Dans la collection de Ludovic 
Georges Pichard, Jacques Lob, Blanche Epiphanie - Blanche à New-York - Planche originale
605 

Blanche Epiphanie - Blanche à New-York

Planche originale
1979
Encre de Chine
29.5 x 44.5 cm (11.61 x 17.52 in.)
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Première publication

Description

Blanche Epiphanie Tome 4 Blanche à New-York
Planche 24
Première publication dans Métal Hurlant #43 - Août 1979
Encre de Chine sur papier cartonné

Commentaire

A propos de la construction de la page

La partie haute de la planche, particulièrement la magnifique case centrale, reflète parfaitement l’art de Georges Pichard. La construction des trois premières cases évoque bien sûr les arabesques Art Nouveau de la fin du XIXème siècle, mais Pichard en profite également pour délivrer le message que Balzamore tait… Le cartouche, qui de prime abord peut être vu comme un simple cœur inversé si l’on ne s’y attarde pas, représente tout autre chose. Lorsque le regard suit les volutes situées sous le cartouche, plus de doute, la lampe Pigeon et son verre phallique, la fumée qui s’en échappe et pénètre au cœur de la forme sensuelle, tout est là qui nous dit ce que l’on sait déjà. Message dessiné en parfaite opposition avec les phylactères échanges des deux protagonistes qui l’encadrent. Enfin, venant souligner encore ce qui vient d’être vu, la partie basse de la page débute avec Balzamore en pied, suivi de trois cases dans lesquelles la fameuse lampe se fera de plus en plus présente, lampe qui détruira symboliquement le rival Défendar, pour terminer sur un gros plan du seul verre et du visage de Balzamore, accompagné d’un texte des plus clairs. Georges Pichard nous livre ici un art subtil trop souvent oublié dans des pages plus démonstratives, l’art de la Bande Dessinée...


A propos de Blanche Epiphanie

Blanche Epiphanie s’ancre dans la nostalgie dix-neuvièmiste. L’intrigue se situe dans ce qui ressemble à un XIXe siècle mal défini et tourne autour de l’héroïne éponyme, jeune orpheline blonde et plantureuse mais aussi terriblement naïve, convoitée par tous les hommes qu’elle croise. D’abord porteuse de chèque pour l’ignoble banquier Adolphus, elle parcourt le monde de Paris jusqu’aux Amériques en passant par l’Orient mystérieux et manque de se faire violer à chacune de ses destinations. Seuls la sauvent, à chaque fois, les interventions héroïques de Défendar, un justicier timide et maladroit. Et systématiquement, une péripétie supplémentaire lui permet de rester vierge, leitmotiv de la série.

Tout cela, bien entendu, est à prendre au second degré, et c’est là que la parodie intervient car le schéma narratif, en apparence absurde, fait simplement référence aux codes du roman-feuilleton populaire du XIXe siècle. Ce type de littérature se développe autour de 1830-1860, au moment où une presse à gros tirage et à bas prix apparaît en France et diffuse des romans-feuilletons par épisodes, qui sont ensuite publiés en fascicule dans des éditions tout aussi peu chères, généralement destinées à un public peu cultivé (quoique rien n’indique qu’il s’agisse du seul public !). Vite écrits pour durer le plus longtemps possible et tenir en haleine des lecteurs contraints par leur curiosité à acheter le prochain numéro, ils se basent sur des procédés de suspens et de péripéties incessantes souvent inspirées des faits divers. Si Eugène Sue est généralement considéré comme le «père» du roman-feuilleton avec ses Mystères de Paris (1842), où il développe déjà des archétypes récurrents (on se situe ici dans une littérature fonctionnant sur l’identification simple d’archétypes sociaux : le bourgeois, la pauvre innocente, le jeune romantique, le bagnard mystérieux, la beauté froide et mauvaise), Blanche Epiphanie est plus proche des déclinaisons que le roman-feuilleton connaît dans les années 1880-1900.

Dans Blanche Epiphanie, les auteurs construisent leur intrigue en s’inspirant de cette littérature populaire de la Belle Epoque : Blanche est une innocente accusée à tort, comme l’héroïne de La porteuse de pain, roman le plus célèbre de Xavier de Montépin (auteur explicitement cité dans la préface de Jean-Pierre Dionnet des éditions du SERG). Mais l’humour parodique, qui suggère au lecteur une interprétation décalée de l’histoire, tient au procédé d’exagération fonctionnant de manière ininterrompu. Il intervient dans le récit, en rapport avec le corpus des romans populaires, à deux niveaux.

Il y a d’abord exagération des principes mêmes du mélodrame : le pathétique, le poids du destin, les archétypes moraux, le sacrifice à la vraisemblance. Blanche, par exemple, garde sa naïveté même dans les situations les plus invraisemblables alors que son pire ennemi, le banquier Adolphus, est le stéréotype du méchant bourgeois exploitant ses pauvres employés. Ce qui était un schéma narratif «sérieux» censé effrayer le lecteur devient le mécanisme idéal d’un comique de répétition. L’exemple le plus frappant étant le fait qu’à chaque épisode Blanche se trouve déshabillée, que ce soit par un être humain ou par n’importe quel autre aléa de son environnement, et dévoile ainsi de larges parties de son anatomie.

Mais l’exagération la plus efficace est sûrement le recours à toutes les déclinaisons du roman-feuilleton. Si le point de départ est bien le roman dramatique dit «de la victime», Lob ajoute dans son scénario des motifs issus du roman policier (le justicier masqué Défendar rappelle le Judex d’Arthur Bernède, rendu célèbre au cinéma en 1917 par Louis Feuillade), du roman d’aventures (Blanche et son justicier voyagent à travers le monde), du roman exotique (Blanche se retrouve dans l’univers des harems et de la traite des blanches, thématiques récurrentes de romans populaires à tendance érotique jouant sur l’orientalisme) et, bien sûr, la littérature érotique. Avec cette superposition de genres qui, d’habitude, ne se rencontrent pas de façon aussi complète, on frôle l’accumulation, autre effet comique diablement efficace.

Une dernière chose mérite cependant qu’on s’y arrête : l’ambiguïté de l’érotisme dans Blanche Epiphanie est le reflet de l’ambiguïté des auteurs face au genre qu’ils parodient. Pour reprendre un commentaire d’Harry Morgan : «Le feuilleton du martyre féminin est détourné, puisque les auteurs rendent explicite le fait que les malheurs de Blanche Épiphanie intéressent surtout le cochon qui sommeille en tout lecteur. »

Enfin, Georges Pichard s’applique à dessiner des bâtiments Art nouveau, signaux visuels de la Belle Epoque. Mais il va plus loin en appliquant le principe de mimétisme visuel à la mise en forme de l’histoire : il multiplie les arabesques et les cartouches géométriques, selon une pratique des décors de la fin du XIXe siècle, y compris dans les ornements éditoriaux.

Julien Baudry in Phylacterium Réflexions sr la Bande Dessinée, Juillet 2011


Récompenses

1986 : Jacques Lob : Grand prix de la ville d’Angoulême

Publication

  • Blanche à New-York
  • Les Humanoïdes Associés
  • 03/1980
  • Page 24

Voir aussi :   Blanche épiphanie

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A propos de Georges Pichard

L'un des principaux représentants de la bande dessinée pour adultes de son époque, Pichard aime surtout mettre en scène des femmes bien en chair aux prises avec l'adversité, comme Blanche Épiphanie, Ténébrax et Paulette sur des scénarios de Georges Wolinski. C'est cette série, publiée pendant des années dans les premières pages de Charlie Mensuel, qui le fait réellement connaître en France.