Les Pieds Nickelés - Ribouldingue, Filochard et Croquignol Soldats

A propos de la reprise des Pieds Nickelés

C’est Georges Offenstadt [éditeur avec son frère de l'hebdomadaire L'Épatant, dans les pages duquel naissent Les Pieds nickelés] qui m’a demandé de reprendre cette bande. C’était vraiment un ami pour moi. Il avait suivi tout ce que j’avais fait avant-guerre, Futuropolis, Jean-Jacques Ardent… et après-guerre, il a voulu reformer l’équipe. "J’ai une série à vous proposer !", m’a-t-il dit, ce sont Les Pieds nickelés.

Ma première réaction a tout de suite été négative. Tout simplement parce que je n’avais jamais aimé le dessin de Forton, pas plus que ses histoires et, de plus, bien que travaillant pour la SPE, je n’avais jamais connu Forton. J’ai fini par accepter, parce qu’à cette époque-là il y avait une censure qui démolissait le style Forton. On ne pouvait plus faire du Forton, il était interdit de faire du Forton, il était interdit de faire une littérature grossière, de faire des dessins grossiers…

Georges Offenstadt m’a dit : “Alors, là, faites-les comme vous voudrez”, et comme cela ça m’intéressait… Si vous avez suivi mes Pieds nickelés, il y a quatre ou cinq styles différents. J’ai voulu faire des personnages plus typiques que chez Forton. C’est pour cela que mes héros sont devenus trois personnages différents. Je crois que c’est aussi plus facile pour les textes ; du reste, les premiers temps, c’est moi aussi qui faisais les scénarios.

Publié en janvier 1951 dans la collection Les Beaux Albums de la Jeunesse Joyeuse par la Société Parisienne d'Edition (SPE), Les Nouvelles Aventures des Pieds Nickelés - Ribouldingue, Filochard et Croquignol Soldats constitue la seizième aventure de la série et la cinquième réalisée par Pellos. L'histoire paraît initialement dans les numéros 20 à 25 du Journal des Pieds Nickelés en 1950, avant sa publication en album l’année suivante.

L’aventure débute, comme souvent, par la déroute financière de notre trio, contraint de rejoindre une troupe théâtrale. Contre toute attente, ils brillent sur scène et célèbrent leur succès autour d’un banquet… dont ils prennent la fuite sans régler l’addition. Inévitablement, les voilà derrière les barreaux. S’ensuit une évasion rocambolesque qui les conduit jusqu’au lointain Pelouchistan, où ils tentent de duper le radjah local. Mais leur stratagème se retourne contre eux. Pour échapper à la colère du prince, ils endossent alors l’identité de trois réservistes français. Portée par la plume de Montaubert, cette épopée conjugue satire coloniale et exotisme oriental dans une aventure particulièrement réjouissante. Côté graphisme, Pellos signe ici une œuvre inspirée, au sommet de son art, malgré une iconographie coloniale fortement stéréotypée.

Ce seizième tome illustre parfaitement la période de transition que traverse la bande dessinée française au début des années 1950. Si Pellos introduit davantage de phylactères que son prédécesseur, la narration reste profondément ancrée dans les origines du médium. Le récit repose principalement sur des textes descriptifs placés sous chaque case, tandis que les bulles servent à ponctuer l’action de brèves répliques. Cette coexistence entre texte explicatif et dialogue illustré témoigne d’une époque où la bande dessinée peine encore à s’émanciper de son héritage.

Benoît Peeters, dans sa conférence Pour une histoire de la BD : 2/10 – La bande dessinée en France, de Gustave Doré à Paul Gillon (disponible sur YouTube), souligne ce phénomène et s’appuie notamment sur cette série patrimoniale des Pieds Nickelés pour étayer son propos. Selon lui, la BD française d’après-guerre reste encore prisonnière d’un modèle narratif hérité du début du XXe siècle, où l’image se contente d’illustrer le texte au lieu de le remplacer. Le lecteur est ainsi guidé par un commentaire abondant qui explicite chaque scène, réduisant la part d’interprétation visuelle et, par conséquent, l’essence même de l’art séquentiel.