Dans la collection de Jan 
Sans Titre par Marionne Fayolle - Planche originale
868 

Sans Titre

Planche originale
circa 2013
Encre de Chine
Ajoutée le 22/12/2019
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Part 1/2

Description

Part 2/2

Commentaire

Marion Fayolle, née en 1988 en Ardèche, est une artiste visuelle et conteuse qui échappe aux formes classiques de la bande dessinée ou du récit illustré. Son œuvre se situe quelque part entre la poésie, le théâtre et la pensée graphique. Elle a étudié à l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg, où elle a cofondé la revue Nyctalope, une publication expérimentale qui dévoilait déjà son goût pour le jeu, le déplacement des codes et l’exploration formelle.

Ce qui distingue son travail, ce n’est pas seulement son style graphique, mais surtout sa manière de voir. Elle appartient à ce petit cercle d’artistes capables de développer un regard véritablement original — un regard qui ne se contente pas de représenter autrement, mais qui pense autrement. Elle aborde des thèmes universels comme l’amour, le pouvoir, la sexualité, le deuil ou le désir, non par des analyses psychologiques, mais par l’image, le geste, le corps en action. Elle compose des scènes où tout semble à la fois absurde et parfaitement logique.

Dans son premier ouvrage, L’Homme en pièces (2011), elle imagine un personnage littéralement démembré, dont les morceaux deviennent manipulables, échangeables. On y lit la perte de soi, la vulnérabilité des relations, la fragmentation de l’identité — sans une seule bulle de texte. Son œuvre la plus marquante reste sans doute La Tendresse des pierres (2013), une méditation visuelle et poignante sur la maladie de son père. Le corps paternel y devient un amas de pierres, de plus en plus difficile à porter. Ce livre a été récompensé par le Prix Révélation au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême en 2018, et demeure aujourd’hui un repère dans le paysage de la bande dessinée contemporaine.

Son travail est traversé par une obsession du corps, non pas comme sujet anatomique, mais comme langue. Chez Fayolle, les personnages ne parlent pas ; ils s’expriment avec le dos, les mains, la posture, le silence. Ce sont des acteurs d’un théâtre muet, porteurs de métaphores. Une étreinte devient une contrainte. Un contact tendre devient glissant. Dans Les Amours Suspendues, les corps s’enlacent, se supportent, se transforment en structures, en gestes d’attachement et de dépendance. Dans Les Coquins, elle aborde l’érotisme sans vulgarité — en montrant des corps curieux, joueurs, parfois maladroits, toujours libres.

Elle a aussi développé une technique d’impression qui reflète son rapport à la fragilité de l’image : elle dessine et colorie ses illustrations séparément, imprime les couleurs sur des films transparents, qu’elle applique encore humides sur le dessin original. Cela crée un léger décalage entre la couleur et la ligne, une imperfection volontaire qui souligne la fragilité du geste, la porosité entre le vouloir dire et le montrer. Dans son univers, tout semble subtilement décentré, comme un rêve dont on se réveille avec une sensation étrange, mais profondément juste.

Dans l’une des séquences dans le dessin ci-dessus, un personnage peint une mer, puis entre dans son propre tableau. Très vite, d’autres le rejoignent, se déshabillent, se jettent à l’eau. Ce moment incarne à la fois l’imaginaire de Marion Fayolle et sa propre conception de l’art. Elle ne conçoit pas l’œuvre comme un produit fini ou comme une démonstration, mais comme un espace à habiter. L’acte de créer devient un acte d’ouverture : peindre une mer, c’est en faire un rivage réel pour soi et pour les autres. L’art n’est pas ici une représentation, mais une possibilité d’habiter autrement le monde — un lieu où l’on entre, littéralement, porté par la force d’une image.

En 2024, elle est invitée à participer à la grande exposition La BD à tous les étages au Centre Pompidou. Pour cette occasion, on lui confie une mission singulière : concevoir un univers onirique et immersif spécialement destiné aux enfants. Elle y imagine un monde doux, absurde et tactile — un espace de lecture et de rêverie où l’on pénètre comme dans un livre ouvert. Cet environnement devient le prolongement naturel de son œuvre : un lieu où les corps flottent, où les couleurs murmurent, et où la narration se fait par le jeu.

Ses livres ne se lisent pas comme des histoires ; ils se vivent comme des souvenirs. Chaque image évoque une sensation que les mots ne peuvent tout à fait saisir. Et c’est peut-être là sa plus grande force : elle libère le sens du langage. Elle nous apprend à regarder autrement — non pas avec la raison, mais avec le corps, l’imagination, l’inconscient. Son œuvre ne dit rien, mais elle montre tout.

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