Interview de Grzegorz Rosinski

June 19, 2017,  by  William Blanc

 

2dgalleries.com : Pourquoi avoir décidé de placer les aventures de Thorgal dans un univers médiéval ?

Grzegorz Rosinski : Pour moi, l'arrière-plan de Thorgal est comme une scène de théâtre qui me permet de traiter de choses plus profondes, plus humaines et universelles. Mes personnages sont comme des acteurs que je fais jouer sur un fond neutre. Pour moi, l'univers de Thorgal constitue ce fond neutre, parce qu'il est imaginaire. Le décor à l'air tiré du Moyen âge, mais en fait, pas tout. Je ne tente pas de reconstituer l'époque médiévale comme elle était, cela ne m'intéresse pas, même si je me documente beaucoup. En fait, je me sers de mes recherches comme une matière première que je vais transformer et réutiliser. D'ailleurs, les éléments de décors, de costumes ne sont pas d'une époque précise, car les aventures de Thorgal ne sont pas situées dans un temps bien défini.

 

Grzegorz Rosinski G. (dessins), Van Hamme J. (scénario), La cité du Dieu perdu, planche originale (1987)
Cette oeuvre est dans la collection de gregfanbd

 

2DG : Comment est née la saga de Thorgal ?

GR : Lorsque que nous avons commencé à créer Thorgal avec Jean Van Hamme, nous étions dans une situation particulière : lui en Belgique, et moi, dans l'autre bloc, de l'autre côté du rideau de fer, en Pologne, où s'exerçait un fort régime de censure, surtout dans le domaine culturel. J'ai créé un précédent en étant le premier artiste à travailler en tant qu'indépendant avec un éditeur occidental [les éditions du Lombard. Ndlr.]. Ce n'était pas non plus clandestin, je faisais simplement comme si les frontières n'existaient pas. Dans ce contexte, l'aspect médiéval de Thorgal me permettait tout d'abord de partir. Comme j'habitais alors dans un pays gris, assez triste, je voyageais dans ma tête et ce voyage devenait réalité. Et puis, le Moyen âge restait le seul thème qui n'était pas politique, d'autant plus que nous avons placé l'action de la BD dans un espace et un temps indéterminé, même si l'histoire de la Pologne, proche des pays baltes et de la Scandinavie, est liée à l'épopée des Vikings. En plus, nous faisions bien attention d'aborder des thèmes universels, comme l'amour, l'honneur, qui étaient acceptés par tous les régimes.
Néanmoins, cette collaboration avec Jean Van Hamme était risquée. Je devais tout de même envoyer une planche par semaine et le transport du courrier entre les deux blocs restait compliqué. Que faire si mon travail n'arrivait pas à temps [pour le Journal de Tintin, dans lequel Thorgal était prépublié. Ndlr.] ? Fort heureusement, il n'y a jamais eu de problème avant l'instauration de la loi martiale en décembre 1981, durant laquelle il n'y avait plus de contact avec l'Ouest ni moyen d'envoyer des planches. C'est pour cela que j'ai émigré en Belgique.

 

 

2DG : En Pologne, aviez-vous accès à des BD et à des films traitant du Moyen âge qui vous ont par la suite inspiré pour créer  l'univers visuel de Thorgal ?
GR : Non, il n'y avait pas beaucoup de BD en Pologne, et encore moins de BD occidentales. Nous étions à l'époque peu nombreux à faire de la bande dessinée dans les Pays de l'Est. J'étais d'ailleurs responsable artistique du premier magazine de l'Est consacré au 9e art, Relax, qui a regroupé à partir de 1976 des artistes tchécoslovaques, polonais, hongrois et russes.
En ce qui concerne les films, il y a bien eu des longs métrages polonais consacrés au Moyen âge, comme Les Chevaliers teutoniques (Krzyzacy) réalisé en 1960 par Aleksander Ford, mais ils n'ont eu aucune influence sur mon travail. Avec les films, l'image existe déjà et cela semble tellement réel qu'on ne peut pas travailler avec. Cela enferme plus l'imagination que cela ne la développe. Si je commençais à travailler sur Thorgal aujourd'hui, entouré de toute cette orgie visuelle, je pense que je n'aurais pas pu devenir illustrateur ou peintre. Mon rôle de création graphique aurait été trop réduit parce que tout est déjà fait. Quand j'étais petit, il n'y avait rien à part les ruines causées par la guerre. Créer à partir de rien, ça c'est intéressant. En fait, à bien y réfléchir, je me suis plutôt inspiré de la littérature, même sans illustrations.

 

Grzegorz Rosinski G. (dessins), Van Hamme J. (scénario), Louve, planche originale (4), 1989.
Cette oeuvre est dans la collection de Mzee

 

2DG : Néanmoins, vous vous êtes un peu documenté pour Thorgal lorsque vous avez commencé à travailler sur la série en Pologne.
GR : Oui, bien sûr. J'adore les vieux livres, surtout ceux du XIXe siècle, avec des sérigraphies. À l'époque, j'entrais dans de vieilles boutiques et je fouillais dans des piles de vieux papiers et je les reniflais (rire). Même aujourd'hui, l'imagerie de cette époque m'inspire beaucoup, même celle tirée des vieux atlas ou des ouvrages zoologiques. Je ne les reproduis par contre pas à l'identique. Je m'en inspire, je les transforme. Je suis d'ailleurs très content d'avoir pu ramener de Pologne certains ouvrages que je collectionnais alors.
Je suis conscient que ces images sont fausses. Par exemple, les peintres pompiers mettaient dans des peintures mythologiques les casques des sapeurs-pompiers parisiens. Même chose avec les costumes des opéras de Wagner, où l'on voit des Vikings avec des casques à cornes. Cela me fait rire, c'est très pittoresque, et je pense que cela fait plaisir au public de retrouver ces stéréotypes.
Encore une fois, je ne suis pas un reconstituteur. Lorsque le musée du Cinquantenaire de Bruxelles m'a demandé de réaliser de grands tableaux consacrés à l'histoire mérovingienne, notamment sur le baptême de Clovis, j'ai pu faire ce que je voulais, d'autant qu'il n'y a aucune trace iconographique de cette époque. En fait, j'avais la permission en un certain sens de créer ma propre vision, qui est devenue une sorte de référence historique, car mes tableaux sont reproduits dans des magazines spécialisés, ce qui est amusant, car je ne suis pas un historien. À ce titre, la BD, c'est faire du faux en faisant comme si c'était vrai, un peu comme dans le théâtre où tout le monde sait que les acteurs jouent des rôles et que les décors sont faits de papier mâché. Ce n'est pas comme le cinéma, qui semble trop réel, où l'on vous impose des images.

 

Rosinski G., Le roi Franc Childéric Ier (v. 440-481) entouré de ses hommes. Peinture réalisée pour le musée du Cinquantenaire.

 

2DG : Votre style a évolué et récemment, vous avez opté pour la "couleur directe" où vous peignez vos cases au lieu de les encrer de manière classique.
GR : Oui. Cette technique créée l'apparence du vraisemblable et rend plus crédible le propos, non pas en montrant des détails, mais en suggérant une ambiance, une action. Ainsi, chacun peut s'imaginer ce qu'il veut, et chacun aura raison. C'est un peu une collaboration entre l'auteur et la perception du lecteur.

 

2DG : Revenons au dernier album, Le feu écarlate, qui traite d'une guerre de religion. Est-ce un moyen pour Xavier Dorison et vous-même de commenter l'actualité contemporaine ?
GR : Je pense que le vrai miracle de l'espèce humaine est d'avoir créé la vie en société. Dans une perspective historique, la religion a pu être nécessaire pour structurer les sociétés. Mais à force, une fois son rôle accompli, la religion est devenue superflue. Pour certains c'est toujours nécessaire. Je n'ai pas ce besoin.  

 

Rosinski G. (dessins), Dorison X. (scénario), Le feu écarlate, 2016.

 

Vous pouvez retrouver les oeuvres originales de Grzegorz Rosinski sur le site 2dgalleries.com à cette adresse.

 

Propos recueillis par William Blanc

William Blanc
6 comments
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William Merci Fazo. Ca été une belle rencontre (G. Rosinski a été très accessible).
Jun 23, 2017, 9:15 AM
fazo Une bien belle initiative encore que voila ! très sympa.
Jun 23, 2017, 9:12 AM
William Merci Michael07
Jun 20, 2017, 5:38 PM
michael07 Chouette ça de partager avec les dessinateurs ;)
Jun 20, 2017, 5:28 PM
William Content que cela vous plaise Harrison5
Jun 20, 2017, 9:35 AM
Harrison5 Bel article merci !
Jun 19, 2017, 9:49 PM