Dans la collection de Tarkey 
1992 - Mastorna par Milo Manara, Federico Fellini - Planche originale
2652 

1992 - Mastorna

Planche originale
1992
Lavis
51 x 73 cm (20.08 x 28.74 in.)
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Diptyque
Maquette des planches par Manara
Manara & Fellini
Manara devant un storyboard de Fellini et sa planche finale
La cathédrale de Cologne, photo vs dessin
Fellini & Manara 1990

Commentaire

Une planche qui illustre l'adoration de Manara pour Fellini et la tentative d'adaptation, par le 9ème art, d'un mythe du 7ème art.

Pour Fellini Manara va au charbon
Manara va passer beaucoup de temps auprès de Fellini pour que celui-ci puisse enfin donner naissance à son « Mastorna », cette histoire maudite qui le hante depuis toujours et qu’il n’a jamais réussi à terminer.
Pourtant, en 1992, Manara a déjà du pain sur la planche, il est en pleine création d’« El Gaucho », le nouvel album fleuve d’Hugo Pratt prépublié dans le mensuel Il Grifo entre 1991 et 1995. « Mastorna » et « El Gaucho » sont donc deux œuvres jumelles mais que presque tout oppose. A l’inverse d’El Gaucho, Mastorna est un album très court de 23 pages et pour cause… il se limite à la première partie de l’histoire car Fellini, pour une raison qui lui est propre (voir les liens ci-dessous), décidera de ne pas lui donner de suite. Différence sur l’approche aussi. Là ou Pratt laisse une grande liberté créatrice à Manara, lui fournissant uniquement les textes et des indications graphiques quand nécessaire, Fellini va imposer un contrôle stricte de chaque plan, de chaque planche, fournissant un storyboard détaillé et demandant à Manara d’être à la fois son metteur en scène, son accessoiriste et son éclairagiste. Sur la base précise du storyboard, Manara élaborera une première maquette qui sera à nouveau discutée et légèrement modifiée avant de produire la planche finale. Il est d’ailleurs amusant de constater que Fellini, découvrant les maquettes réalistes de Manara (trop réalistes ?), s’est çà et là autocensuré, éliminant des scènes lui apparaissant in fine peut-être un peu trop grivoises.
Enfin, la principale différence entre « El Gaucho » et « Mastorna » saute immédiatement aux yeux. Pour El Gaucho, comme pour pratiquement tous ses albums à partir de la fin des années 80, Manara a abandonné la plume et l’encre de chine au profit du stylo et du feutre, donnant un caractère plus sec à ses dessins et des noirs moins profonds. Pour Mastorna au contraire, Manara a besoin de travailler la lumière, il va donc non seulement revenir à la plume mais surtout innover en ajoutant une couche de lavis (aquatinte) afin de coller à la veine dramatique de l’histoire.
Les deux planches présentées ici sont d’ailleurs un exemple de cette ambiance ambivalente de vie et de mort, de sérénité et de drame voulue par Fellini et rendue grâce, en partie, à cette maîtrise du clair-obscur.

A propos de ce diptyque
Ce diptyque représente l'exact moment du passage de la vie à l'au-delà dans l'histoire de Mastorna. Dans cette dernière grande case l'avion est blanc sur fond de cathédrale sombre et dans la prochaine grande case, suivant les recommandations de Fellini, l'avion sera sombre sur fond de cathédrale illuminée. Sans n'en connaitre rien de sa genèse et alors que je commençais à peine à envisager de collectionner des originaux, ce diptyque m’a fasciné dès que je l’ai vu en 2010. Cette P5 surtout, avec ce contraste entre ce visage serein et cette ambiance de fin du monde, cette scène d’orage et cette effrayante cathédrale, toute en contraste, presque submergée de nuages sombres et si proche du hublot qu’on ne peut s’empêcher de s’en inquiéter. La P6 est presque plus humaine, avec le visage de cette femme apeurée, mais non moins effrayante avec ces passagers inquiets et ce dernier plan du survol « à toucher » de la cathédrale… L’avion va-t-il se cracher ou se poser ? La tension et le suspens sont parfaitement bien rendus ici.
Pour ces deux planches, Manara va utiliser une découpe de strips en 1/3, 2/3 assez rare chez lui à l'époque mais qui sera typique de l’album puisque la moitié des planches partagent cette même structure. Ces grandes cases (la planche faisant 51x73 cm) sont ici particulièrement fines et détaillées et permettent de magnifier cette cathédrale de Cologne dont tous les détails ont été travaillés avec minutie. On peut y voir là encore, une preuve de l’attachement qu’a dû avoir Manara pour cet album lorsque l’on sait son peu de goût pour dessiner les décors et la relative facilité de ses productions graphiques de l’époque.
On notera aussi ces deux visages féminins en haut à gauche de chacune des deux planches. Là encore une symétrie, mais aussi un contraste avec des postures et des sentiments opposés. La rectitude et le stoïcisme de l’une fait face au chic et à l’inquiétude de l’autre. Deux femmes de Manara magnifiques qui, plus que tout, signent ces deux planches. Pour la petite histoire, après avoir réalisé les maquettes, le visage de la P5 sera rendu plus sévère dans la version définitive et celui de la P6 purement et simplement rajouté comme on peut le voir sur les images additionnelles.

Vers Mastorna et au-delà
Honnêtement, la genèse et l'histoire autour du "Voyage de G. Mastorna" est complètement folle. Le sujet a été traité et retraité sous toutes ses formes et semble être devenu mythique pour les cinéphiles. Je partage avec vous deux liens qui en témoignent, le premier est une émission entière de France Culture sur le sujet et le second un court métrage Canadien sur le même sujet... dingue je vous dis.... surtout la chute (pour ne pas dire la fin)

https://www.franceculture.fr/emissions/latelier-de-la-creation-14-15/le-voyage-dans-lau-dela-de-federico-fellini
https://www.youtube.com/watch?v=8VVzjzcpaH0

Discussion :
J'ai rajouté en commentaire l'extrait d'un avis intéressant d'un collectionneur à propos de Mastorna, suite à quelques échanges sur le forum BDGest.
@Carbonnieux : Effectivement cet album ne marquera pas le monde de la BD, par contre c'est certainement la pièce finale d'un puzzle artistique bien plus vaste centré sur la personne et l'oeuvre d'un monsieur du 7ème art: Federico Fellini.
Pour ceux qui n'auraient pas la patience d'écouter l'intégralité du sujet de France Culture ci-dessus voici un bref résumer : Fellini - pour rappel 5 Oscars, 1 palme d'Or et une palanquée d'autres récompenses - est obnubilé depuis toujours par la réalisation d'un film , LE film : Mastorna. Mais Fellini est assez superstitieux et un clown l'averti de ne jamais réaliser ce film car sinon ce serait le dernier... Fellini tergiverse pendant des années, commence, arête... puis rencontre Milo Manara. Il se trouve que Fellini s'était essayé à la BD jeune et, suite à des échanges intenses, décide de mettre son histoire en bande dessinée sous la plume et le pinceau de Manara. Voir plus haut pour la réalisation. Malheureusement, une fois la première partie de l'histoire publiée, l'éditeur conclu l'épisode par le mot "Fin", mot honni par Fellini qui prend peur et arrête l'histoire... étrangement, cette bande dessinée de Mastorna sera la dernière pièce de l'oeuvre de Fellini qui décède quelques temps après... suivant la prédiction du Clown. Voilà en quelques mots pourquoi le "Mastorna" de Fellini par Manara a une place si particulière entre 7ème et 9ème art.
Un dernier mot pour dire que ces planches semblent si chères à Manara qu'il les a quasiment toutes gardées, sauf 3 à priori, alors qu'il a laissé partir toutes ses planches d'"Un Ete Indien" ou de Giuseppe Bergman par exemple.

Publication

  • Le Voyage de G. Mastorna
  • Casterman
  • 01/1996
  • Page intérieure

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A propos de Milo Manara

Milo Manara est un auteur de bande dessinée italien. Il a commencé sa carrière en tant qu'illustrateur publicitaire avant de se tourner vers la bande dessinée dans les années 70. Il est surtout connu pour ses œuvres érotiques et sensuelles, qui ont été publiées dans de nombreux pays à travers le monde.

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