Eloge de la collection

24 octobre 2015,  par  MARV

 

Le profil psychologique des collectionneurs a fait l’objet de quelques études savantes, étonnamment peu nombreuses, qui présentent l’intérêt de décrire certains ressorts communs à ceux qui consacrent une bonne partie de leur temps d’éveil à accumuler et classer des objets divers et qui y prennent, souvent à la stupéfaction de leurs contemporains, un plaisir manifeste.

Ces études, menées par des psychologues plus ou moins distingués, cherchent également à expliquer pourquoi nous ressentons le besoin impérieux de collectionner.

Comblement d’un manque affectif, compensation d’un trouble remontant à l’enfance, persistance d’une volonté infantile de classer le monde qui nous entoure pour mieux l’appréhender, ces théories du pourquoi m’apparaissent bien absconses.

Je ne ressens pas le besoin de comprendre ma passion et encore moins de la déconstruire. J’éprouve une satisfaction faussement dissimulée à conduire mon Aston Martin DBS V12 et il ne me viendrait pas à l’idée de démonter son moteur pour savoir ce qui me procure ce plaisir. D’ailleurs, je ne sais même pas comment on ouvre le capot.

En revanche, je suis beaucoup plus intéressé par le comment. Quels sont les ressorts psychologiques à l’œuvre lorsque l’objet de nos désirs s’offre à nos yeux ?

L’objet de ce billet est de passer en revue nos petits travers pour les magnifier parce que je prétends que nous devons être fiers de nous adonner aux plaisirs d’une passion douce, innocente et irréfléchie, source intarissable d'émotions intenses qui ne font de mal à personne. Sauf peut-être à notre banquier.

 

Placard ou vitrine ?

Selon Sacha Guitry qui était un grand collectionneur d'œuvres d'art, les collectionneurs se divisaient en deux catégories : les "collectionneurs-placard" et les "collectionneurs-vitrine". 

Les premiers s’adonnent à leur passion solitaire dans un abri souterrain, au fond d’un jardin secret auquel mène un labyrinthe dont l’accès, au fond d’une grotte, est fermé par une porte dont ils ont enfermé la clé dans un coffre-fort qu’ils ont jeté par une nuit sans lune au fond d’un affluent inexploré d’un fleuve non répertorié par la cartographie moderne. Ceux-ci sont sur 2DG, inscrits sous un pseudo cryptique qu’ils changent toutes les heures. Zéro œuvre postée.

Les seconds ont une fâcheuse tendance à encadrer leurs œuvres, à les prendre en photo, à encadrer la photo et à la poster sur plusieurs sites internet. Prompts à dévoiler les attributs de leur collection, ils ont également l’ouverture de la farde facile. Accessoirement, ils aiment à se balader en tenue d'Adam chez eux, sachant que leurs  voisins les épient à la binoculaire à vision nocturne thermo-sensible. Ceux-là sont également sur 2DG, avec un abonnement Premium et ont posté plusieurs centaines d’œuvres.

 

Valorisation narcissique 

Le collectionneur est généralement fier de sa collection. Le collectionneur est sa collection. Le collectionneur vit sa collection. Au grand désespoir de son conjoint qui se garde de poser l’ultimatum « ta collection ou moi ! » car le conjoint sait, par instinct primaire de survie, qu’il ne faut pas.

Chaque nouvelle pièce acquise vient compléter une mosaïque que le collectionneur conçoit au gré de ses coups de cœur ou selon un plan préétabli. Cette mosaïque, emplie de symboles qui lui sont chers, constitue un miroir dans lequel le collectionneur aime à se refléter. Dis-moi ce que tu collectionnes, je te dirai qui tu es ...

 

Une quête sans fin

Nous sommes insatiables. 

Notre chasse aux trésors ne connaît pas de répit.

Rares sont ceux qui parviennent à "décrocher" définitivement, sauf à subir un coup du sort qui les oblige à se séparer de tout ou partie de leurs trésors. D'expérience, cette séparation forcée, si elle doit intervenir, est douloureuse. Et il n'est pas rare que la passion resurgisse spontanément lors d'un retour à meilleure fortune. 

L'une des caractéristiques de cette quête, qui peut donner le tournis lorsqu’on s’y attarde, est l'absence de point de saturation. Le plaisir doit être sans cesse renouvelé, alimenté par l'acquisition de nouvelles œuvres. La collection est une addiction. 

 

Une douce et folle addiction

Cela induit souvent une quête continuelle, parfois frénétique, de nouvelles merveilles. Sites marchands, galeries, eBay, agents, Facebook, contacts directs avec les auteurs, sollicitation d’autres collectionneurs, CAF, et bien entendu 2DG, toutes les sources sont bonnes à explorer afin de dénicher la perle rare qui viendra embellir notre collection.

Dans cette quête, la concurrence entre collectionneurs prend corps et c'est à cette occasion que nos petits travers peuvent prendre une forme négative à laquelle certains laissent libre cours, parfois de façon irrationnelle, d'autres s'interdisant d'y céder. C'est aussi et surtout une merveilleuse opportunité d'échanger avec ses camarades de collection et de partager une passion en toute amitié, de s'échanger les bons plans et de s'extasier ensemble autour d'une bonne bouteille.

 

Collectionneurs de symboles

Nous collectionnons des symboles, pas des objets. 

Coups de cœur esthétiques, souvenirs marquants de lecture, plongée au cœur de la création artistique et de l'imaginaire, morceaux d'histoire de la BD, pièces muséales, matérialisation d'une rencontre avec un auteur, madeleines d'une enfance pas totalement perdue, ces œuvres en deux dimensions sont, pour nous, emplies d'un affect énorme qui transcende le papier, l'encre et les couleurs qui les composent.

 

Un plaisir coupable

Que celui qui n'a jamais éprouvé quelque culpabilité à rogner sur le budget des prochaines vacances familiales pour se payer la planche de ses rêves se lève et parle, ici et maintenant, ou se taise à jamais.

Oui, en vérité, je vous le demande haut et fort : que serait le plaisir sans la culpabilité ?

Juste du plaisir. Ah oui c'est vrai.

 

Skills development

L'un des nombreux bénéfices que nous retirons de la collection de planches originales est trop souvent passé sous silence : cette passion nous permet de développer toute une panoplie de compétences qui peuvent être rudement utiles dans la vie quotidienne. 

C'est tout d'abord l'occasion idéale de développer quelques compétences en matière financière, d'apprendre à négocier un découvert autorisé, d'obtenir un prêt à la consommation, de décaler subrepticement le paiement d'un loyer ou d'une échéance de prêt immobilier, de négocier avec le Trésor Public l'étalement de nos impôts et de faire preuve plus généralement d'une belle imagination pour que notre budget consacré à la collection soit inversement proportionnel à nos revenus.

Notre passion, mes chers amis, nous permet également de développer un autre talent : celui de masquer avec délicatesse l'étendue de nos dépenses à notre conjoint, afin de lui épargner quelques tracas que, dans notre bonté conjugal, nous décidons de supporter seuls, avec une abnégation et une discrétion toute chevaleresques.

 

Magnificence

La magnificence, vertu morale de la Renaissance italienne déployée par les membres distingués des cours princières de Florence, Venise et Rome, consistait à procéder à des dépenses éclatantes pour acquérir des œuvres d’art dans un but de splendeur et de faste esthétique. Parfois associée à l’extravagance aux yeux des profanes, la magnificence n’est-elle pas au cœur de notre collection ? La magnificence ne se mesure pas en valeur monétaire absolue mais bien relative : tout collectionneur qui mobilise un budget conséquent pour sa collection, en décalage avec ses ressources, fait preuve de magnificence.

Je prétends donc que nous sommes tous, chacun à notre mesure ou démesure, des « magnifiques ».

 

Bonne collection !

 

MARV

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12 commentaires
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Aka Excellent! Merci pour ce billet qui fait sourire.
2 juil. 2023 à 21:24
Takoum Subtil , humoristique et tellement vrai ! On se retrouve bien dans ces écrits !
2 juil. 2023 à 13:12
Kiki06 Analyse pertinente et efficace. Tout a été dit. Bravo :)
19 nov. 2022 à 15:45
Albert13 Je n'avais pas encord lu ce magnifique billet que j'approuve a 100%, tout d'abord en tant qu'amateur d'Aston Martin, ma derniere etait une DB7 vendue pour cause de divorce, mais aussi en tant qu'amateur de dessins originaux en 2eme categorie puisqu'en autre, la vente de cette Aston m'a permis d'acquerir cette magnifique couverture de Murena que je partage avec plaisir sur 2dg.
24 août 2020 à 23:42
Roniz Merci Marv pour ce texte si bien écrit et bien senti. Ça a été un réel plaisir de te lire. Mais du coup, il va falloir que je me ballade un peu plus souvent à poil dans la maison...
4 mars 2019 à 21:50
charles20220 Je ne découvre que ce soir ton écrit sur cette maladie qui nous touche tous: la collectionnite aiguë!??. Grand Merci pour cette démarche forte explicite de nos vices, Et surtout vertues! Du coup je me sens coupable et en même temps victime de moi-meme.. Merci pour tes mots sur nos maux. À bientôt
24 juil. 2018 à 21:53
JeanBaptisteD Ite missa est.
6 nov. 2016 à 16:57
fazo Géniallissime MARV, un grand bravo pour ce laïus dantesque au limite de la thérapie de groupe philosophique, un très bon moment.
11 mars 2016 à 00:17
Ice Merci pour ce petit moment , durant lequel ma culpabilité persistante s'est quelque peu étiolée !
10 déc. 2015 à 13:10
edoumig Complètement en phase avec ton billet d'humeur. Attention la frontière entre magnifiques et barjots est ténue ;-)
18 nov. 2015 à 12:38
Difool Bravo en effet. A la fois très juste et avec beaucoup d'humour !
16 nov. 2015 à 13:37
michael07 Comment ne pas se retrouver dans cette description de notre petit monde.. ? Bravo pour ce beau texte ;)
16 nov. 2015 à 06:49