Bidouille et Violette n° 1 « Les premiers Mots », planche 19, 1978.

Bernard HISLAIRE : encre de chine pour la planche originale n° 19 du premier album de Bidouille et Violette, publiée dans le Journal de SPIROU n° 2128 du 25 janvier 1978. Signée dans la planche « Hislaire 1978 ».


Présence des quatre adolescents de la série : Bidouille, Violette, Noisette et Max. Violette y est franchement nunuche, mais pas autant que dans les albums suivants. Elle s’adresse à son journal intime, à qui elle a donné le prénom de Tom. C’est assez tarte, comme on peut l’être à cet âge, sans toutefois atteindre les accès de niaiserie parfois développés au-delà de ce premier épisode - le seul de la série que j’apprécie sans réserve. Noisette est dans son rôle de contre-point comique, Max dans celui du faire-valoir désespéré et ténébreux, et Bidouille avoue se sentir « gros, bête et surtout timide ». Quelle planche résumerait mieux le caractère de ces quatre protagonistes ?


A l’époque Marc WASTERLAIN révolutionne le contenu des publications DUPUIS. Avec le Docteur Poche, et quelques personnages éphémères, ce jeune auteur innove dans le fond, dans la forme, dans le style, dans l’audace des thèmes abordés et l’originalité du regard artistique. Par la qualité de son talent créatif, il s’impose d’emblée comme le chef de file légitime d’un renouveau d’artistes la fois dessinateurs et scénaristes. Bernard HISLAIRE, Frank LE GALL, Frank PE, et André GEERTS suivent ses traces avant de se libérer progressivement de son influence artistique.


Dans cette planche, l’influence bénéfique de Marc WASTERLAIN est patente.
1 C’est la qualité et la magie transcendante du trait. Un trait délié, libéré, souple et nerveux à la fois, vivant, fin, authentique. Sans tricherie, sans artifice, sans compromis. Plein de sa puissance encore en devenir et mâtinée de naïveté. Un trait jeune. Et jouant audacieusement entre tradition et modernité, à la fois classique et novateur.
2 C’est aussi du jamais vu dans les pages de SPIROU, un récit incluant une approche psychologique tourmentée de quatre adolescents dans l’air du temps.
3 Ce sont une audace et une fertilité imparables sur le plan graphique. Bernard HISLAIRE fait preuve de quantités de trouvailles graphiques dans le traitement des personnages. Voilà du style ! Ce Max est une vraie réussite : son visage chevalin, d’un cubisme mou, mélange de Lucky Luke mûr et de Jolly Jumper jeune, sa silhouette dégingandée, et son perfecto parfait. Mais c’est aussi l’époque des Goldorak, Candy et autres japoniaiseries : l’œil tripartite de Bidouille leur doit beaucoup. Et le dessinateur ose momentanément effacer les pupilles de Noisette et de Bidouille (cases 2 et 5). Violette s’exprime en parsemant ses « i » de pastilles - particularité graphologique des adolescentes mal dans leur peau - tandis que le récitatif se déploie en écriture cursive.


Par ailleurs on appréciera l’ambiance de bistro - un grand classique - qu’on retrouve aussi bien chez André FRANQUIN, Maurice TILLIEUX, JIJE, WILL que chez Alain DODIER, FRANK, Frank LE GALL, Marc WASTERLAIN (pour n'évoquer que les auteurs DUPUIS). La banquette en moleskine, les verres à bière côtelés, les petits rideaux aux fenêtres, le patron discutant derrière son bar. Atmosphère populaire attirant la sympathie et participant efficacement à l’ancrage dans le réel, l’ici et le maintenant, de figures par ailleurs intemporelles. Violette, Bidouille, incarnations des amours adolescentes contrariées voire impossibles. Un thème universel revisité de façon très prometteuse par un Bernard HISLAIRE encore débutant.