Muhammad Ali contre Superman

6 juin 2016,  par  William Blanc

 

En 1978, la terre est menacée par une invasion extraterrestre. Pour faire face à cette menace, le plus grand super-héros de tous les temps, Superman (issu de la planète fictive Krypton) s'allie avec le champion de boxe bien réel Muhammad Ali, célébré alors comme l'un des plus formidables athlètes du XXe siècle.

Les deux hommes se disputent alors l'honneur de combattre le champion des envahisseurs (les Scrubb) avant de mieux joindre leurs forces.

 

Dennis O'Neil et Neal Adams (scénario), Neal Adams (dessins), Superman Vs. Muhammad Ali, 1978

 

L'alliance peut sembler incongrue car tout semble opposer Superman, héros de l'Amérique blanche et de la classe moyenne, avec le champion de boxe afro-américain, champion populaire de la cause noire.

Ali a rejoint en 1965 la Nation of Islam (après avoir été proche Malcom X) et a vu en 1966 sa carrière sportive brisée à cause de son refus de participer à la guerre au Vietnam. Après trois ans il a pu reconquérir son titre lors du match du siècle en 1974 à Kinshasa face à Georges Foreman (l'épisode a fait l'objet d'un superbe documentaire, When we were kings — 1996).

Le champion de boxe restait cependant pour beaucoup l'incarnation d'un black power qui faisait peur. Cet aspect aurait pu refroidir les ardeurs de DC Comics, la maison d'édition n'étant alors pas réputée pour ses prises de position politique, à la différence de son concurrent Marvel.

Mais c'est sans compter le talent de deux auteurs : Dennis O'Neil et Neal Adams. Ceux-ci ce sont déjà fait remarquer au tout début des années 1970 en faisant se rencontrer (dans Green Lantern/Green Arrow #76, avril 1970) les super-héros Green Lantern et Green Arrow. Ce dernier, plus terre à terre, entraîne son compagnon sur les routes de l'Amérique profonde pour mieux combattre les injustices sociales et raciales.

Plus tard, dans Green Lantern/Green Arrow #87 (décembre 1971), la paire O'Neal/Adams donnera l'anneau de pouvoir de Green Lantern à un afro-américain, John Stewart, faisant de lui le premier super-héros noir de DC Comics. L'éditeur emboitait ainsi le pas à Marvel, qui avait déjà fait apparaître son premier super-héros afro-américain (le Faucon) dans Captain America #117 (En septembre 1969 – nous en parlions ici sur le carnet de 2dgalleries).

 

Dennis O'Neil (scénario), Neal Adams (dessins), Green Lantern/Green Arrow, #80, octobre 1970

 

Cela ne doit rien au hasard : au même moment, les populations noires s'affirment politiquement aux États-Unis et dans le monde, suivant notamment l'exemple de grands sportifs militants comme les athlètes Tommie Smith et John Carlos (qui levèrent le poing aux JO de Mexico en 1968) ou Muhammad Ali.

Faire apparaître ce dernier dans un comic-book semblait pour le duo O'Neil/Adams une suite logique , notamment au côté de Superman. Après tout, Superman, bien qu'il se cache sous les traits du journaliste Clark Kent est lui aussi un immigré récent venu d'une autre planète et adopté par une famille américaine de classe moyenne. Cela doit sans doute beaucoup à l'histoire familiale des deux créateurs du super-héros, Joe Shuster et Jerry Siegel, issus de familles juives ayant fuit l'Europe pour l'Amérique.

Cet aspect du personnage phare de DC Comics est d'ailleurs rappelé dans Superman vs. Muhammad Ali lorsque les deux héros peinent à décider qui des deux doit affronter les extra-terrestres et que le fils de Krypton rappelle qu'il est un "terrien naturalisé" comme le montre l'image ci-dessous:

 

Dennis O'Neil et Neal Adams (scénario), Neal Adams (dessins), Superman Vs. Muhammad Ali, 1978

 

Le conflit entre Muhammad Ali et Superman, permet à Dennis O'Neil et et Neal Adams de s'interroger sur la nature même de la citoyenneté américaine. Un blanc récemment immigré vaut-il plus qu'un afro-américain dont les ancêtres ont été amenés de force deux siècles plus tôt ?

À leur manière, en montrant le boxeur et le super-héros combattre à égalité (c'est aussi le propos du film Rocky, réalisé deux ans plus tôt par Sylvester Stallone et en partie tiré du parcours d'Ali) avant de s'allier, les deux scénaristes répondent que tous le monde à sa place sur le ring et dans la vie, tout comme le montre la toute dernière planche du comic-book.

Dennis O'Neil et Neal Adamas ont rêvé ainsi tout haut d'une Amérique débarassée de la question raciale après le combat victorieux pour les droits civiques durant les années 1950 et 1960. C'est toujours une utopie en 2016, à la disparition de Muhammad Ali.

 

Dennis O'Neil et Neal Adams (scénario), Neal Adams (dessins), Superman Vs. Muhammad Ali, 1978

 

Vous pouvez retrouver les oeuvres originales de Neal Adams sur le site 2dgalleries.com à cette adresse.

William Blanc

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