseph crayonnant, et moi passant l'encre. Tu comprends, je n'étais pas son "assistant", j'étais son "élève". Éperdu d'admiration pour lui comme j'étais, sa proposition fut une grande émotion dans ma vie. Un peu comme s'il m'avait dit : "Veux-tu que je sois ton père ?" Je n'avais pas de père et, quelle merveille, j'en trouvais un autre Et un père dans le dessin! On a travaillé comme ça pendant un an.
- Giraud

Je préfère travailler tôt, de quatre heures du matin à midi. Le calme est total de quatre à huit heures, pas de téléphone, aucune perturbation... J'avance souvent plus durant cette période que durant le reste de la journée. Et c'est beaucoup moins fatigant lorsqu'on n'est pas distrait par l'extérieur. Je suis donc peu enclin à avoir des assistants. Il m'arrive de travailler avec l'un ou l'autre jeune, mais dans ce cas, je les aide souvent plus qu'ils ne m'assistent. Il est beaucoup plus productif, à mon avis, de travailler tout seul. A deux, on perd un temps fou à discuter ou à regardes le travail de l'autre. Si j'ai proposé à Giraud de passer à l'encre cet épisode, je pense que c'était dans le but pratique de lui apprendre le métier sur le tas. C'est le moyen le plus rapide pour adopter la technique d'un autre et entrer dans les trucs du métier.
- Jijé

J'étais follement ambitieux au départ. J'ai commencé l'aventure tout seul. Mais au bout d'une semaine, j'avais seulement terminé une demi-planche littéralement arrosée de ma sueur : une vraie catastrophe ! Nous nous sommes donc partagé le travail. Je venais chaque matin à Champrosay et je passais à l'encre ses crayonnés. Gillain m'a appris ainsi un certain nombre de règles qui m'ont fait gagner énormément de temps. La clarté de la composition, l'utilisation des noirs, la recherche du rythme et de l'équilibre de la mise en page, l'épaisseur du trait, le travail d'après document photographique et de nombreuses choses indispensables pour progresser.
- Giraud

J'ai beaucoup souffert au début de son encrage et je suis revenu sur certaines de ses premières planches (par exemple, les dessins cinq et six de la deuxième planche), mais il apprenait vite ! A la fin du bouquin, il commençait à avoir une patte. On y voit déjà des images qui portent sa marque personnelle comme l'image 5 de la planche 22. C'est très influencé par le cinéma, je ne l'aurais pas fait ainsi, mais c'est bon. Notre collaboration n'avait absolument rien de mécanique : on travaillait ensemble.
- Jijé

Grâce à Jijé, Giraud est choisi par Jean-Michel Charlier pour lancer en octobre 1963 dans PILOTE la série Blueberry:

Charlier m'a demandé si je pouvais faire cette nouvelle série ou si je connaissais quelqu'un capable de la faire. Je lui ai conseillé Giraud parce qu'il en était capable : je venais de le voir au travail dans Jerry Spring et j'étais sûr qu'il y avait quelque chose en lui. Je voyais aussi ce qu'il dessinait pour les publications BONUX produites par Benoît.
- Jijé

Sans l'engouement d'un maître à l'hospitalité généreuse pour de jeunes artistes à la recherche de conseils, Blueberry aurait pu être signé par un tout autre dessinateur. Peut-être même n'aurait-il jamais existé si deux compagnons de la bande dessinée, un vétéran et un apprenti fous de westerns, ne s'étaient pas engagés ensemble sur La Route de Coronado. Cet épisode forme ainsi un jalon important dans l'histoire de la bande dessinée européenne.

Cette planche provient de la collection Jacques Topor qui l’avait reçue de Jijé dans les années 70 (voir son interview en pages 59 et suivantes de la troisième référence ci dessous).

Jacques Topor qui écrivait, de temps à autre, des articles pour Le Collectionneur de Bandes Dessinées, a publié quelques articles sur le thème de la collection de planches originales en 1977-1978. Il a reproduit, entre autres, cette planche de La Route de Coronado en soulignant que c’est une planche-clé de la série (Le Collectionneur de Bandes Dessinées n° 12, avril-mai 1978).

Sources:
1. Tout Jijé Volume 8, 1960-1961. Ed. Dupuis 1995
2. Docteur Moebius et Mister Gir. Numa Sadoul. Ed. Casterman 2015
3. Petites Histoires Originales. François Deneyer. Ed. Musée Jijé 2016

Publications

  • La route de Coronado
  • Dupuis
  • 01/1962
  • Interior page
  • Petites histoires originales
  • Musée Jijé Asbl
  • 11/2016
  • Page 65

See also:   Jerry Spring

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About Jijé

Joseph Gillain, better known by his pen name Jijé was a Belgian comics artist, best known for being a seminal artist on the Spirou et Fantasio strip (and for having introduced the Fantasio character) and the creator of one of the first major European western strips, Jerry Spring.