Blueberry - T.16 - "Le Hors-la-loi"

Le Hors-la-loi, tome 16 de la série Blueberry.
Encre de Chine et gouache blanche sur papier pour la planche 43 de l'album.
Prépublication dans Pilote n°720 du 23.08.1973
Publication Dargaud, 1974

Durango, Colorado, 1869.

Ulysses S. Grant le Président nouvellement élu des États-Unis d'Amérique s'apprête à entrer en ville. Le pays, en pleine période de "Reconstruction" après la sanglante guerre de Sécession, est encore fragile. Quatre ans plus tôt, en avril 1865, le Président abolitionniste Abraham Lincoln a été assassiné au théâtre Ford à Washington par John Wilkes Booth, un illuminé de la cause confédérée et fervent partisan de l'esclavage. Entouré de plusieurs complices dont un agent des services secrets confédérés, Booth prépare l'assassinat du Président Lincoln, du Vice Président Johnson, du Général Grant et du Secrétaire d’État Seward afin d'inverser le cours de l'Histoire après la reddition du Général Lee. "Notre cause étant presque perdue, quelque chose de grand et de décisif doit être entrepris" écrit Booth dans son journal. Le complot échoue à renverser le gouvernement de l'Union et les conjurés seront rapidement arrêtés et pendus en juillet de la même année.

Jean-Michel Charlier reprend très habilement la trame de l'Histoire dans ce cycle du Premier Complot traité sur 2 albums, Le Hors la loi et Angel Face, pour imaginer un nouveau projet d'assassinat visant Grant, le 18ème président des États-Unis.

Enfermé au pénitencier de Francisville depuis six mois pour avoir détourné à son profit le trésor de l'armée du Sud (cycle Chihuahua Pearl) Blueberry "avoue" où se trouve caché le trésor des Confédérés qu'il aurait prétendument volé. Convoyé dans un train, il profite d'une attaque armée pour s'évader. Par la suite, il trouve refuge dans un bordel tenu par Guffie Palmer et se voit dans la quasi-obligation d'accompagner un jeune homme, Angel Face, vers le Mexique. Ce dernier est en vérité un tireur d'élite qui a pour mission de tuer le président des États-Unis dans le but de favoriser la création d'une "dictature militaire" aux États-Unis. Blueberry apprend alors qu'il est condamné à servir de bouc émissaire une fois le président Grant mort.

L'Histoire lointaine et (très) récente des États-Unis nous a tristement démontré à quel point ce scénario mis en scène en 1974 par Giraud et Charlier est moins irréaliste qu'il n'y paraît. Impossible notamment de ne pas faire le parallèle entre ce cycle du premier complot et l'assassinat de John F. Kennedy à Dallas.

Les deux cycles du complot contre le Président Grant qui s'étalent sur 7 albums et 12 années, de 1974 à 1986, du Hors-la-loi au Bout de la piste, sont exceptionnels. Le talent de Jean Giraud au dessin nous explose aux yeux et le scénario de Jean-Michel Charlier est un "page turner" ébouriffant. Lors de la vente de 4 planches Blueberry il y a quelques mois par la galerie Maghen, mon choix s'est donc immédiatement et sans aucune hésitation porté sur cette magnifique planche du Hors-la-loi formidablement composée et aérée (car divisée sur 2 strips seulement réellement) malgré ses dialogues denses. A ma grande surprise et surtout à ma très grande joie j'ai emporté le lot, non sans avoir un peu bataillé mais finalement un peu moins que mes camarades collectionneurs sur les 3 autres planches présentées ce jour-là. Les goûts, les couleurs et les mystères des ventes aux enchères... :)

La planche s'ouvre sur un grand classique de Jean Giraud dans Blueberry: le dessinateur prend du recul avec un angle de vue en plongée qui dévoile l'ensemble du décor, ici la petite ville de Durango. Cette première case panoramique, c’est tout un paysage qui se déploie pour le plaisir des yeux du lecteur. J'adore quand Giraud prend le temps de faire ces zooms arrière magnifiques (cf. pages de garde des albums de Blueberry d'ailleurs).

J’ai toujours eu du mal à faire Blueberry. Cela demande une discipline graphique extraordinaire. C’est beaucoup plus difficile que de faire du Moebius. (...) Pour faire du Gir, il faut être en état de grâce, disponible complètement et en parfaite situation d’innocence. Cela demande une énergie folle… Difficile de donner tort à Jean Giraud à la vue du travail minutieux qu'a dû lui demander cette première case et celles qui suivent. Il s'est vraiment arraché sur cette avant dernière page du Hors-la-loi. Regardez notamment l'attention portée aux détails du plafond dans les cases 2 et 3. Les croisillons en bois, les toiles d'araignées, les poutres, tout y est. Un travail de galérien.

Nous sommes donc ensuite projetés dans le grenier où Blueberry s'apprête à passer la nuit la plus longue de sa tumultueuse carrière en compagnie du sadique Commandant Kelly et du tueur d'élite Marmaduke O'Saughtnessy, dit Duke, dit Angel Face. Nous avons alors le droit à une magnifique séquence étalée sur 7 cases toute en ombre et lumière, champ/contrechamp, zoom avant/zoom arrière et plongée/contreplongée. Du grand art. Une composition de grand cinéaste qui transmet une belle tension dramatique à ce qui aurait pu se transformer sinon en une explication didactique un peu longuette. Au delà du travail de composition de la page il faut aussi évidemment admirer la virtuosité du trait et de l'encrage de Giraud. C'est personnellement ma période préférée de Blueberry, loin du style Jijé et pas encore passé du côté de Moebius (toujours magnifique bien entendu mais dans un style très différent). Si vous n'êtes pas convaincus prenez le temps d'admirer le portrait de Mike S. en case 7. Son regard assassin claque bien sur un mur en tout cas :)

Tout finira bien évidemment pour Blueberry qui retrouvera le sourire 12 ans plus tard dans le bien nommé Le bout de la piste, et surtout dans Arizona Love pendant sa nuit torride dans les bras de Chihuahua Pearl, passage dont, personnellement, je ne suis pas certain de m'être complètement remis à ce jour...