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Guy Mouminoux, Dimitri, Les naufragés du Pacifique - Comic Strip
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Les naufragés du Pacifique

Comic Strip
1968
Ink
23 x 11 cm (9.06 x 4.33 in.)
(dimension des dessins)
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Mise en couleur
Détail 1
Détail 2
Détail 3
Détail 4
Compère Jean Bontemps
Hercule
Échanges avec Spirou 1
Échanges avec Spirou 3
Mlf 1
Mlf 2
Le Kid passe à l'attaque
Kid passe à l'attaque mouminoux 1957

Description

Trois cases pour une série de trips, avec mise en couleur sur calque, parue en 1968.
Et quelques autres documents issus du fonds d'atelier de l'artiste.

Inscriptions

Signé au crayon sur premier calque

Comment

Mouminoux avant Dimitri, encore loin du Goulag et de Prémolaire...

Trois dessins en format cinémascope pour une réalisation "les naufragés du Pacifique" restée somme-toute assez confidentielle. Mais notez la vigueur du trait, l'expressivité des visages des rescapés, la qualité des décors et la précision de l'encrage: du grand art pour une réalisation sans concession datée de 1968.

Pour compléter ces trois dessins à l'encre, leur mise en couleur sur calque, une ou deux découvertes de réalisations assez anciennes (deux très intéressants dessins pour "Compère Jean Bontemps" / tome 9 de la série Blason d'Argent en 1962 et "Hercule") qui montrent les capacités de diversification stylistique de l'auteur.

Mais aussi, des rares retours du (peut-être) directeur éditorial de Spirou (vers 1975) sur les textes de crayonnés des "Familleureux" (croustillants dessins humoristiques pro féministes, à moins que ce ne soit une critique subliminale...:) et une belle engueulade toute en finesse à l'adresse de l'équipe d'impression pour la "médiocre" mise en couleur de trois planches du "Kid passe à l'attaque" (1957, scénario Guy Vidal, collection Trappeurs et Cow-boys, Société parisienne d'édition): "Messieurs, comme je le pense, vos connaissances graphiques vous permettront de juger, à travers la lamentable mise en couleur et la très mauvaise reproduction dans laquelle je ne suis pas intervenu, les qualités possibles de mes dessins."

Quelques témoignages des relations possiblement tumultueuses avec les équipes des maisons d'édition: citez moi un auteur à qui cela n'est jamais arrivé?... :)

Ces quelques pièces, tout comme les autres séries citées indiquent clairement que Guy Mouminoux fut un auteur engagé, certainement très influencé par ses expériences de jeunesse. Son parcours artistique ne semble pas pouvoir être dissocié de sa participation aux combats lors de la seconde guerre mondiale qui le marque profondément, influençant notablement les thèmes de ses séries articulées autour de la guerre et l'ambiguïté qu'il développe autour de tout engagement. Pour mieux comprendre, il faut se replonger dans l'histoire.

Au début de la seconde guerre mondiale, l'Alsace est annexée par l'Allemagne en 1940. Ses jeunes sont envoyés dans des camps de jeunesse allemands. Il est envoyé en 1942 au Reicharbeitsdients puis il s'engage dans la Wehrmacht en mai de la même année, puis intègre la division d'élite Grossdeutschland de 1943 à 1945. Guy Mouminoux participe dès l'âge de 16 ans, au sein de l'armée allemande, aux combats sur le front de l'Est.

En 1967 Mouminoux publie chez Robert Laffont Le Soldat oublié, récit autobiographique relatant ses trois ans comme malgré-nous . Il dira plus tard avoir alors été fasciné par la force et l'ordre allemand. L'ouvrage, bien reçu par la critique (il obtient en 1968 le Prix des deux Magots), est un succès de librairie, particulièrement à l'étranger. Traduit en une trentaine de langues, il est vendu à près de trois millions d'exemplaires.

Bien que Mouminoux ait pris soin de le signer du pseudonyme Guy Sajer (d'après selon lui le nom de jeune fille de sa mère), on découvre assez vite qu'il en est l'auteur, ce qui lui vaut une image de «facho» et le renvoi du magazine Pilote. Dans son autobiographie parue en 1999, il est peu explicite sur les raisons réelles de son départ de Pilote, à la suite d'une convocation par le rédacteur en chef (probablement René Goscinny, non cité mais qualifié de « maître »). Il évoque d’abord la rédaction nocturne vers 1952-1957 de son récit de guerre contant « une période douloureuse de sa jeunesse », aboutissant à un « roman fleuve » écrit sur des « cahiers » plusieurs années avant la publication. Ensuite il détaille son entretien, le différend puis la rupture immédiate qui en découle. Le livre fut recommandé en lecture aux officiers américains comme un exemple de ce que vit un soldat dans une guerre de haute intensité. (source Wikipédia)

Plutôt que d'émettre quelconque jugement sur les convictions de de Guy Mouminoux, voici une interview réalisée par Jean Lopez en 2012 pour le magasine G&H numéro 5. L'auteur a alors 84 ans. Certaines de ses réponses vont choquer, elles pourront logiquement pousser à la controverse. Néanmoins elles restent un témoignage historique qui me parait intéressant de mettre à disposition de chacun. Il est ambigu, paraitra irritant, insupportable, inacceptable. Mais il est délivré par un acteur direct et peu orthodoxe de cette période apocalyptique. La bande dessinée a, tout comme les autres arts, un devoir de mémoire, et c'est ce qui la grandit. Elle peut être, lorsqu'elle est bien pensée, une plongée particulière dans l'histoire: pour ce qui nous concerne ici, prenez par exemple les réalisations remarquables de Jean-Pierre Gibrat autour de la première et seconde guerre mondiale.

"G&H : Pourquoi vous être engagé ?
Pour l’aventure. Un jeune, ça ne rêve qu’à prendre le premier camion qui passe et à rouler vers l’aventure. Pas pour la victoire, pas pour la politique. J’étais béat d’admiration devant l’Allemagne, je dois reconnaître. Tout était si impeccable, si organisé… J’étais conquis par ce pays. C’était une histoire d’amour. C’est un pays qui a une telle force. Regardez ce qui se passe encore aujourd’hui : c’est eux qui vont relever l’Europe ! Même dans la débandade finale, ils restaient organisés. Ils ont aussi leur lot de connerie, bien sûr.

Mais Hitler, ça vous disait quelque chose quand même !
Je l’ai vu une fois, à Chemnitz. Comme d’ici, la place ! Un petit bonhomme en casquette qui marchait très vite, qui saluait.

Aviez-vous une affection particulière pour lui ?
À nos yeux, il était le bienfaiteur de l’Allemagne. Il a totalement remonté le pays. Moi, j’étais rassuré par son régime. Je venais d’une France qui vivait dans un bordel invraisemblable. L’Allemagne était carrée, tout était précis, on savait ce qu’on avait à faire. Je n’étais pas maltraité. Il me semblait qu’avec l’Allemagne j’avais retrouvé des parents qui géraient. On a chargé Hitler de tous les maux ! Absurde. C’était un sentimental. Arno Breker, le sculpteur intime d’Hitler, m’a raconté après guerre qu’il était un rêveur, un poète, un type extraordinaire. Je le crois toujours.

Et l’Armée rouge, elle n’a pas douché votre enthousiasme ?
D’abord, pour moi, elle n’a été que d’immenses files de prisonniers. Ça défilait pendant des heures et des heures en colonnes par vingt de front. Je me disais : « Il ne doit rester personne en Russie ! » Au début, en dehors des communistes, les Russes ne voulaient pas se battre pour le régime. L’ordre militaire, tout ça, ça les emmerdait. Après, ils se sont repris. Leur aviation était terrible. Surtout après que la nôtre a été envoyée défendre le ciel du Reich. Et leur artillerie était sérieuse. Les Katiouchas ? De gros pétards, qui faisaient plus de bruit qu’autre chose. Il fallait vraiment prendre un coup direct.

Quand commencez-vous à écrire Le Soldat oublié ?
Dans les années 1950. J’avais un asthme terrible qui me collait des insomnies. Alors j’ai commencé à coucher mon expérience sur des cahiers d’écolier. La nuit. Dix-sept ou dix-huit cahiers. [« Sans une rature », ajoute sa femme, présente à l’entretien.] La guerre me travaillait. Tout était frais dans mon esprit. J’avais des cauchemars. Tout revenait facilement, sans fatigue. Un jour, un copain dessinateur belge, Sirius, passe à la maison. Il a été subjugué par mes cahiers. « Faut que tu publies », m’a-t-il dit. Il les a emportés à Bruxelles et proposés à un hebdomadaire, où ils sont parus en feuilleton. Le succès a été retentissant. Puis ils en ont fait un recueil cartonné. Ma femme a déposé un manuscrit dégueulasse chez Robert Laffont à Paris en 1966, sans même me le dire. Deux jours après, je reçois un coup de fil à 22 heures. C’était un premier lecteur de chez Laffont qui voulait me voir au plus vite. J’ai cru à une farce. J’y vais, je suis reçu par Laffont avec le tapis rouge, il m’a presque pris dans ses bras. « Vous m’avez empêché de dormir mais je suis ravi », me dit-il. Il a édité et c’est parti comme une fusée.

Pourquoi avez-vous publié Le Soldat sous le nom de Sajer ?
Parce que je voulais rester anonyme. C’est moi qui en faisais un mystère. C’est resté un mystère très longtemps. Le premier à deviner, ça a été Jean-Michel Charlier, du journal Pilote. Il m’a appelé dans son bureau pour me dire que quelqu’un avait cassé le morceau. [« C’est-y pas Jijé ? » intervient Madame.] Oui, peut-être bien que c’est lui qui m’a découvert. Ou d’autres copains qui m’ont balancé.

Mais de quoi aviez-vous peur ?
C’était mal vu de dire du bien des soldats boches. C’était la France de de Gaulle quand même. Je craignais d’être embêté. [« Je considère que ça a fait du mal à sa carrière, dit Madame. Après, ça n’a plus été pareil pour lui. »] Je portais un fardeau, oui. [« Il a eu un prix à Angoulême et après on n’a plus parlé de lui. »] Je sentais que ce n’était plus ça.

Savez-vous que, sur Internet notamment, circulent des textes — assez anciens d’ailleurs — qui mettent en doute la véracité du Soldat oublié ?
Non.

Un colonel américain du nom de Kennedy a relevé des erreurs qui lui font conclure à une œuvre d’imagination. Ses arguments ont été contrés par un autre colonel, Doug Nash, qui a volé à votre secours. Tous deux disent vous avoir écrit et n’avoir pas reçu de réponse.
Aucun colonel américain ne m’a écrit. [« Jamais entendu parler d’eux », renchérit Madame.] Et je n’ai pas Internet. J’ai eu quantité de lettres, on ne m’a jamais dit que j’avais menti ! J’ai eu des lettres d’engueulade, de gens pas d’accord avec mes idées, ça oui. Quoiqu’en général, j’ai surtout reçu des félicitations. Des erreurs, forcément il y en a dans le Soldat ! Je n’avais aucun document. J’ai écrit ça de mémoire, comme on se rappelle d’une surprise-partie avec des amis. Sur des impressions, des sentiments. Je n’ai pas fait du Jean Mabire avec des horaires précis. [« Comme des horaires de chemin de fer », précise Madame.] Rien à foutre ! J’ai une impression sentimentale de la vie. Si on me demande des horaires, des lieux, je suis capable de me gourer. [« Tu as romancé », dit Madame.] Et puis on ne savait jamais où on était !

Vous n’avez donc pas voulu faire le récit de la guerre mais de votre vie intérieure dans la guerre…
Exactement. C’était extraordinaire pour des jeunes ! On avait l’impression d’échapper à la vigilance des parents, on nous donnait des responsabilités, gaies, à notre image, à notre dimension. On avait l’impression de se reformer. C’était bien foutu de ce point de vue. Nous les jeunes, on ne doutait de rien, pas du régime en tout cas. C’était facile de nous animer d’une confiance totale.

Avez-vous gardé des contacts avec des anciens de la Grossdeutschland ? Notamment votre ami Halls qui est un des héros du bouquin ?
Mais, oui ! Je suis allé à plusieurs réunions. Mais c’était que des vieux. Des anciens combattants. Pas mon truc. On était jeunes, nous, à la Grossdeutschland ! Halls, oui je me souviens. Dieter ! Il est devenu citoyen américain après guerre. Nous sommes allés le voir avec mon épouse il y a une dizaine d’années à New York. Ça ne s’est pas très bien passé d’ailleurs. Il m’a un peu choqué : il avait tout renié. Nous étions devenus à ses yeux une bande de forbans qui avait massacré l’Europe. N’importe quoi ! La guerre, on nous l’a imposée. Il était devenu un autre type pour moi. Un Américain. Alors je n’ai pas cherché à le revoir. Moi, je ne crache pas sur les Allemands."  

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About Guy Mouminoux

Guy Mouminoux better known as Dimitri .