Van Gogh sous la pluie

Peinture

Avec Van Gogh sous la pluie, Lorenzo Mattotti compose une série d’images d’une grande densité poétique, où la figure de l’artiste devient celle d’un marcheur solitaire, traversant le monde tel un spectre mélancolique. Inspiré par L’Artiste sur la route de Tarascon, œuvre disparue de Van Gogh et réinterprétée plus tard par Francis Bacon, Mattotti ne cherche pas à reconstituer une image, mais à en déployer la puissance symbolique. L’artiste devient ici un pèlerin de l’intériorité, porteur du poids de la création, écrasé parfois par la pluie, par la matière du monde, par la solitude.

Chaque dessin de la série témoigne d’une introspection visuelle. La silhouette est récurrente, mais jamais identique. Les traits se désagrègent, les textures se mélangent, les arrière-plans semblent émaner de l’état d’âme du personnage. Mattotti explore une forme d’abandon graphique, où le fusain, le pastel, le crayon de couleur s’entrechoquent et se fondent dans une gestuelle libre et chargée.

Ce qui frappe également, c’est la matérialité même du dessin, l’attachement à un geste physique, manuel, presque primitif. Dans une époque où l’image est souvent filtrée, numérique, reproductible, cette fidélité au dessin comme acte fondamental retrouve une résonance singulière. Comme le souligne Lisa Saltzman :

« The act of drawing holds within it the very future of figurative painting. »
Le dessin devient ici non seulement un outil, mais une pensée en mouvement — une manière d’habiter le visible, de faire émerger l’émotion.

Ce retour au trait s’inscrit aussi dans un mouvement plus large, celui d’un regain d’intérêt pour le figuratif dans l’art contemporain. Il ne s’agit plus de copier le réel, mais d’en recréer la charge sensible. Dans leur étude pour le MoMA, D. Wye et S. Figura parlent d’un renouveau figuratif « profondément ancré dans la mémoire, le récit et la tension visuelle ». Mattotti s’inscrit pleinement dans cette dynamique.

Issu de la bande dessinée, il dépasse ses codes. Son travail appartient à cette génération d’auteurs qui, selon Thierry Groensteen, ont fait du roman graphique « un laboratoire graphique où se rencontrent narration intime et exigence plastique ». Il ne dessine pas pour illustrer, mais pour faire résonner. Michael Picone le formule ainsi :

« Comic artists today become visual narrators of emotional experience. They don’t illustrate—they sculpt silence, suggestion, movement. »

Présenter Van Gogh sous la pluie sur une plateforme comme 2D Galleries, c’est affirmer cette position transversale. C’est reconnaître que Mattotti ne fait pas seulement le pont entre la bande dessinée et l’art contemporain — il trace une voie singulière, où le récit passe par la matière, la couleur, l’effacement.

Son influence se ressent chez d’autres artistes contemporains, notamment ceux soutenus par la Galerie Martel. Sa vision, à la fois libre, introspective et audacieuse, pourrait bien former les bases d’un courant nouveau, où narration visuelle et liberté plastique se conjuguent. Comme l’écrit Sausverd dans Comic Art in Museums :

« The influence of figurative comic artists on contemporary museums is no longer anecdotal — it’s structural. »

Enfin, la reconnaissance institutionnelle ne s’est pas fait attendre : plusieurs dessins de cette série ont intégré la collection du Centre Pompidou. Ce que propose Mattotti ici, c’est bien plus qu’un hommage à Van Gogh : c’est une méditation sur la fragilité du geste créateur, sur l’épuisement et la persistance, sur la puissance intacte du dessin figuratif lorsqu’il ose encore habiter le monde.

Expositions:
- Obsessions, La Ferme du Buisson - Centre d'art contemporain, Noisiel, France, 2022
- Artparis 2025